Créé en 2016, Gab est un réseau social très prisé de l’extrême-droite. Robert Bowers, l’auteur présumé de la tuerie antisémite de Pittsburgh, y détenait un compte. Il y a posté un message juste avant d’ouvrir le feu.

Mise à jour du 5 novembre 2018 : depuis le dimanche 4 novembre, le réseau social Gab est de nouveau en ligne, grâce à un nouveau nom de domaine. Business Insider raconte que quelques minutes seulement après sa réouverture, on y trouvait des commentaires antisémites.

Ci-dessous, l’article original publié par Numerama le 29 octobre :

Depuis quelques heures, le réseau social Gab est devenu temporairement inaccessible. Ses fondateurs le disent « attaqué » à la suite de la tuerie antisémite perpétrée le 27 octobre dans une synagogue de Pittsburgh aux États-Unis, qui a fait onze morts et plusieurs blessés. Le lien entre les deux événements ? L’homme inculpé, nommé Robert Bowers, fréquentait le site.

Le site Gab se dit ciblé par les médias. // Source : Capture d'écran Gab / Numerama

Le site Gab se dit ciblé par les médias.

Source : Capture d'écran Gab / Numerama

Il détenait un compte, que Gab a fermé tout de suite après la tuerie. Selon SITE, un groupe d’experts spécialisés dans l’analyse d’organisations extrémistes, il y avait publié des messages violents et antisémites à l’égard de HIAS, l’organisation juive de défense des réfugiés qu’il a ciblée. « HIAS aime amener des envahisseurs pour tuer les nôtres, y était-il écrit. Je ne peux pas rester assis et regarder les miens se faire massacrer, j’y vais. »

Le message posté par Robert Bowers sur Gab, publié par l'agence Associated Press. // Source : Associated Press

Le message posté par Robert Bowers sur Gab, publié par l'agence Associated Press.

Source : Associated Press

Les administrateurs du site ont expliqué avoir été « diffamés » par « les médias mainstream » qui ont cité Gab lorsqu’ils décrivaient les motivations du tueur présumé de Pittsburgh. Avant d’indiquer qu’ils collaboreraient avec la justice dans le cadre de l’enquête sur « l’atrocité commise » samedi 27, ils se sont présentés en défenseurs de la liberté d’expression et des libertés individuelles pour tous.

Andrew Torba, le jeune fondateur de Gab

C’est en 2016 que le site Gab a été lancé. Dans un premier temps réservé à des bêta-testeurs, il est ouvert à tous en mai 2017. Du point de vue du design et du fonctionnement, il ressemble à un mélange entre Reddit et Twitter. Les publications des utilisateurs, qu’on appelle les « gabs », y sont limitées à 300 caractères, et peuvent contenir des images ou des vidéos. Grâce à deux petits boutons, les utilisateurs peuvent les faire remonter ou descendre sur la page d’accueil. Ils peuvent également suivre des utilisateurs dont ils apprécient les contenus.

Son créateur et CEO se prénomme Andrew Torba. Et si ce nom ne vous dit sûrement pas grand chose, aux États-Unis, où il vit, il a déjà sa petite réputation.

Andrew Torba, le fondateur de Gab. // Source : Medium / Andrew Torba

Andrew Torba, le fondateur de Gab.

Source : Medium / Andrew Torba

Dans une interview accordée au New York Times en 2016, il expliquait que pour lui, les réseaux sociaux traditionnels avaient un point commun : ils étaient tous de gauche.

Âgé de 25 ans au moment de la création de Gab, il disait avoir pensé au site à la suite de la lecture d’articles. Dans ces derniers, il avait lu que Facebook supprimait les posts de médias conservateurs.  À l’origine, il appréciait pourtant le réseau social créé par Mark Zuckerberg : avant Gab, il avait créé une autre entreprise baptisée Kuhcoon, qui était spécialisée dans les campagnes publicitaires affichées sur Facebook.

Chrétien, Andrew Torba se place, sur l’échiquier politique, du côté des conservateurs. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a choisi «Gabby », une grenouille, pour mascotte du site. Celle-ci fait directement référence à Pepe the frog, un personnage de bande-dessinée que l’extrême-droite a détourné pour en faire l’un de ses symboles.

Le média Mic racontait qu’il avait été banni du réseau de startups Y Combinator. Selon un collègue de l’époque, il aurait posté une photo de l’un des fondateurs du réseau, d’origine latino-américaine, avec l’inscription « construisez un mur », référence au mur que Donald Trump voulait ériger à la frontière au sud des États-Unis. Il aurait ensuite tenu des propos « hostiles ».

