La surface lunaire a déjà été parcourue à de nombreuses reprises par des humains, mais ses grottes, elles, sont encore inexplorées. L’ESA prévoit la construction de deux robots qui seront chargés de mener les premières missions souterraines sur notre satellite.

Si la Lune a été foulée du pied par quelques astronautes, a vu des voitures rouler à sa surface, divers engins forer sa croûte et même accueilli une balle de golf et un javelot, jamais ses grottes n’ont pu être explorées.

D’ailleurs, l’existence de ces structures est assez peu connue du grand public. Pourtant, depuis quelques années maintenant, elles sont scrutées de près par les différentes agences spatiales. L’ESA (agence spatiale européenne) a même lancé un appel à projets le 16 mars 2022 pour construire un robot capable d’aller voir ce qui se cache sous le sol de notre cher satellite.

« Il y aura en fait deux robots, nous raconte Loredana Bessone, responsable du suivi technique du projet. Le premier avec une grue descendra le second au bout d’un câble pour qu’il aille scanner l’intérieur de la grotte. »

À la conquête des tunnels de lave

Mais avant tout, d’où viennent ces grottes ? Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, elles n’ont pas été formées par des impacts de météorites. Ni comme souvent sur Terre avec de l’eau, mais bel et bien par de la lave. Le phénomène est connu et observé à de multiples reprises sur Terre. Lorsqu’une coulée volcanique se déroule, elle finit par se refroidir à la surface, formant une croûte. Mais à l’intérieur, la lave s’écoule encore, jusqu’à ce que l’éruption se termine. Lorsque toute la lave est partie, elle laisse derrière elle une cavité.

Ainsi, un tunnel impressionnant, le Kazumura, peut-être observé à Hawaï. Il mesure 65 kilomètres et s’enfonce à plus de 1 000 mètres sous la terre, avec une largeur de quelques mètres. Il est d’ailleurs impossible d’avoir des structures plus larges à cause de la gravité.

Marius Hills Pit
Marius Hills Pit, l’entrée de la grotte.

Mais justement, la gravité est beaucoup plus faible sur la Lune, il serait donc théoriquement possible d’avoir des tunnels plus grands, non ? La réponse est oui ! Ce type de tunnel géant est théoriquement possible. Dès les années 1970, des chercheurs ont comparé les rainures visibles à la surface de la Lune, et ont comparé avec les phénomènes volcaniques hawaïens pour arriver à la conclusion qu’avec une gravité comme celle de la Lune, il était possible d’avoir des tunnels de plus de 500 mètres de large. La roche «pèse» moins lourd, et peut donc davantage supporter son propre poids.

En 2017, une équipe japonaise identifie justement, perdu au milieu des Collines Marius sur la face visible de la Lune, un trou qui semble bien être le résultat d’un de ces tunnels de lave. Après quelques analyses, ils estiment que le tunnel doit être long de 50 kilomètres de long avec environ 100 mètres de large. C’est justement cette cavité qui pourrait être explorée par le futur robot de l’ESA.

« Nous pensons que ce trou descend à la verticale sur environ 50 mètres, précise Loredana Bessone. Après, il pourrait bifurquer sur des centaines de kilomètres, mais nous ne savons pas exactement à quoi cela ressemble. »

Et les robots, à quoi vont-ils ressembler ? Quelques visuels circulent, mais le produit final n’a pas encore été designé et il faudra donc s’attendre à d’importantes modifications. Dans l’idée générale, il sera composé de deux parties.

  • RoboCrane : un rover avec une grue déployable, un peu comme une échelle de pompier, qui ira jusqu’à l’entrée de la grotte ;
  • Daedalus : un capteur sphérique qui descendra, suspendu à la grue, pour faire des relevés en sous-sol.

Loredana Bessone détaille : « Daedalus aura des caméras et des radars afin de mener une analyse géologique de la roche, mais aussi fournir une image tridimensionnelle de l’environnement. Il pourra aussi recueillir quelques données importantes, notamment en mesurant le niveau de radiation. »

Un abri anti-radiation ?

Les premières études de l’ESA ont montré quelque chose de crucial pour poursuivre cette mission : elle est techniquement réalisable et scientifiquement intéressante. Car oui, les raisons ne manquent pas pour descendre dans ces caves. Pour l’aspect purement scientifique, il s’agit de vestiges racontant l’histoire de la Lune. Protégés des radiations des vents solaires et des impacts de météorites, ces tunnels sont préservés depuis des milliards d’années. Ils ont été formés peu après la Lune elle-même, à une époque où elle était volcaniquement active. Retrouver de tels matériaux non altérés serait donc particulièrement intéressant, et ce même si plus de 700 kilos d’échantillons lunaires ont déjà été recueillis en un demi-siècle d’exploration.

Mais au-delà du monde de la recherche, ces caves attirent les agences spatiales qui y voient un abri idéal pour installer une future base lunaire. Pour les mêmes raisons toujours : un lieu à l’abri des radiations et des météorites. En plus d’être protégés, ces espaces souterrains sont également beaucoup plus grands que tout ce qu’on trouve de similaire sur Terre. Et si le niveau de radiations sur la Lune est supportable pour des astronautes qui y font des prélèvements pendant quelques heures, il l’est beaucoup moins si le but est bien de rester sur place.

À titre de comparaison, sur Terre nous recevons chaque année 3,6 mSv (millisieverts, l’unité de mesure de l’exposition aux radiations) en moyenne. Un astronaute dans la Station spatiale est autour des 260 mSv, avec une faible protection de l’atmosphère terrestre — ce qui est déjà assez problématique et augmente le risque de cancer. Sur la Lune, la dose de radiation serait encore deux fois plus élevée. À tel point que les astronautes subiraient un risque de cancer si préoccupant que la Nasa n’aurait légalement pas le droit de les envoyer pour une longue mission sans protection adéquate.

« La mission est extrêmement complexe »

Ces tunnels pourraient donc représenter la solution à ce problème, mais il reste à savoir à quel point ils protègent des radiations. Ce projet de robot explorateur pourra peut-être apporter des précisions, même s’il se cantonnera aux premières dizaines de mètres de profondeur sans aller voir plus loin. « Nous aurions aimé quelque chose d’encore plus ambitieux, confie Loredana Bessone, mais cette mission est déjà extrêmement complexe. Il y a beaucoup d’obstacles à franchir avant d’y arriver. »

Plusieurs projets avaient été envisagés, mais abandonnés : un robot qui descendrait se promener dans la grotte ? Impossible si le terrain est trop escarpé. Un drone ? Il ne pourra pas voler sans atmosphère. Avec des propulseurs ? Il ferait trop de poussière. La liste de contraintes donne le vertige : il faut s’assurer que le sol sur lequel reposera le rover ne soit pas trop friable, que le pic vertical n’ait pas trop d’irrégularités, que la descente ne provoque pas de chute de débris qui endommagerait Daedalus, que la mission se déroule pendant un jour lunaire (soit 14 jours terrestres), et que toutes les données puissent être transmises de Daedalus à RoboCrane, puis à la Terre. 

L’année prochaine, une conférence sur le sujet réunira tous les experts du domaine, avant un lancement pour le moment prévu pour 2033.


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