L’éruption du volcan Fagradalsfjall en Islande a pu être observée depuis l’espace. Les scientifiques Virginie Pinel, Etienne Berthier et Joaquín M.C. Belart expliquent dans The Conversation comment la progression de la coulée de lave a pu être suivie en temps réel.

Quasiment toute la population islandaise vit sous la menace des volcans. Vendredi 19 mars 2021 à environ 20h45 une éruption a commencé dans une zone qui n’avait pas connu d’éruption depuis le XIVe siècle, à moins de 40 km de la capitale Reykjavík. Il s’agit d’une éruption effusive et de faible volume : du magma fluide est émis en surface sous forme de coulées dans une zone inhabitée. Des images des satellites « Pléiades » ont permis de cartographier sans délai la progression de la coulée de lave et d’estimer le taux de magma émis autour de 6 mètres cubes par seconde pendant les dix premiers jours d’éruption.

Pléiades est un couple de satellites conçu par le CNES et dont les produits sont distribués par Airbus Defence and Space. Ces satellites permettent d’acquérir deux images optiques haute résolution (taille au sol du pixel de l’ordre de 70 cm) de la même zone de la surface de la Terre. Prises à quelques dizaines de secondes d’intervalle avec un angle de vue légèrement différent, il s’agit d’images « stéréoscopiques ». Elles peuvent être combinées pour obtenir une vue en trois dimensions, comme le fait notre cerveau à partir des images enregistrées par nos deux yeux.

Si la surface du sol est visible, c’est-à-dire dès lors qu’elle n’est pas masquée par la présence de nuages, il est possible de construire une carte topographique par « stéréo-photogrammétrie », carte que nous appelons « modèle numérique de surface », avec une précision meilleure que le mètre.

Éruption du Fagradalsfjall en Islande : le contour de la coulée de lave se distingue sur l’image optique à gauche et l’épaisseur de lave le 30 mars 2020 (après 11 jours d’éruption), mesurée grâce à l’imagerie satellitaire optique haute-résolution, est reportée à droite. La couleur représente l’épaisseur : blanc pour 0 mètre, rouge pour 10 mètres de lave, orange pour 20 mètres et jaune pour 30 mètres. // Source : image Pléiades©CNES2021, distribution AIRBUS DS, Author provided

Éruption du Fagradalsfjall en Islande : le contour de la coulée de lave se distingue sur l’image optique à gauche et l’épaisseur de lave le 30 mars 2020 (après 11 jours d’éruption), mesurée grâce à l’imagerie satellitaire optique haute-résolution, est reportée à droite. La couleur représente l’épaisseur : blanc pour 0 mètre, rouge pour 10 mètres de lave, orange pour 20 mètres et jaune pour 30 mètres.

Source : image Pléiades©CNES2021, distribution AIRBUS DS, Author provided

La progression de la coulée de lave suivie en direct

Une coulée de basalte a typiquement une épaisseur de l’ordre de quelques dizaines de mètres. Son épaisseur peut donc être mesurée en faisant la différence entre la carte obtenue avant sa mise en place et celle produite après. L’utilisation des images optiques permet de plus de cartographier finement la surface de la zone couverte par la coulée. En multipliant l’épaisseur de la lave par son étendue, il est possible d’estimer le volume de magma qui se répand en surface.

Dans le cas de l’éruption islandaise, plusieurs images ont été acquises au cours de l’éruption. Ceci est exceptionnel et a permis la construction de modèles numériques de surface successifs. Nous avons pu suivre en direct ou presque la progression de la coulée de lave, et avons pu estimer l’augmentation en volume de cette coulée. Ceci correspond au taux de magma émis, et c’est une donnée fondamentale pour la compréhension de la dynamique de l’éruption. Lorsque la première image a été acquise le 22 mars, après 3 jours d’éruption, 1,3 million de mètres cubes de magma avaient déjà été émis et ce volume s’élevait 8 jours plus tard à presque 5 millions de mètres cubes.

Un début d’éruption anticipé

Le début de l’éruption du Fagradalsfjall avait en fait été anticipé, grâce à des signaux précurseurs enregistrés dans les semaines précédentes : augmentation significative de la sismicité, et déformation du sol mesurée par interférométrie radar satellitaire. Dès le jour suivant le début de l’éruption, des acquisitions journalières par les satellites Pléiades ont donc été programmées pour dix jours, à la demande du CNES. Cette réponse rapide a aussi été rendue possible parce que la communauté scientifique française bénéficie de l’initiative CIEST2 du pôle ForM@Ter, qui a pour objectif de favoriser l’acquisition de données satellitaires en cas de catastrophe naturelle.

Sur les dix couples d’images Pléiades acquis, cinq présentaient une vue dégagée du site de l’éruption et ont pu fournir une information exploitable. Les images étaient disponibles environ deux heures après leur acquisition, téléchargées immédiatement et traitées dans la foulée pour fournir trois heures plus tard une estimation de la production de lave. Le traitement des données s’est effectué en parallèle dans des laboratoires français ISTerre et LEGOS et à l’Université d’Islande). Ceci a permis une diffusion rapide des résultats aux équipes en charge de la gestion de la crise volcanique sur le terrain.

Les données satellites ont fourni, pour la première fois en temps réel, une information sur le volume de magma émis lors d’une éruption. Cela montre l’intérêt de ces données de télédétection pour la réponse opérationnelle à une crise volcanique. L’éruption est toujours en cours à l’heure actuelle, après plus d’un mois. Le suivi est désormais réalisé par mesures aéroportées et des images Pléiades seront acquises de manière moins fréquente pour compléter les observations in situ.The Conversation

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Virginie Pinel, Chargée de recherche en volcanologie, Institut de recherche pour le développement (IRD); Etienne Berthier, Glaciologue au Laboratoire d’Étude en Géophysique et Océanographie Spatiales, Observatoire Midi-Pyrénées et Joaquín M.C. Belart, Coordinator of Remote Sensing at the National Land Survey of Iceland. Postdoctoral researcher in glaciology., University of Iceland

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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