Avec le rachat de Twitter par Elon Musk, émerge l’idée d’une fin des réseaux sociaux tels qu’on les a toujours connus. Ce changement aurait lieu au profit de services fondés sur un flux continu. Il est dans l’intérêt des plateformes de nous faire oublier notre individualité. Mais, sans nous, elles ne servent à rien. C’est le sujet de la newsletter de Numerama, écrite par Lucie Ronfaut, #Règle30.

Personne ne déteste plus Twitter que les gens sur Twitter. C’est particulièrement vrai depuis la semaine dernière et son rachat officiel par Elon Musk, à la suite d’un feuilleton médiatico-financier franchement interminable. L’homme le plus riche du monde a célébré cette joyeuse (?) occasion en s’adonnant à ses passe-temps préférés (attaquer la pressepartager des fausses informations et des mèmes ringards) tandis que les utilisateurs et utilisatrices de son nouveau réseau social se sont occupé·es des leurs (écrire des longs threads vaguement pompeux annonçant leur départ de Twitter, ou au contraire pourquoi iels restaient). Pendant ce temps, journalistes, éditorialistes et simples internautes s’interrogent. Assiste-t-on au début de la fin de Twitter, et des réseaux sociaux en général ?

Mon analyse en exclusivité : je n’en sais rien ! Et personne n’en sait rien ! Mais, ces réflexions ont une certaine logique. On assiste actuellement à des moments de faiblesse chez des plateformes qui régissent notre quotidien en ligne depuis une quinzaine d’années, et que l’on pensait éternelles. Meta perd de l’argent ; Snap perd de l’argent ; YouTube et Instagram cherchent désespérément à ressembler à TikTok, se transformant petit à petit en des flux continus de contenus où les créatrices et les créateurs ont moins d’importance. Ces difficultés économiques sont ressenties de manière très concrète par les internautes, qui se retrouvent harcelé·es de fonctionnalités qu’iels n’ont pas forcément demandé (ne me parlez pas des Reels, je vais me fâcher) et qui perdent progressivement les avantages qui les avaient attiré·es vers ces plateformes : se tenir au courant de la vie d’ami·es, rencontrer de nouvelles personnes, partager leurs créations et suivre le travail d’autres artistes, etc. Autrement résumé par ce tweet de l’autrice merrritt k : « beaucoup de gens qui ont grandi en ligne sont en train de réaliser que l’internet qu’ils ont connu est mort, et qu’à la place il n’y a que des espaces de plus en plus étroits qui découragent la production artistique ou le développement de communautés. Internet, c’est fini. Il ne nous reste plus qu’à traîner de nouveau ensemble.« 

"J'arrive pas à croire que la conclusion d'Elon [Musk], après tout ce qu'on a vécu ces dix dernières années, c'est qu'être le propriétaire d'un réseau social pourrait être quelque chose de marrant."
« J’arrive pas à croire que la conclusion d’Elon [Musk], après tout ce qu’on a vécu ces dix dernières années, c’est qu’être le propriétaire d’un réseau social pourrait être quelque chose de marrant. »

Ce qui est plus probable, et moins mélodramatique, c’est que les réseaux sociaux ne sont pas en train de mourir, mais que c’est notre vieille conception du web qui est dépassée. Énormément d’internautes adorent ces flux automatisés ! Et, il est tout à fait possible d’entretenir des liens avec ses proches via d’autres types de plateformes, comme Discord. Cela étant dit, je ne crois pas que les algorithmes ont gagné pour autant. Comme le rappelle ce super édito de The Verge (en anglais)« Twitter n’est pas intéressant à cause de sa technologie, mais de ses utilisateurs et ses utilisatrices ». Ce même article souligne à juste titre que l’enjeu principal du web d’aujourd’hui est la modération des contenus. Le rachat de Twitter ; la puissance de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro ; l’influence directe et indirecte de l’Europe sur l’industrie des nouvelles technologies ; l’invisibilisation des femmes et des minorités en ligne ; les ados qui utilisent des métaphores pour parler de suicide ou de sexualité, par peur d’être censurés de manière automatique. Tous ces sujets sont différents, mais liés par la même tension : le choix de ce que l’on peut voir, ou non, en ligne, et les conséquences sociétales et politiques de ces choix. On ne fait pas plus humain que ce genre de prise de tête.

