Le casque de réalité mixte d’Apple génère un grand engouement auprès d’une partie de la population, surtout les hommes fans de technologie. Du côté des femmes en revanche, l’attention semble minime, voire inexistante. Pourquoi ce produit semble-t-il tant segmenter ?

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Il y a quelques jours, Apple lançait en grande pompe les ventes du Vision Pro, énième tentative de l’industrie du numérique pour nous convaincre que l’avenir de l’informatique se trouve sur notre visage. À en croire les premiers tests, y compris celui de Numerama, le résultat est techniquement impressionnant. Pourtant, si on observe la couverture médiatique de ce nouveau produit, on se rend compte que les débats portent assez peu sur ses capacités, et davantage sur ses usages concrets ou fantasmés. À quoi peut bien servir le Vision Pro ? 

Ces discussions sont, en soi, intéressantes. Les grandes entreprises du numérique ne nous proposent pas seulement du bon temps ou un gain de productivité avec leurs produits, mais aussi un modèle politique. Quel futur nous promet-on ? Les premiers tests du Vision Pro décrivent une expérience isolante et, au final, un peu étrange. « Je ne sais toujours pas à qui s’adresse ce produit », se demande Kevin Roose, journaliste du New York Times. Je crois savoir à qui il ne s’adresse pas : aux femmes.

Mon premier argument est très personnel. Les expériences de réalité virtuelle me rendent terriblement malade (nausées, migraines, etc), comme beaucoup d’autres femmes. Or, même si Apple insiste pour marketer son Vision Pro comme de la réalité augmentée, il s’agit bien d’un casque de réalité virtuelle. On regarde un écran qui peut nous diffuser, si on le souhaite, ce qui se passe à l’extérieur. L’entreprise admet d’ailleurs sur son site que son appareil peut provoquer le mal des transports et plusieurs tests mentionnent des problèmes de cinétose. Ils citent aussi des détails moins graves, mais qui pourraient freiner son utilisation dans certains contextes : le casque décoiffe et étale le maquillage, il fonctionne grâce à une batterie externe qu’on peut glisser dans sa poche, pourvu qu’on ait des poches

Exemple d'un commentaire YouTube laissé sous le test de l'Apple Vision Pro chez Numerama.
Exemple d’un commentaire YouTube laissé sous le test de l’Apple Vision Pro chez Numerama.

L’autre raison de mon scepticisme revient à la question du début de cet édito. À quoi peut bien servir le Vision Pro ? Des internautes plaisantent déjà sur le fait de l’utiliser pour regarder des films pornographiques en public (note : l’offre est limitée pour le moment) ou espèrent l’arrivée prochaine de logiciels capables de « déshabiller » virtuellement les femmes (sans aller jusqu’à ces extrémités, les lunettes connectées posent déjà de nombreux problèmes de vie privée). D’autres se filment en train de marcher dans la rue, de manger au restaurant ou de conduire une voiture avec le casque. Il s’agit de séquences montées de toutes pièces pour créer l’indignation et donc la viralité sur les réseaux sociaux

Il n’empêche que j’ai du mal à imaginer qu’une femme puisse se balader le visage couvert par un Vision Pro, pour rire ou pour de vrai. Et si cela obstruait suffisamment ma vue pour me mettre en danger ? Et si cela attirait trop l’attention sur moi ? On a déjà assez d’emmerdes en marchant simplement dehors, sans appareil à 3500 dollars sur le nez. Et à l’inverse, je me sentirais tout de suite mal à l’aise si je croisais un homme portant un casque capable de me filmer (comme je me méfie déjà de ceux qui ont leur portable à la main dans le métro ou dans la rue).

Il y a 10 ans, le smartphone était « castrateur »

Il faut souligner qu’Apple n’a pas conçu son casque pour une utilisation en public. Au contraire, dans ses différentes vidéos promotionnelles, la marque insiste sur des cas de figure en intérieur (et d’ailleurs souvent incarnées par des femmes) : regarder des films, appeler quelqu’un d’autre en visioconférence, télétravailler depuis une chambre d’hôtel, etc. Mais il y a l’intention de la marque, puis il y aura l’utilisation concrète de ses produits par son public. Beaucoup de personnes ont comparé le phénomène à celui des glassholes, les premiers utilisateurs (je genre au masculin volontairement) des Google Glass qui s’affichaient, eux aussi, avec des lunettes connectées dans des contextes inappropriés. 

Une dizaine d’années plus tard, la technologie a progressé, et notre relation avec. Il n’est plus anormal de voir des gens partager des vidéos d’inconnus en ligne, ou de perturber l’espace public pour filmer une séquence pour YouTube ou TikTok. Pourtant, je trouve pertinent de relire les articles qui ont été publiés à l’époque. En 2013, Sergey Brin, co-fondateur de Google, faisait la promotion des Google Glass en se plaignant qu’utiliser son smartphone serait un acte « castrateur »

En fouillant mes archives, je suis aussi retombée sur ce texte du sociologue et chercheur anglais Christopher Till, qui écrivait ceci : « Brin a raison, il y a quelque chose de masculin aux Google Glass, car c’est une machine conçue pour regarder, et améliorer l’expérience de regarder. » On peut penser à la théorie du male gaze développée par Laura Mulvey dans les années 70, depuis critiquée par sa propre autrice, mais très efficace pour faire comprendre que le regard des hommes hétérosexuels n’est pas neutre, et souvent synonyme de pouvoir.

Bien sûr, il existe déjà des utilisatrices du Vision Pro, comme des femmes ont utilisé des Google Glass auparavant. Mon interrogation porte plutôt sur la philosophie de cet appareil et son ancrage dans notre société genrée. Avez-vous envie d’un casque connecté, ou de voir le monde comme un homme ?

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