Pour comprendre comment fonctionne une stratégie numérique et mesurer son impact sur une campagne politique, Numerama vous embarque dans les coulisses des partis politiques français. Notre série politique continue avec Bastien Lachaud, responsable des actions au sein de la campagne de Jean-Luc Mélenchon.

Un mois après la déclaration de candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017, Bastien Lachaud, responsable des actions pour la campagne du candidat d’extrême gauche, nous reçoit. Cheveux noirs, bouclés et style décontracté. Il est 10 heures du matin, nous filons dans un café à côté du marché Saint-Martin dans le dixième arrondissement. Pour ce trentenaire, il est encore l’heure d’un chocolat chaud.

Militantisme numérique vs militantisme de gauche

S’il y a bien quelque chose qu’on ne peut retirer à la gauche, c’est l’aspect militant propre au courant politique, encore plus ancré lorsqu’il s’agit de la gauche de la gauche. Manifestations et rassemblements dans la rue : difficile d’imaginer un jour qu’internet puisse faire taire ces traditions vielles de deux siècles et ainsi muter vers un militantisme qui serait uniquement connecté. Et d’ailleurs, personne ne l’imagine.

Mais à l’heure des réseaux sociaux, la gauche ne se contente plus de mobiliser uniquement dans la rue, elle agit également sur la toile et déploie ses cybermilitants. Pétition signée par plus d’un million de personnes, mobilisation des YouTubeurs et hashtag #OnVautMieuxQueÇa en guise d’étendard d’un rassemblement retrouvé dans la rue… le projet de loi Travail a illustré la capacité de mobilisation sur et par le Web.

Dans la course à la présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon fut le premier à faire publiquement acte de candidature, dans ce qui a même semblé précipité, voire désorganisé. De fait, il nous a été difficile de savoir qui s’occupait de sa campagne en ligne. Moult recherches d’abord infructueuses nous ont mené vers le contact d’un contact qui nous a expliqué que l’organigramme de campagne du candidat Mélenchon n’était pas encore parfaitement défini, et c’est finalement non sans mal que nous parvenons à trouver notre homme, Bastien Lachaud.

« Notre organisation de campagne est très mouvante pour le moment, on prend le travail là ou il est. Une campagne demande une organisation très cadrée, mais pour le moment on est qu’au tout début de la campagne, les trois derniers mois demandent une toute autre organisation, bien évidemment », avoue-t-il.

Militant depuis ses 18 ans, cumulant depuis 17 années de manifestations et de rassemblements, Bastien Lachaud est désormais « responsable des actions » au sein de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, ce qui signifie qu’il est en charge d’organiser des événements, de gérer les aspects pratiques et opérationnels mais aussi certaines parties du site officiel JLM2017.fr.

Nous jouissons d’une « gauchosphère » assez puissante qui s’adapte aux nouvelles technologies

Si une campagne présidentielle se joue sur les réseaux sociaux, Jean-Luc Mélenchon peut se montrer optimiste puisque le fil Twitter du candidat ne compte pas moins de 765 000 abonnés, quand Alain Juppé, candidat favori à la primaire républicaine n’en compte « que » 326 000. Quant à sa page Facebook, le réseau social a déjà reçu plus de 380 000 likes. « Avec une forte augmentations depuis octobre dernier. Nous jouissons d’une ”gauchosphère” assez puissante qui s’adapte aux nouvelles technologies », se félicite Bastien Lachaud.

L’apparition d’un militantisme numérique ne vient pas que de l’émergence des nouvelles technologies. Pour Bastien Lachaud, le source du cybermilitantisme vient avec la privatisation de l’espace public et toutes les problématiques d’accès aux immeubles et boites aux lettres qui en découlent. « Il est de plus en plus compliqué de faire du porte à porte et d’atteindre les gens, de ce fait, le militantisme dans la rue est de plus en plus difficile à cause de cette privatisation, explique-t-il. Le but de la campagne numérique est d’accéder aux personnes à qui nous n’avons plus accès de manière dite traditionnelle ».

Alternative aux médias traditionnels

Pour faire passer ses idées et lever les foules, Youtube et sa horde de YouTubeurs deviennent une alternative aux médias traditionnels. Voulant toucher à la fois une génération de plus en plus connectée boudant les chaines de télévisions classiques, Jean-Luc Mélenchon a lancé sa propre chaîne, « Pas vu à la télé ».

Devenir patron de presse n’est pas dans les ambitions de Jean-Luc Mélenchon, déjà bien occupé avec la politique, mais l’intérêt de lancer cette chaîne YouTube est de pouvoir « bénéficier d’une communication plus libre mais aussi de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas auprès des médias dominants ».

« Quand on voit la mobilisation des Youtubeurs avec le hashtag #OnVautMieuxQueÇa, on s’aperçoit que YouTube est devenu une sorte de média alternatif ».

Lancée en février dernier, la chaîne de Jean-Luc Mélenchon ne connaît pas encore le succès d’une Marie Lopez (aka EnjoyPhœnix), puisque le candidat compte 11 000 abonnés et deux émissions. La dernière vidéo, qui dure tout de même plus d’une heure, traitait de la question sur la fin de vie avec Jean-Luc Roméro. Moins glamour. Mais avec plus de 5000 fois en moins de trois jours, il s’agit pour Bastien Lachaud « d’apporter un éclairage nouveau sur des sujets peu traités et aussi sensibles que celui-ci, c’est à ça que servent ces nouveaux outils numériques ».