Des utilisateurs majoritairement d’extrême-droite

Gab a rapidement connu le succès. Selon Andrew Torba, le site a atteint dès 2016 les 100 000 inscrits – des chiffres impossibles à vérifier. Une liste d’attente avait été créée, dit-il, pour faire patienter ces utilisateurs trop nombreux pour faire partie des bêta-testeurs.

En juillet 2017, Gab a également indiqué via un billet de blog entrer dans ses frais grâce aux 2 200 utilisateurs de la version « Pro » et payante du réseau social. Le mois suivant, Gab TV, un espace réservé à ces membres leur permettant de publier des vidéos, était lancé.

Parmi les utilisateurs de Gab qui se présente comme « accueillant tout le monde », on trouve majoritairement des hommes, assez jeunes.

Il existe des utilisateurs de gauche, mais ils sont minoritaires, pour ne pas dire quasi-inexistants.

Il existe des utilisateurs de gauche, mais ils sont minoritaires, pour ne pas dire quasi-inexistants. Le site où l’on se moque allègrement des « social justice warriors » (progressistes), est davantage prisé des anonymes ou personnalités d’extrême-droite comme Richard Spencer, mais aussi Milo Yiannopoulous, ou encore, racontait le New York Times, Tila Tequila, une star de la télé-réalité bannie de Twitter après avoir posté des insultes racistes et des messages faisant l’apologie du nazisme.

Pizza Party Ben et Milo Yiannopoulos, lors d'un rassemblement pour Donald Trump. // Source : Know your meme

Pizza Party Ben et Milo Yiannopoulos, lors d'un rassemblement pour Donald Trump.

Source : Know your meme

Ces dernières ont trouvé en Gab un espace où leurs opinions les plus extrêmes ne sont pas considérées comme problématiques. Car même si leurs systèmes de modération sont encore loin d’être infaillibles, Facebook, Twitter, YouTube et d’autres grandes plateformes sévissent de plus en plus contre l’extrême-droite nationaliste et suprémaciste, mêlant discours de haine et désinformation. Des figures de ces mouvances en ont ainsi été bannies.

Richard Spencer, un suprémaciste blanc et militant à l’origine du terme « alternative right » (ou alt-right, on vous expliquait tout dans un article en 2017), avait par exemple salué l’arrivée de Gab après avoir été suspendu de Twitter pour violations des règles d’utilisation.

Selon lui, Twitter « purge les gens en se basant sur leurs opinions », ce qu’il qualifiait de « corporatisme stalinien ».

Les règles d’utilisation et modération souples de Gab

Les règles d’utilisations de Gab interdisent bien certains propos. Il est par exemple proscrit, en théorie, d’y faire la promotion d’activités illégales, de pornographie infantile, d’y menacer de violence ou de terrorisme. Mais Utsav Sanduja, le chargé de communication du réseau social, avait expliqué au New York Times que contrairement à la concurrence, Gab ne s’engagerait pas sur « le chemin de la censure », qu’il s’agisse des fausses-informations, ou de contenus extrêmes voire parfois illégaux.

Dans une interview accordée au site Wired en 2016, Andrew Torba disait lui à ce propos : « Nous voulons que tout le monde se sente en sécurité sur Gab, mais nous ne ferons pas la police pour dire ce qui est du discours de haine et ce qui n’en est pas. »

Alors que Reddit avait sévit au moment de l’élection présidentielle américaine au sujet du Pizzagate – une théorie conspirationniste selon laquelle des politiciens démocrates américains auraient été liés à un réseau de pédocriminel qui agissait depuis une pizzeria –, Gab a laissé les rumeurs se répandre à ce sujet, et ne les a jamais censurées.

Quant aux propos ou « blagues » antisémites, ils ne sont pas encouragés, mais largement tolérés sur la plateforme, de même que certains propos racistes, comme le documente notamment le compte Twitter GabWatch.

Depuis ses débuts, Gab a donc dû composer avec les bannissements. Dès décembre 2016, Apple faisait disparaître l’application du réseau social de son magasin d’applications, l’App Store. En août 2017, Google avait pris une décision similaire. Dans les deux cas, le motif avancé était la présence de discours de haine, et une modération des contenus insuffisante.

Après la tuerie de Pittsburgh, d’autres entreprises ont suivi. L’hébergeur de données Joyent a indiqué qu’il ne travaillerait plus à l’avenir avec le site, puis les plateformes de paiement PayPal et Stripe qui pouvaient servir aux administrateurs pour obtenir des fonds ont fait de même, a-t-il été confirmé au média The Verge. Le réseau social a d’ores et déjà promis qu’il reviendrait aussi vite que possible…

https://twitter.com/getongab/status/1056580964367851521


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