À l’heure des fake news, la plateforme Quora, riche de ses 200 millions d’utilisateurs, lance, ce vendredi 28 avril, sa version francophone. Vie pratique, cinéma, politique, philosophie… le site de questions-réponses entend répondre à toutes vos interrogations. Et vous permettre de partager votre savoir avec la communauté.

Pourquoi les chiens aboient-ils ? À quoi sert la série 13 Reasons Why, consacrée au sujet délicat du suicide chez les adolescents ? De quoi est mort Bruce Lee ? Comment Donald Trump a-t-il gagné l’élection ? Peut-il être destitué ? Sur Quora, la plateforme communautaire de questions-réponses, la diversité des sujets abordés illustre bien toutes les interrogations qui traversent l’esprit de ses utilisateurs, en attente d’un éclaircissement pertinent de connaisseurs du sujet. N’importe quelle question peut être posée sur ce service à la philosophie ambitieuse : « Partager et enrichir le savoir de tous ».

Le fondateur de Quora, Adam D’Angelo, était de passage à Paris ce vendredi 28 avril pour assurer le lancement de sa version en langue française, disponible dès maintenant sur le web mais aussi sous la forme d’applis iOS et Android, après une période de beta test de 3 mois auprès d’une centaine d’utilisateurs. Le trentenaire au style vestimentaire typique de la Silicon Valley — pull noir, au jean et aux baskets blanches — est revenu à cette occasion sur l’origine et le fonctionnement de Quora, ainsi que sur les chance de succès de cette version proposée à 274 millions de francophones.

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À la conquête des non anglophones

La plateforme a déjà parcouru bien du chemin depuis sa création il y a 7 ans : l’équipe initiale de 4 personnes serrée dans un minuscule bureau de Palo Alto (Californie) s’est démultipliée et compte aujourd’hui 190 salariés. Porté par ses plus de 200 millions d’utilisateurs mensuels, Quora, longtemps disponible exclusivement en anglais, s’attaque  désormais au marché international en s’appuyant notamment sur sa récente levée de fonds de 85 millions de dollars. L’objectif d’Adam D’Angelo est clair : « Nous voulons rendre Quora accessible au maximum de monde, et notamment aux nombreuses personnes qui ne parlent pas anglais. »

Après avoir lancé une version espagnole en octobre 2016, le patron de Quora vise les francophones, qui constituent selon lui une cible idéale « car ils ont le goût du débat, de la curiosité et des échanges ». Ce sont ces trois principes qu’il entend mettre au cœur de Quora lorsqu’il décide, en 2009, de quitter son poste de directeur de la technologie chez Facebook pour se lancer dans le partage de savoirs, sans restrictions thématiques.

À l’époque, Adam D’Angelo est loin de faire office de pionnier :  ce type de service existe déjà de longue date sur le web, qu’il s’agisse des forums spécialisés (à la manière de Doctissimo en France), de réseaux dédiés ou encore de blogs. Mais il entend se différencier — et s’imposer — en misant sur quatre piliers différents. Le premier, le plus important, est celui de la crédibilité. « Les meilleures sources pour répondre à une question sont les spécialistes, mais on ne les trouve pas facilement sur Internet. Il fallait se distinguer avec un contenu qualitatif » explique l’entrepreneur.

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Transparence et évaluations de la communauté

L’écosystème de Quora repose entièrement sur la confiance : tous les utilisateurs doivent s’inscrire sous leur véritable nom et sont invités à indiquer leur statut (salarié ou fonctionnaire de tel ou tel domaine, patron, étudiant d’une filière X ou Y, doctorant…). « On ne vérifie pas l’identité des utilisateurs mais ces derniers peuvent le faire et nous signaler toute usurpation potentielle, que nous transmettons alors à l’équipe de modération, précise Adam D’Angelo. Vous ne trouvez aucun intérêt à ne pas interagir sous votre vrai nom alors que tout le monde le fait : le système ne favorise pas ce comportement. »

Pour s’assurer d’obtenir les meilleures réponses aux questions posées, Quora met en avant ces interrogations auprès des utilisateurs les plus compétents. Ainsi, un spécialiste de la neuroscience habitant Paris verra prioritairement apparaître les questionnements relatifs à ce domaine comme à la ville où il habite. Dans le même esprit, la pertinence de sa réponse sera ensuite évaluée par ses pairs, qui peuvent voter « pour » ou « contre » : les explications les plus claires et utiles sont donc mises en avant par ce système, tandis que les réponses les moins sensées restent à l’inverse en retrait. L’enjeu est de taille au moment où les fake news prolifèrent.

Ce réseau social pas comme les autres permet de répondre à des questions très ciblées, dont on ne trouve pas forcément les réponses ailleurs, telles que « Comment adopter un adolescent ? » Robert Cezar Matei, responsable produit de Quora, se souvient pour sa part d’avoir posté sur la plateforme une photo de réservoirs d’eau en bois pendant son passage à Yreka, une petite ville de Californie, afin d’en savoir plus sur leur origine : la réponse lui est parvenue en quelques minutes, signée d’un habitant de la région.

