Le projet de loi copie privée, dont l’examen parlementaire commence ce mercredi en séance plénière, prévoit de modifier la définition juridique de la copie privée, pour en limiter le bénéfice aux seules copies réalisées à partir d’une « source licite ». Ce qui est beaucoup moins évident qu’il n’y paraît…

Alors que le projet de loi copie privée devait uniquement régler des questions liées à la perception de la rémunération sur les supports numériques, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale a adopté un amendement de fond sur la définition-même de ce qu’est une copie privée. Comme le fait remarquer La Quadrature du Net, qui dénonce une atteinte aux droits du public, il a été introduit le concept de « licéité de la source », qui n’était pas présent dans le texte de 1985.

Si le projet de loi est adopté en l’état, l’article L122-5 2° du code de la propriété intellectuelle disposera désormais que « l’auteur ne peut interdire (…) les copies ou reproduction réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective« . La copie pour usage privé ne serait donc légale que si l’œuvre copiée avait elle-même été diffusée ou reproduite avec l’autorisation des ayants droit. Or cette question fait l’objet depuis de nombreuses années d’un débat acharné dans la glose des juristes, sans qu’elle n’ait jamais été tranchée par la jurisprudence. Le projet de loi pourrait donc profiter d’une mise à jour essentiellement technique sur la « taxe copie privée » pour trancher dans un sens qui oblige le consommateur à faire une analyse juridique de sa copie pour savoir si elle risque d’être qualifiée de contrefaçon.

Peut-on être sûr que la source de la copie est légale ?

« En introduisant la notion de  » licéité de la source « , les députés imposent que chacun, pour faire une copie en vue d’un usage privé, se livre à une analyse juridique basée sur des éléments la plupart du temps impossibles à déterminer. La source utilisée pour réaliser l’acte de copie privée était-elle licite ? S’il s’agit d’une diffusion sur Internet, qui l’a mise en ligne ? Cette personne avait-elle une autorisation de l’auteur ? etc. Autant de questions qui n’auront jamais de réponse en pratique, et qui rendront par défaut la copie illicite« , critique à juste titre la Quadrature du Net.

Jusqu’à présent, seul le propre comportement du copiste était pris en compte, il pouvait donc lui-même le déterminer. Désormais, il devra connaître le comportement de ceux qui l’ont précédé dans la chaîne de reproduction de l’œuvre, ce qui se relève impossible. Même le label PUR de l’Hadopi ne tranche pas la question, puisqu’il se contente de dire si personne n’a contesté la légalité de l’offre, sans affirmer que celles qui sont labellisées sont bien légales. Or même les offres qui paraissent parfaitement légales ne le sont pas toujours, comme l’a montré la procédure engagée par la Sacem contre des labels PUR demandés par des plateformes de VOD.

Inscrire dans la loi ce que la jurisprudence n’a pas voulu trancher

Officiellement, l’amendement voté vise à prendre en compte la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui a établi depuis 2008 que la rémunération pour copie privée ne devait prendre en compte que « la perte de revenus engendrée par l’usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d’œuvres« . Mais jamais le Conseil d’Etat n’a dit que la « source illicite » était elle-même génératrice d’une copie illicite. Il avait voulu viser ici l’utilisation illicite des copies, constituée par leur mise à disposition sur les réseaux P2P.

Véritable patate chaude, la question de la source licite ou illicite de la copie privée aurait pu être tranchée dans l’affaire de Rodez. Un homme avait été poursuivi pour avoir copié 488 films sur CD-Rom. Dans son arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation avait reproché à la première cour d’appel d’avoir ignoré les arguments des parties civiles, qui demandaient que la licéité de la source soit examinée avant de dire s’il s’agissait de copies privées. Mais en renvoi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait botté en touche dans un arrêt du 5 setptembre 2007, condamnant le prévenu sur la base de la mise à disposition des copies à ses amis, sans s’intéresser non plus à la source.

Une jurisprudence « en queue de poisson« , comme l’avait écrit le juriste Lionel Thoumyre, et qui finit par une queue de poisson législative.


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