C’était un événement important dans le petit milieu médiatique en juin dernier : Amazon allait lancer en France son enceinte connectée Echo, ce cylindre d’une quinzaine de centimètres de haut nourri par Alexa, l’assistant audio du géant américain du e-commerce.
Pour s’assurer de conquérir le foyer des Français comme elle l’a fait aux États-Unis, la firme de Jeff Bezos avait misé sur une intense stratégie de partenariat avec des médias français, comme nous vous en racontions les coulisses à l’époque. Des équipes de la multinationale avaient multiplié les rencontres avec les rédactions, les encourageant à produire du contenu exclusif pour Amazon Echo, prodiguant des conseils, les guidant même sur le meilleur format à adopter.
Un an plus tard, le bilan est amer. Plusieurs médias phares ont abandonné la fabrication de flashs d’information quotidien spécifiques à la plateforme, tandis que d’autres continuent, sans grande conviction, en attendant de voir si les utilisateurs se multiplieront un jour. Les flashs info sur mesure sont-ils encore perçus comme « the place to be » ? Les discours ont un peu changé depuis.
« Ne marche plus »
Il suffit de faire un tour sur l’application Alexa d’Amazon pour constater la déception des utilisateurs. « La skill était bien pensée et agréable… Mais elle n’est plus mise à jour depuis avril 2019 », « Ne marche plus »… Les commentaires sous l’application du Parisien vont droit au but. L’an passé, le quotidien français avait été l’un des plus réactifs à l’appel d’Amazon, qui cherchait en France des partenaires pour proposer une offre médiatique complète au lancement de son enceinte Echo.
Plus d’une vingtaine avait répondu à l’appel (Le Parisien, Sud-Ouest, RTL, Capital, LCI, L’Équipe, France Inter, Télé Loisirs, Brut, BFM TV, RMC Sport…) et accepté de développer gratuitement une skill, comme Amazon les appelle. Il s’agit d’une fonctionnalité spécifique que l’utilisateur ajoute à son assistant Alexa, et qui lui permet de commander du contenu par la voix. Plusieurs médias avaient ainsi construit des flashs info sur mesure, que les futurs usagers pourraient écouter au saut du lit, ou au cours de la journée, pour se tenir informés.
Un an plus tard, plusieurs ont toutefois cessé leurs activités : Le Parisien n’alimente plus son flash info depuis avril (il a depuis lancé début mai 2019 un nouveau podcast bien plus chiadé, Code Source, sur lequel la rédaction se focalise), pour lequel il payait des pigistes supplémentaires. « Nous avons décidé de miser sur un programme plus ambitieux éditorialement qu’un simple flash de trois minutes, format sur lequel il était compliqué de se distinguer face aux propositions des radios ou des chaînes d’info en continu », explique Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions, à Numerama. Il précise néanmoins qu’il n’est « pas question de se couper des enceintes connectées pour autant. Code Source a d’ailleurs sa propre skill Alexa. »
Brut ne produit plus non plus de nouveautés — le média vidéo avait notamment un petit partenariat avec Amazon au lancement de son réveil connecté Echo Spot en octobre 2018 et fournissait des contenus visuels quotidiens. La Charente Libre a également cessé de fournir des infos quotidiennes. Même constat pour Télé Star.
Contacté, Amazon indique ne pas commenter officiellement la situation, mais donne des éléments de contexte : selon l’entreprise, les flashs de Télé Star et La Charente Libre devraient revenir sous peu (edit: celui de Télé star est bien revenu une semaine plus tard sous une autre forme), tandis que Le Parisien ne ferait que « modifier le format » de ses podcasts. Brut travaillerait sur d’autres projets en rapport avec les produits Amazon. Le constat s’impose toutefois : les skills sur mesure de ces quatre médias, qui faisaient partie des partenaires à l’origine du lancement d’Amazon Echo, sont inaccessibles depuis plusieurs semaines.
Plusieurs flashs persistent
Nous sommes retournés écouter les différents skills toujours actifs parmi les 20 qui existaient au lancement. Au sein de ceux qui continuent « l’aventure » Amazon, on compte Capital, L’Équipe, les éditos politiques de Christophe Barbier (L’Express) et d’Yves Thréard (Le Figaro), BFMTV (bien que l’on murmure çà et là que le succès est mitigé, et que sa pérennité n’est pas garantie) et le HuffPost.
Matthieu Balu est responsable quotidien de Quoi de Huff ? L’info surprenante du jour, où un journaliste de la rédaction narre une anecdote actuelle ou info insolite. Il considère que le bilan est positif, à « la mesure de l’investissement en hommes et en temps. On a fait en sorte que ça pèse le moins possible sur la charge de travail globale », nous raconte-t-il.
