Verra-t-on bientôt un jour l’adresse IP de chaque internaute qui dépose un avis sur un produit, une prestation ou un service en ligne ? C’est la piste que se propose d’explorer une députée de la majorité présidentielle, Sandrine Le Feur, afin de trouver une solution aux faux avis qui se répandent à longueur de pages web. Elle interpelle à cette fin Cédric O, le secrétaire d’État en charge du Numérique.
À l’origine de cette suggestion, un constat : la parlementaire estime que la possibilité de donner son avis sur une plateforme en ligne « peut être dévoyée, car elle permet à des usagers mal intentionnés, voire à des concurrents, de s’exprimer pour tromper sciemment les internautes ». Il existe même une industrie du faux avis, avec des sites qui monnaient leurs services, par exemple pour écrire sur Amazon.
Le problème, c’est que l’opinion d’autrui joue un rôle non négligeable dans la décision de sauter ou non le pas. Une étude conduite par le Cefrio, un organisme de recherche et d’innovation québécois, a conclu que deux internautes sur trois lisent et prennent en compte l’avis des personnes qui possèdent déjà tel ou tel produit ou service. C’est même une tendance qui progresse avec le temps, ajoutait-elle.
Dans ces conditions, indique l’élue, une piste d’amélioration régulièrement avancée serait « d’imposer la publication du numéro IP de l’émetteur du commentaire à côté de l’avis », dans le souci de « renforcer la transparence et la loyauté en ligne et d’assurer l’honnêteté dans les relations commerciales ». Plus généralement, elle demande que lui soit adressé un point de situation sur la lutte contre les avis frauduleux.
Il s’avère que ce n’est pas la première fois qu’une telle suggestion est formulée : début 2018, une autre députée, Isabelle Rauch, avançait une idée similaire. Le problème, c’est que cette piste, bien qu’elle soit explorée avec les meilleures intentions — on ne peut que vouloir la disparition des faux commentaires, qui sont trompeurs et parfois nuisibles s’ils sont hostiles — souffre de quelques écueils.
Série de problèmes en vue
Tout d’abord, l’adresse IP n’est pas un élément anecdotique : c’est une donnée à caractère personnel. À ce titre, elle bénéficie d’un régime juridique particulier, encadré notamment par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Grossièrement, il n’est pas possible de faire tout et n’importe quoi avec, parce que c’est une information qui permet d’identifier une personne, directement ou non.
Ensuite, se pose la question de l’intérêt pour l’internaute de voir à côté d’un avis une telle information, qui se matérialise à travers une suite de caractères. Qu’en ferait-il ? Si une adresse IPv4 peut encore être intelligible (172.16.254.1 par exemple), une IPv6 n’est plus guère lisible (à l’image de 2001:db8:0:85a3::ac1f:8001). Or à terme, les adresses IPv6 sont censées succéder aux IPv4, plus assez nombreuses.
En fait, c’est plutôt le site web qui reçoit l’avis qui peut en faire quelque chose d’utile et il se trouve qu’il n’a pas besoin de le publier au préalable pour procéder à des vérifications.
Par ailleurs, il s’avère que l’adresse IP, même si elle est une donnée personnelle, a certaines limites. D’abord, elle ne désigne pas spécifiquement un internaute, mais plutôt un appareil sur le réseau. Or, plusieurs internautes peuvent passer par le même appareil pour accéder à Internet. Pensez par exemple à une box Internet à travers laquelle plusieurs membres d’un même foyer passent pour aller sur le web.
Ensuite, la véritable IP peut être cachée grâce à quelques subterfuges techniques. Il est possible de faire transiter la connexion Internet par des étapes intermédiaires, qui lui attribueront une autre IP. Or, le site web qui sera visité ne verra que l’IP du dernier point de passage et non pas celle de l’appareil se trouvant à l’autre bout de la liaison. Il est fort simple de renouveler ces IP intermédiaires.
Ce sont pour toutes ces raisons que le gouvernement estimait déjà mi-2018, en répondant à Isabelle Rauch, que la mention de l’IP à côté de chaque avis posté en ligne « pour une meilleure information du consommateur ou [pour] identifier éventuellement un concurrent dont l’avis porterait préjudice à une entreprise », ne soit pas une piste très pertinente et qu’elle n’était « pas envisagée pour l’instant ».
À défaut de mieux, vérifier l’achat
Une information plus intéressante, en revanche, est la mention précisant si la personne qui donne son avis a effectivement passé commande, avec un paiement à la clé. On trouve par exemple de telles mentions sur des plateformes comme la Fnac ou Materiel.net, ce qui fait le tri. Il existe même des plateformes qui se sont spécialisées dans ce domaine, comme le site Avis-Vérifiés.com (qui travaille avec But, Darty, Oui.sncf ou Bricorama).
Bien sûr, cela ne constitue pas une barrière infranchissable : un concurrent motivé pourra toujours acheter un produit (voire quelques exemplaires) pour le descendre dans l’espace des commentaires, mais cela nécessitera de mobiliser un budget à cette fin. La facture ne pouvant que progresser, elle sera un frein de plus en plus puissant pour limiter l’ampleur du spam de faux avis.
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