La décision de la Commission européenne d’exiger le paiement par Apple de 13 milliards d’euros d’impôts auxquels il a échappé en Irlande entraîne inévitablement son lot de réactions, parfois surprenantes. Si l’on peut se moquer du fait qu’Apple tente d’arracher la larme à l’œil du consommateur européen en ne livrant toutefois aucun chiffre sur les impôts qu’il paye en Europe, si l’on peut encore expliquer pourquoi l’Irlande refuse de collecter ces milliards d’impôts, et si l’on peut s’amuser de ce que la Turquie fasse du pied à Apple en s’offrant en concurrent fiscal à l’Union européenne, on peut aussi s’étouffer de la réaction des autorités américaines.
Venant au secours d’Apple, la Maison Blanche a ainsi réagi mardi en s’indignant d’une décision qu’elle estime être « injuste », non seulement pour la firme de Cupertino qui subit une insécurité juridique en voyant son accord fiscal annulé après des années, mais aussi — accrochez-vous — pour le contribuable américain.
Lors d’une conférence, l’attaché de presse de la Maison Blanche, Josh Earnest, a en effet indiqué que le « type de paiements envisagé par l’Union Européenne » équivaudrait à un « transfert de revenu des contribuables américains vers l’Union européenne ». Dit autrement, exiger d’Apple qu’il paye sa juste part d’impôts en Europe serait aller voler dans les caisses publiques des Américains.
Le montage fiscal opéré par Apple ne profite ni au contribuable européen, ni au contribuable américain
C’est aussi ce que tente de prétendre Apple, lorsqu’il écrit que « à la base, l’argumentation de la Commission ne porte pas sur le montant des impôts dont doit s’acquitter Apple, mais sur l’État qui doit les percevoir », et qu’il cite exclusivement l’Irlande et les États-Unis en alternatives, en oubliant fort opportunément de parler des Iles Vierges Britanniques où il a créé une filiale vers laquelle faire remonter ses bénéfices, qui échappent alors à la fois à l’Irlande et aux USA. « Seule une fraction des bénéfices d’Apple Sales International étaient affectés à sa branche irlandaise et soumis à l’impôt en Irlande. La grande majorité restante des bénéfices étaient affectés au «siège», où ils échappaient à l’impôt », constatait ainsi la Commission dans son communiqué publié mardi.
En réalité, le montage fiscal opéré par Apple ne profite ni au contribuable européen, ni au contribuable américain. L’essentiel de l’argent ainsi économisé se contente de rester dormir dans les paradis fiscaux. Mais au moins, les USA peuvent espérer en récupérer une partie, à force de négociations très tendues, lorsque les sommes sont éventuellement rapatriées au pays. C’est ce qu’avait expliqué en 2012 un excellent article du Figaro :
La société, véritable multinationale, est organisée en filiales, imbriquées les unes dans les autres à la manière de poupées russes. Grâce à ce système, Apple paie des impôts dans des pays dont les régimes fiscaux sont souvent plus favorables qu’aux États-Unis. Son taux d’imposition global est ainsi d’environ 25 %, dix points de moins que le niveau de l’impôt sur les sociétés américain, reconnaît la société dans son rapport remis à la SEC, le gendarme boursier des États-Unis.
En contrepartie, Apple ne peut pas faire remonter librement les réserves de cash accumulées à l’étranger, là où il gagne le plus d’argent. Un retour de ce magot sur ses terres, versé par ses filiales au siège de Cupertino sous forme de dividendes, l’obligerait à s’acquitter d’impôts aux États-Unis. Une manœuvre extrêmement coûteuse. Selon les calculs de Bespoke Investment Group, Apple aurait à payer 22 milliards de dollars de taxes pour rapatrier l’ensemble de son cash, soit 5 % de sa capitalisation boursière Apple s’active donc discrètement pour faire changer la loi.
Apple fait en effet partie des multinationales qui plaident pour une « amnistie fiscale » pour les entreprises qui rapatrient leur trésorerie aux USA, et qui souhaitent bénéficier d’un taux d’imposition privilégié. Or du point de vue européen, ces sommes qui serait rapatriées vers les USA sont bien des sommes qui devraient être imposées en Europe, puisqu’elles sont dues aux activités commerciales de la firme de Cupertino sur le territoire européen, auprès des consommateurs européens.
C’est donc clairement un procédé singulier que celui employé par la Maison Blanche, lorsqu’il prétend que vouloir imposer davantage Apple en Europe, c’est prendre dans les poches des contribuables américains.
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