« On est content d’en avoir fait partie dès le début, si jamais il se passe quelque chose »
Le travail que fournissent les rédactions pour créer du contenu sur-mesure pour l’enceinte connectée d’Amazon (et aujourd’hui Google Assistant pour certains) est gratuit, mais beaucoup préfèrent le voir comme un investissement sur l’avenir. « On est content d’en avoir fait partie dès le début, si jamais il se passe quelque chose », confie Matthieu Ballu. « C’est sûr, on n’attend pas de retours [financiers] incroyables, mais il arrive qu’on ait quelques sponsors. »
De son côté, Julien Mielcarek, directeur de la rédaction de BFMTV, nous indique : « Fidèle à notre slogan Première sur l’info, il est essentiel pour nous d’être présent là où les nouveaux usages se développent. C’est pour cela qu’on a lancé une production inédite de flashs infos réalisés par un desk dédié (…) Depuis le lancement, l’écoute est en progression constante, et les flashs sont aussi désormais accessibles sur notre site et notre application.» BFMTV a depuis développé d’autres « rendez-vous » audio, pas uniquement dédiés aux enceintes intelligentes
En 2018 déjà, le même discours émanait des médias : il faut y être, « au cas où » l’objet tech deviendrait le compagnon indispensable des Français.
Ce discours est très répandu au sein des rédactions françaises, contraintes de s’adapter aux innovations technologiques par peur de louper le coche de la prochaine révolution. Ce modèle — les plateformes tech proposent, les médias disposent — a l’inconvénient de contraindre les médias à s’adapter constamment à des modèles sur lesquels ils n’ont pas ou peu de prises. On pense par exemple aux Instant Articles sur Facebook, d’abord suivis par les médias, puis abandonnés peu à peu, ou encore les vidéos en direct, un temps privilégiée par l’algorithme de Facebook.
Les flashs infos voulus par Amazon au lancement de l’Echo étaient relativement similaires (en plus d’être très cadrés) : un « recap » de l’actualité, court, en fonction des tendances de chaque média. Mais comme l’a relevé Pierre Chausse du Parisien, l’intérêt pour les utilisateurs de s’abonner à plusieurs skills était moindre : à moins d’être férus d’information, rares sont les usagers qui écoutent plusieurs bulletins à la suite, au risque d’entendre plusieurs fois la même chose.
Les pratiques restent timides
Quid des utilisateurs d’enceintes connectées, justement ? Pour l’instant, les résultats sont timides. Dans une récente étude du 28 mai 2019, le CSA et l’Hadopi ont montré que seuls 7 % des Français avaient utilisé une enceinte connectée dans les 30 derniers jours. Et parmi ces consommateurs, 64 % l’avaient utilisée au cours du mois au moins un fois pour écouter un flash info (soit environ 4 % des Français). Cela n’empêche pas les rédacteurs de l’étude de prédire aux enceintes connectées un destin similaire aux tablettes, avec un taux de pénétration des foyers français de 36 % d’ici 2025.
Aujourd’hui, les propositions 100 % originales (et de qualité) sont minces. Au-delà de la demi-douzaine de contenus sus-mentionnés, certains médias comme 20 Minutes ou Sud-Ouest continuent de faire des flashs en « text-to-voice », c’est-à-dire des articles lus par une voix artificielle particulièrement rebutante.
À l’inverse, de plus en plus de médias fournissent des podcasts (comme Binge Audio*) ou des podcasts-chroniques (comme France Inter, qui découpe et republie ses chroniques sous ce format) qui peuvent ensuite être écoutés grâce aux enceintes connectées comme Amazon Echo ou Google Assistant. Joël Ronez, cofondateur et président de la société de podcasts Binge Audio, nous confie que les enceintes intelligentes restent un produit qu’ils regardent avec attention, estimant que 5 % des écoutes cumulées de leurs podcasts proviennent de ces appareils — un score plus qu’honorable pour un objet qui n’a pas encore investi massivement les foyers français.
Du côté d’Amazon, on parle d’une soixantaine de flashs disponibles — non exclusifs à la plateforme.
* Marie Turcan a participé au podcast Next Episode, qui est produit par Binge Audio, pour des chroniques qui ont été rémunérées à hauteur de 350 euros au total, depuis le début de l’année 2018. Elle participe aussi bénévolement depuis deux ans au podcast Un Épisode et J’arrête en tant que membre de l’Association des Critiques de Séries.
Cet article a été mis à jour à 18h pour rajouter la citation du directeur de la rédaction de BFMTV.com.
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