L’Unesco a adressé un courrier au W3C, organisme chargé d’encadrer la conception des standards du web, pour lui faire part de ses craintes. L’agence onusienne ne voit pas d’un bon œil le fait de faire des DRM des standards du web.

Si la critique à l’encontre des DRM n’a vraiment rien de surprenant lorsqu’elle émane d’organisations comme l’April, le Parti pirate ou la Free Software Foundation, du fait de leur militantisme politique contre toute initiative visant à étendre un quelconque contrôle de l’usage des contenus numériques dans le cercle privé, il est en revanche beaucoup plus inattendu de voir une institution comme l’Unesco, plus habituée à la retenue diplomatique propre aux instances internationales, se joindre au concert des protestations.

Acronyme anglais de « Digital Rights Management », les DRM sont des outils de gestion des droits numériques. Ils servent à contrôler l’accès aux œuvres numériques (film, livre, musique…) et l’usage qui en est fait sur les équipements (PC, smartphone, tablette…). Il est interdit de contourner ces dispositifs de contrôle d’usage dans la loi française, sauf dans des cas très particuliers.

C’est pourtant ce que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture vient de faire. Comme le remarque Boing Boing, le sous-directeur général pour la communication et l’information de l’Unesco, Frank La Rue, s’est fendu d’une missive qu’il a adressée à Tim Beners-Lee, directeur du World Wide Web Consortium (W3C) et père du web, pour lui dire que les DRM lui posent quelques problèmes.

Plus exactement, ce sont les DRM pour le web qui sont la cible de l’ancien rapporteur spécial à l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, c’est-à-dire les extensions pour médias chiffrés (Encrypted Media Extensions, EME). Ceux-ci fournissent des interfaces de programmation applicative (API) pour contrôler la lecture d’un média intégré à une page HTML, avec chiffrement des contenus, et les extensions pour sources de médias (Media Source Extensions) qui servent à utiliser le langage JavaScript pour générer des flux de médias. Ces spécifications ont été conçues pour intégrer le HTML5,  le standard du web qui a été formalisé fin 2012.

Frank La Rue

Frank La Rue
CC Violaine Martin

Mais c’est en février 2013 que les choses ont basculé. Le W3C, jusqu’alors toujours engagé à élaborer un web ouvert et transparent, a commis pour la première fois de son histoire une entorse majeure à ses principes en engageant un travail d’écriture de spécifications de DRM en HTML5 pour rendre impossibles à enregistrer les vidéos vues sur un navigateur sans passer par des plug-ins propriétaires comme Windows Media ou Quicktime. C’était un tournant dans l’histoire des standards du web.

L’orientation a provoqué une levée de boucliers et l’Electronic Frontier Foundation, une puissante organisation américaine de défense des libertés individuelles dans l’environnement numérique, avait déposé une objection formelle. « Les menaces de l’industrie du divertissement pour imposer un contrôle demeurent identiques : si vous ne faites pas comme nous le disons, vous n’aurez pas nos contenus premiums et votre technologie restera hors de propos », s’inquiétait-elle.

La Constitution de l’Unesco engage l’organisation en faveur de la libre circulation des idées et de l’information

« La Constitution de l’Unesco engage l’organisation en faveur de la libre circulation des idées et de l’information, et dans cet esprit, il y a des inquiétudes sur la façon dont une problématique récente au W3C pourrait l’affecter. En particulier, les préoccupations concernent la normalisation possible des EME dans le HTML5 et son impact sur la façon dont les navigateurs web gèrent les contenus vidéos chiffrés », écrit Frank La Rue dans son courrier daté du 31 mars.

L’intervention de l’Unesco, loin d’être fortuite, survient alors que le W3C, organisme de normalisation à but non lucratif chargé de définir les standards du web et de promouvoir la compatibilité de ces technologies — comme par exemple les formats HTML, PNG, SVG, CSS et XML –, entre dans la dernière ligne droite de la formalisation des DRM pour HTML5 en tant que standard. La dernière version de la spécification date du 16 mars et un avis du comité consultatif du consortium est attendu d’ici le 13 avril.

Menottes

Les DRM. Allégorie.
CC Paul Conneally

Dans sa lettre, Frank La Rue pointe en particulier les menaces qui pèsent sur l’éducation, l’accessibilité et l’ouverture. « Si une ampleur particulière est donnée aux EME normalisées, combinées avec des mécanismes DRM, cela pourrait avoir un impact sur les navigateurs au point de rendre impossible l’exercice des utilisateurs de leur droit légal d’une utilisation équitable des vidéos sous copyright, y compris l’adaptation des contenus au profit des personnes handicapées », prévient-il.

« La même fonctionnalité technique pourrait également conduire, même par inadvertance, à ce que certains contenus gratuits et ouverts sous licence comme par exemple des ressources éducatives soient prises dans les filets des EME-DRM. Dans certains cas de figure, il se pourrait que même l’interopérabilité et la neutralité du net puissent être affectées par l’exploitation de la technologie EME standardisée », poursuit le sous-directeur général.

Et ça ne s’arrête pas là.

Cette standardisation pourrait avoir d’autres implications, selon Frank La Rue, par exemple sur la découverte de vulnérabilités dans des contenus protégés par le droit d’auteur, sur la vie privée, l’accès à l’information ou encore la faculté de s’y opposer ou non. Dans ces conditions, Frank La Rue souhaite que toute décision sur l’adoption ou non des EME tienne compte de la nécessité et de la proportionnalité du stansard proposé et demande s’il y a des solutions de compromis susceptibles de réduire les potentiels risques.

Sera-t-il entendu ?

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