Quora s’appuie aussi grandement sur la personnalisation de la plateforme : les profils des membres permettent de retrouver toutes leurs réponses mais aussi leurs domaines de compétence ou d’intérêt. À l’inscription, il est d’ailleurs obligatoire d’en indiquer au moins 10 différents. Les utilisateurs se sentent d’autant plus responsabilisés par cette exigence d’exactitude, dont la communauté peut juger directement grâce à leur historique public d’interventions. Ils conservent par ailleurs leur droit d’auteur sur ces dernières, dont ils peuvent télécharger une archive exhaustive en un clic.
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Une modération dédiée à la lutte anti-trolls

Bien sûr, le risque zéro n’existe pas, comme le reconnaît Robert Cezar Matei, responsable produit de Quora : « Les gens font souvent même reproche à Wikipédia, mais 99,9 % du contenu est vrai car ils ont suffisamment de systèmes pour corriger ça. C’est pareil sur Quora. On ne peut jamais avoir confiance à 100 % dans une source mais il faut juste s’appuyer sur les bons systèmes pour réduire le taux d’erreur. »

En l’occurrence, en plus de miser sur les évaluations des spécialistes concernés, Quora s’appuie sur du machine learning puis sur de la modération humaine. « Celle-ci reste la dernière ligne de défense, précise Adam D’Angelo. Elle est utilisée prioritairement pour s’assurer que Quora reste un espace sécurisé. »

C’est l’obsession de l’équipe et sa règle d’or : s’assurer que la plateforme ne soit pas envahie par des trolls et autres adeptes de harcèlement, deux fléaux qui ont coulé d’innombrables forums et autre espaces de discussion. Les modérateurs se tiennent donc prêts à agir pour empêcher la moindre attaque personnelle, celles-ci étant strictement interdites.

La vie pratique, principal centre d’intérêt sur Quora

Sur la version anglophone de Quora, les principales interrogations tournent autour de la vie pratique, comme l’explique son fondateur : « Le cinéma, les conseils d’utilisation d’une appli de smartphone, les recettes de cuisine… les sujets les plus populaires sont ceux qui parlent le plus aux gens. » Les mêmes tendances seront-elles observées en France ? La beta test a révélé un intérêt marqué pour l’élection présidentielle, actualité oblige. Mais aussi des interrogations sur le tiers payant généralisé — éclaircies par une infirmière — ou encore sur les énergies renouvelables, dont le rôle a été explicité par un spécialiste du sujet, riche de son expérience d’ancien membre de ministère.

Quora, qui commence à se financer grâce à la publicité ciblée — sur sa version anglophone uniquement pour l’instant alors que la plateforme francophone ne risque pas d’être concernée « avant des années »  –, valorise autant les questions-réponses liées à une actualité que les explications à valeur durable, de celles qui expliquent par exemple un fait scientifique ou historique.

Ce contenu est accessible en permanence, à la manière d’une immense base de données ouverte, conformément à la volonté de son fondateur : « Quand quelqu’un répond à une question, celui qui l’a posée n’est pas la seule à avoir sa réponse : elle est aussi offerte à tous ceux qui partageaient son interrogation sans l’avoir formulée ». Pour la version francophone, Adam D’Angelo a fait le choix de construire la communauté de zéro plutôt que de traduire des contenus déjà existants en anglais. Il n’évoque aucun objectif chiffré à plus ou moins long terme mais veut simplement observer si le succès est au rendez-vous.

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« Pour un sujet traité sur Wikipédia, on peut dénombrer 500 questions sur Quora »

Bien que l’entrepreneur affirme n’avoir aucun concurrent direct, Wikipédia s’approche le plus, sur le web, du créneau occupé par Quora. Même si les deux plateformes diffèrent dans leur approche, le premier étant à valeur encyclopédique et le second recouvrant un sceptre bien plus large, ouvert à la subjectivité. Robert Cezar Matei nuance ainsi : « Wikipédia contient des informations considérées comme importantes, il y a une certaine barre d’intérêt à franchir pour y entrer. […] Nous n’avons pas cette limite et pour chaque article de Wikipédia, on peut trouver 500 questions thématiques sur Quora concernant différents angles. »

Il ajoute : « Nous n’essayons pas de faire ce qu’ils font, et eux non plus ne nous imitent pas. D’ailleurs, Jimmy Wales, le fondateur de Wikipédia, est un investisseur et un grand fan de Quora, donc nous avons une bonne relation. » Ce dernier est déjà intervenu sur la plateforme, au même titre que d’autres personnalités comme Hillary Clinton, Justin Trudeau, Yanis Varoufakis ou encore Sheryl Sandberg, de Facebook, signe du poids occupé par Quora.

« Quelle tactique adopter pour envahir le château de Disneyland ? »

Le site se présente également comme un lieu d’échanges, pour ouvrir le débat, sans forcément apporter une réponse définitive. On y trouve ainsi des interrogations très ouvertes telles que « pourquoi soutenez-vous Donald Trump ? », « quelle est votre plus grande peur ? »,  « comment choisir entre deux buts différents ? »…

On y trouve aussi des questions décalées, qui reposent sur des scénarios théoriques un peu absurdes. Robert Cezar Matei n’est pas près d’oublier la plus marquante d’entre elles : « Ma préférée, dans ce genre-là, c’était : « Si une armée étrangère veut conquérir le château de Disneyland, quelle tactique faudrait-il adopter? » Et un capitaine de l’armée américaine lui a répondu : « Voilà, si on veut envahir Disneyland, c’est comme ça qu’il faut faire… » avec une explication très détaillée. »

Parmi les dernières questions posées par les beta-testeurs francophones, l’une suscite un débat important : « Avec l’arrivée de la version française, pensez-vous que Quora connaîtra le même succès en France qu’aux USA ? »

Début de réponse dès aujourd’hui.


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