Annoncé dans l’heure qui a suivi l’intervention du GIPN ayant entraîné la mort de Mohammed Merah, le projet de loi créant un délit de consultation de sites internet incitant au terrorisme a été présenté ce matin en Conseil des ministres. Consulté, le Conseil national du numérique se montre dubitatif.

Mise à jour : Numerama a pu prendre connaissance du texte final présenté au Conseil des ministres. Il est identique à celui analysé par le CNNum.

Ce mercredi, le ministre de la Justice Michel Mercier a présenté en Conseil des ministres le projet de loi de prévention et de répression du terrorisme, qui ne sera pas discuté au Parlement avant la prochaine législature. Le texte n’a pas encore été communiqué au public (nous attendons que le ministère de la Justice nous le transmette), mais le Conseil National du Numérique a profité de l’occasion pour publier son avis n°11 du 4 avril 2012, portant sur la disposition phare du pré-projet de loi. Elle traduit en effet la volonté exprimée par Nicolas Sarkozy le matin-même de l’arrestation de Mohammed Merah, de pénaliser la consultation de sites terroristes, quand bien même les services de renseignement français savaient que Mohammed Merah ne consultait pas de sites terroristes.

Selon le texte qui avait été présenté au CNNum, et qui ne devrait avoir que très peu évolué dans sa version finale, il est proposé de modifier le code pénal pour ajouter la disposition suivante :

Art. 421-2-5. – Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages provoquant directement à des actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes au moyen notamment d’images montrant la commission d’infractions d’atteinte volontaire à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.

Comme l’avait souhaité le CNNum dans sa demande d’être consulté (.pdf), le gouvernement a prévu des exceptions pour éviter que les journalistes, les chercheurs ou les auxiliaires de justice ne soient eux-mêmes interdits de fréquenter les sites utiles à l’exercice de leur profession.

Par ailleurs, le texte prévoit dans ses motifs que « les modalités de recherche des infractions seraient celles que permettent actuellement les dispositions du code de procédure pénale, que le projet de loi ne modifie pas, et qui sont proportionnées aux nécessités des enquêtes judiciaires« . Il précise à toute fin utile qu’aucune « charge supplémentaire » ne sera imposée aux opérateurs. Le risque de voir une surveillance généralisée des internautes, à travers l’installation de systèmes d’inspection profonde des paquets (DPI) chez les FAI est donc écarté, pour le grand soulagement du CCNUm. Il rappelle en effet qu’une analyse des habitudes de navigation des internautes serait « fortement intrusive au regard de l’objectif recherché et irréaliste techniquement« .

Les autres garde-fous devront être imposés par les juges eux-mêmes, lorsqu’ils auront à définir ce qu’est une consultation « habituelle », ou même ce qu’est un contenu faisant l’apologie du terrorisme.

Pas d’opposition mais beaucoup de circonspection

Cependant, le Conseil pointe une première faiblesse du dispositif. En effet, en l’état actuel de la loi, les hébergeurs « n’ont aucune obligation de conserver les données des internautes visitant le contenu qu’ils hébergent« . Mieux, « les autorités de protection de la vie privée imposent aux sites un effacement de ces données ou, aux fins de statistique, qu’une conservation sous forme agrégée et anonymisée« . Ainsi lorsque LeBonCoin communique les 576 adresses IP qui se sont connectées à l’annonce du militaire tué par Mohammed Merah, il le fait hors de toute obligation légale, voire en contraction avec les recommandations de la CNIL. Heureusement, le CNNUm ne va pas jusqu’à préconiser de modifier la loi pour rendre ces stockages d’informations obligatoires.
De même, il constate que la loi serait impuissante contre les consultations de contenus échangés dans un cadre privé (sur des forums accessibles uniquement aux membres ou sur des réseaux P2P fermés par exemple), mais il « considère qu’il convient de ne pas étendre l’incrimination à la sphère de la correspondance privée« .

Enfin, dans une analyse jurisprudentielle très fouillée malgré le délai de 72 heures seulement accordé par le gouvernement (sic), le Conseil national du numérique rappelle que si le délit de consultation de sites internet existe bien pour les sites pédophiles, ça n’était que pour combler une lacune technique de la loi anti-pédopornographie. Depuis la création de ce délit en 2007, constate-t-il, les procureurs n’agissent quasiment jamais sur le seul terrain de la consultation de sites internet, mais en lien avec d’autres infractions matérialisées (dans les faits, le délit permet surtout d’avoir un motif de perquisitions lorsqu’une adresse IP est découverte sur le serveur d’un site pédophile saisi par la police, en France ou à l’étranger).

S’il se garde de se prononcer sur « l’opportunité » de la loi, l’avis du Conseil transparaît donc en filigrane par ce comparatif et les faiblesses qu’il pointe. De plus, il prévient que « le CNNum se réserve la possibilité de poursuivre cette réflexion dans l’attente de l’ouverture des débats parlementaires en s’appuyant sur l’expertise des services de police et de gendarmerie spécialisés et au travers de la consultation d’associations et d’acteurs de la société civile intéressés« . Il attendra cependant que le projet de loi soit déposé sur le bureau d’une des deux chambres du Parlement avant de livrer un nouvel avis sur le fond, ce qui pourrait ne jamais arriver une fois les élections passées…

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