Coutumier des émissions sur internet, mais aussi fort de son succès sur les réseaux sociaux, Jean-Luc Mélenchon avait d’ailleurs lancé un live Facebook lors de sa visite aux salariés de Vallourec, à Sant-Saulve dans le nord. La retransmission en direct avait alors rassemblé plus de 4000 personnes, sans avoir été annoncée au préalable.

« Nous allons vers une campagne encore plus tournée vers le numérique, prédit Bastien Lachaud. Les dernières présidentielles en 2012 étaient bien tournées vers le numérique et différentes des précédentes mais là, on est vraiment sur autre chose. Ce qui ne veut pas non plus dire que le numérique va remplacer tout le reste, il s’agit d’un élément complémentaire ».

Mélenchon sur une plateforme américaine

Il y a peu de points communs entre Alain Juppé et Jean-Luc Mélenchon. Mais sur le Web il y en a un : NationBuilder, le système de CMS et de gestion des militants que nous avons décrit  ici. Jean-Luc Mélenchon est d’ailleurs le premier à avoir parlé de la plateforme américaine NationBuilder de façon décomplexée, en annonçant sa proposition de candidature sur le plateau de TF1. Sauf qu’il voulait se comparer au candidat démocrate Bernie Sanders qu’il croyait être utilisateur de la même plateforme, alors que non.

Pour Jean-Luc Mélenchon et son équipe, la plateforme est conçue pour que les militants puissent se gérer de façon autonome. « On est les premiers à avoir un peu modifié le fonctionnement de NationBuilder, pour permettre aux gens de créer des groupes sur tout le territoire », assure Lachaud.

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Comme Alain Juppé ? Non, car « si on reprend le site d’Alain Juppé, il faut remplir un formulaire, le groupe d’appui est ensuite validé par le groupe central pour être ensuite validé et créé ». Or, précise Bastien Lachaud, « en ce qui nous concerne, le groupe est automatiquement créé et tout le monde peut nous rejoindre. On fait le pari de l’intelligence collective et tout le monde est invité à créer des groupes qui ne peuvent dépasser 12 membres ».

NationBuilder étant une plateforme américaine, on peut s’étonner qu’un candidat tel que Jean-Luc Mélenchon qui abhorre « l’impérialisme américain » ne fasse pas le choix d’une solution française pour son site de campagne. D’autant plus que les prix proposés par exemple par DigitaleBox sont beaucoup moins élevés que ceux de NationBuilder.

Bastien Lachaud défend néanmoins son candidat et affirme que la plateforme française « est beaucoup moins poussée que NationBuilder et ne correspondait pas aux attentes d’une campagne présidentielle ». Avant de nous rassurer : « tout le reste des outils numériques sont français au possible et nous privilégions également les logiciels libres ».

Vote et Passion numérique

Le taux d’abstention chez les jeunes est un vrai problème. Aux dernières élections régionales, 66% des 25-34 ans ont boudé le bureau de vote. Voter par internet pourrait être vu comme une réponse à l’abstentionnisme chez les jeunes (si l’on met de côté le problème, réel et fondamental, de la sécurisation et de la confidentialité du vote).

Mais pour Bastien Lachaud il n’en est rien. « Il y a un rapport particulier dans le fait de se déplacer le dimanche pour aller voter », souligne-t-il. Et puis, « on a beau dire tout ce qu’on veut mais quand on a les moyens d’un état, on peut faire facilement ce qu’on veut pour truquer des votes. Quand on voit toutes les suspicions qu’il y a eu aux États-Unis sur ces questions, ça devrait refroidir un peu ».

« La vraie réponse à cette abstention ce serait le vote obligatoire, comme en Belgique. Mais ça passe par une réponse de fond : redonner le pouvoir au peuple », conclut-il.

Jean-Luc Mélenchon a toujours été passionné de nouvelles technologies

C’est une pensée qu’il martèle. Le peuple contre les élites. Ces dernières semaines la ministre du travail El Khomri en est devenue une illustration. « Elle a été élue par personne, la loi travail n’était pas dans le programme présidentiel, c’est plutôt l’inverse. C’est une des raisons pour lesquelles les jeunes s’abstiennent ».

Même si la question du vote numérique ne se pose pas encore chez Jean-Luc Mélenchon, du haut de ses 64 ans, le candidat de gauche a toujours été un précurseur lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies, et son responsable des actions de campagne aborde le sujet avec un sourire et une voix  pleine de tendresse. « Jean-Luc Mélenchon a toujours été passionné de nouvelles technologies. Il a créé une des premières radios libres en Essonne, dès le milieu des années 1980 il utilise le minitel, il a été l’un des premiers hommes politiques à créer un blog qui est aujourd’hui l’un des plus lus… », raconte Bastien Lachaud.

Mélenchon continue dans sa lancée puisqu’il gérerait lui-même sa page Facebook et son compte Twitter, avec l’aide d’un community manager (tout de même). Ces réseaux sociaux sont une manière de « transformer la mobilisation numérique en mobilisation physique », cependant, il est impossible de remplacer le militantisme traditionnel par internet. « Ce serait abandonner ceux qui n’ont pas accès à internet et aux réseaux sur le bord de la route ».


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