Les recherches en sources ouvertes (OSINT, en anglais, pour Open Source INTelligence) s’invitent davantage dans les armées françaises. Au début du mois de juin 2024, l’armée de terre a en effet lancé son nouveau bataillon de renseignement de réservistes et spécialistes de l’OSINT.
Une création nécessaire, précisait sur LinkedIn le général Guillaume Danès, l’un des cadres de l’Armée de terre. « Après l’essor exponentiel d’Internet et des réseaux sociaux, le renseignement à partir des sources ouvertes est devenu une capacité essentielle des services de renseignement », détaillait le haut gradé. Au printemps, la direction générale de l’Armement (DGA) avait elle aussi montré le cap avec la création d’un campus OSINT. Un pôle dédié à l’expérimentation d’outils, à la formation et à l’animation de l’écosystème.
Vérification en direct et riposte aux mensonges
Cet intérêt pour l’OSINT n’étonne pas les spécialistes. Car avec la guerre en Ukraine, les outils autour des recherches en sources ouvertes ont gagné leurs galons chez les militaires. Certes, cette technique avait déjà été mise à contribution dans des conflits précédents, comme en Syrie. Elle avait été utilisée pour prouver la réalité de crimes de guerre, notamment durant les investigations sur l’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien contre sa population. À la même époque, les spécialistes de l’investigation en sources ouvertes de Bellingcat avaient aussi documenté de façon méticuleuse la destruction du vol MH17.
Mais ce qui a changé avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, c’est une utilisation de l’OSINT à une échelle bien plus importante. D’abord, « c’est la première fois que le grand public a la possibilité de vérifier des informations militaires quasiment en direct », relève Theo, un membre du Projet Fox, sollicité par Numerama. Ce groupe créé en novembre 2020 promeut l’OSINT en travaillant sur les conflits.
Ce faisant, cela contribue à mettre sur la place publique des pratiques qui étaient auparavant du domaine exclusif du renseignement, et connues que des experts. Grâce aux images ou vidéos postées sur les réseaux sociaux, les mensonges russes du début du conflit ont pu être contrés très vite. C’est un point essentiel. Comme le remarquait un haut gradé britannique, l’aide occidentale est critique pour l’Ukraine. Ce travail open source sur le narratif russe a ainsi permis de sensibiliser l’opinion publique.
Une transparence forcée du champ de bataille
Les observateurs se sont mis également à produire des cartes ou des statistiques qui éclairent sur ce qui se passe et qui permettent de savoir où en est le conflit de façon indépendante. « Des communautés s’appuient par exemple sur les données des satellites destinés à repérer les feux de forêt pour suivre la ligne de front », note auprès de Numerama Xavier Tytelman. Ce consultant en aéronautique et défense et aussi un influenceur passionné à la tête d’une chaîne YouTube très suivie. « Mais alors que ces enquêtes collaboratives restaient autrefois dans un cercle très restreint, la guerre en Ukraine a démocratisé le concept », remarque-t-il.
Ensuite, « il y a beaucoup plus de matière à analyser avec le conflit en Ukraine », continue Théo. Cette « transparence du champ de bataille », le terme utilisé par les experts, n’aurait d’ailleurs jamais été poussée aussi loin. « Les satellites d’observation militaires et civils, les drones, le renseignement électromagnétique, les sources ouvertes, les réseaux sociaux, les populations avec leurs smartphones sont autant de capteurs qui permettent de dissiper une partie du brouillard de la guerre », analysait récemment le général Vincent Breton, l’un des cadres du ministère des Armées.
« On peut prouver par l’image les pertes », pointe Xavier Tytelman. Exemple avec cette carte extrêmement détaillée partagée par Andrew Perpetua, qui s’appuie sur des photos publiées sur les réseaux sociaux. Ou ces recherches menées par la BBC et Mediazona pour calculer les pertes russes, en s’appuyant sur les informations publiées dans les rapports officiels, journaux ou réseaux sociaux.
Identifier l’emplacement des cibles en vue de représailles
Ces recherches en sources ouvertes ne servent toutefois pas seulement à produire des tableaux permettant d’analyser le conflit. Elles permettent également de faire la guerre, même si ce point est moins documenté. « On a pu estimer l’âge moyen du matériel de guerre utilisé, et au début de la guerre, on a pu prouver que les missiles russes étaient largement imprécis », une information importante, remarque tout d’abord Xavier Tytelman.
« Il ne fait aucun doute que chaque armée scrute les réseaux sociaux pour trouver la moindre image d’intérêt », abonde Théo. Par exemple, les Ukrainiens avaient ironisé en août 2022 sur cette photo d’un Russe posant en maillot de bain à côté d’un coûteux système de défense anti-aérien. Ils le remerciaient alors pour ce précieux renseignement. Sa position avait ensuite pu être retrouvée. On ignore toutefois dans quelle mesure cette information a pu permettre une frappe ultérieure.
Autre exemple : TF1 avait été accusée d’avoir mal protégé le soldat ukrainien qu’elle avait interviewé en laissant passer des images permettant sa localisation. Une accusation contestée par la chaîne de télévision. Mais cela rappelle avec gravité que les images diffusées peuvent être une source précieuse de renseignement.
« Agir comme un capteur »
La part de l’utilisation de l’OSINT dans la recherche et l’identification de cibles reste donc floue. Ce brouillard ne devrait se dissiper qu’à l’issue du conflit. Mais l’appétit pour les données, à l’importance démontrée par les recherches en sources ouvertes, est certain. Il pousse les belligérants à augmenter leur nombre de capteurs pour se ménager un avantage.
« Grâce à l’open source, chaque plate-forme et chaque militaire peuvent agir comme un capteur », observait à ce propos le général britannique James Hockenhull.
L’existence de ce réseau de téléphones mobiles disséminés sur des poteaux signalé par The Telegraph a démontré toute la justice de cette remarque. Ici, ces smartphones permettent, grâce à l’analyse des bruits, de repérer des drones ennemis. On pourrait également citer l’application mobile « ePPO » qui permet aux Ukrainiens de signaler le passage d’un engin aérien suspect. Autant d’applications tournant autour de l’Osint qui pourraient inspirer les experts de l’armée de Terre française et des autres puissances occidentales.
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