La richesse des réseaux sociaux, c’est nous. La violence des réseaux sociaux, c’est nous. On entendra toujours plus parler d’Elon Musk ou de Mark Zuckerberg que de streameuses harcelées. Dans les deux cas, il s’agit de personnes qui participent à la vie du web, et qui devraient avoir autant d’importance. La vérité, c’est que malgré les décisions économiques et absurdes qui façonnent et façonneront nos vies en ligne, malgré les injustices et la violence qu’on y subit et subira, avec ou sans ces entreprises, nous continueront à poster. Parce qu’exister en ligne, c’est drôle. Parfois nécessaire. Souvent politique, quand on appartient à une catégorie de personnes peu ou mal représentées. Il est dans l’intérêt des plateformes que l’on oublie notre individualité. De nous réduire à des pouces qui scrollent, des yeux à attirer, des porte monnaies à séduire, des paquets de données sans exigence ni opinion sur le web d’aujourd’hui et de demain. Mais nous sommes des êtres humains. Nous vivons en ligne et nous y créons toujours des liens, avec ce que cela a de dégueulasse et de génial. Sans nous, un réseau social n’est qu’une machine inutile.

La revue de presse de la semaine

Ceci n’est pas un #MeToo

J’en ai parlé rapidement dans mon édito, mais je voulais évidemment aborder le mouvement des streameuses françaises qui ont témoigné, la semaine dernière, du harcèlement sexuel constant dont elles font l’objet. Cet article du Monde fait un bon tour du problème, entre les plateformes qui ne prennent pas leurs responsabilités (Twitch, mais aussi Reddit ou Discord) et leurs homologues masculins qui font semblant de ne rien voir. C’est à lire ici.

Mollo les modos

Et justement, Numerama a récemment consacré un article aux modérateurs et aux modératrices bénévoles de Twitch. Ce travail très chronophage, essentiel à la bonne tenue des lives, se fait souvent dans l’ombre, et la plupart du temps sans compensation financière. C’est à lire par ici.
 

RIP (1)

Je suis toujours un peu chagrinée de découvrir le travail de femmes qui ont marqué l’industrie des nouvelles technologies au moment de leur décès. Pour autant, j’avais envie de relayer cet article célébrant la vie de Kathleen Booth, informaticienne britannique qui a écrit le premier langage assembleur, et contribué au développement de plusieurs ordinateurs électroniques dans les années 50, parmi les premiers de leur genre. Elle avait 100 ans. Si vous voulez en savoir plus sur sa carrière, rendez-vous sur le site de The Register (en anglais).


RIP (2)

J’en profite aussi pour célébrer la vie et le travail d’une autre grande professionnelle, cette fois-ci dans les jeux vidéo. Rieko Kodama était une développeuse japonaise, productrice et graphiste, qui a travaillé chez Sega dès les années 80, à une époque où les femmes étaient très rares dans les studios. Elle a notamment participé à la création du célèbre jeu Sonic The Hedgehog. Elle est morte à l’âge de 58 ans. Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article du Monde.

Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer

The tea master and the detective

Dans un futur lointain, une détective fantasque s’offre les services d’une infuseuse, spécialisée dans la fabrication de thé spéciaux pour augmenter les capacités du corps humain dans l’espace. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une personne ordinaire, mais de l’ancienne IA d’un vaisseau de guerre, traumatisée après la disparition tragique de son équipage. Un mystérieux cadavre va les forcer à collaborer.

Si ce résumé vous dit vaguement quelque chose, c’est normal : The tea master and the detective est une histoire inspirée par Une étude en rouge, l’une des plus célèbres enquêtes de Sherlock Holmes. Elle fait partie de l’univers de Xuya, une série de nouvelles et romans de l’autrice française Aliette de Bodard, qui prend place dans un futur où l’humanité vit en partie dans l’espace et où la culture asiatique (notamment vietnamienne et chinoise) est dominante. Cette courte histoire est davantage un hommage à Sherlock Holmes qu’une réinterprétation rigoriste de l’œuvre d’Arthur Conan Doyle, pour le meilleur : on s’attache très vite aux personnages et leurs affres personnelles, grâce à l’écriture riche et précise de l’autrice. C’est surtout une introduction alléchante à l’œuvre d’Aliette de Bodard (petite originalité, elle écrit en anglais), qu’il me tarde d’explorer plus en détails. Je vous la recommande chaudement !

The tea master and the detective, d’Aliette de Bodard, disponible en ebook ou en version physique chez JABberwocky (en anglais).


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