Depuis 20 ans qu’elle tourne au-dessus de nos têtes, la Station Spatiale Internationale (ISS) commence à montrer des signes de faiblesse. La NASA se met doucement à penser à lui trouver un successeur, et plusieurs entreprises privées ont été mobilisées pour innover dans ce domaine. Parmi les différents projets, un pourrait se concrétiser dès les années qui viennent : l’habitat gonflable.
Dans une vidéo dévoilée récemment, la start-up Sierra Nevada Corporation (SNC) a donné des nouvelles de son projet de station spatiale dite commerciale. A grands renforts d’images 3D et d’électro épique, elle vante le projet de station entièrement gonflable nommée LIFE. Un ensemble de trois modules séparés chacun mesurant 8 mètres de long, pensés pour accueillir un lieu de vie, un laboratoire mais aussi un espace jardin, le tout en orbite basse, donc à environ 400 kilomètres d’altitude comme l’ISS.
L’entreprise a déjà conçu un prototype qui doit être transféré prochainement au centre spatial Kennedy, en Floride, pour être testé en vue d’une utilisation de longue durée. La technologie peut sembler très originale, pourtant cela fait quasiment un demi-siècle qu’elle attire l’intérêt. « Les premiers prototypes remontent à une cinquantaine d’années, raconte Yves Gourinat, professeur à l’ISAE-Supaero, et spécialiste de la thermodynamique des coques. Au début, la NASA imaginait des structures entièrement gonflables qui se déployaient dans l’espace et qui devenaient rigides grâce à la pressurisation.«
Des origamis dans l’espace
L’intérêt de ce dispositif est évident : sa taille. Lors d’une mise en orbite, le poids est capital, car chaque gramme de charge utile supplémentaire demande un peu plus de carburant, et donc encore plus de poids. Il en est de même pour la taille. Plus la charge envoyée en orbite est grande, plus il faut de lancements. Aucun problème de ce côté-là avec une technologie comme LIFE puisqu’une fois plié, le triple-module n’est pas plus gros qu’une voiture. Yves Gourinat précise : « Plutôt que de parler de structure gonflable, il vaut mieux imaginer des origamis. Des modules à la fois gonflables et pliables, qui possèdent des parties plus rigides. On a une charge utile un peu plus grosse, mais on gagne énormément en solidité. »
Contrairement à la plupart des matériaux utilisés dans l’espace, ces habitats ne sont pas en aluminium mais en vectran. Une matière proche du kevlar qui a la particularité d’être à la fois solide et souple. Cela devrait suffir à protéger l’habitat des micro-météorites et des grains de poussière, sans être trop rigide, ni trop lourd. La NASA s’y intéresse d’ailleurs depuis un moment : les combinaisons spatiales utilisées pour les sorties extra-véhiculaires en sont constituées.
L’agence spatiale américaine est également très désireuse de voir se développer les habitats gonflables de ce type. Ce n’était pas clairement spécifié, mais dans son projet NextSTEP lancé en 2014 puis en 2016, elle dit rechercher des concepts innovants et des partenariats publics-privés pour développer les missions en orbite. Les nouveaux habitats font partie de cet ensemble, et l’idée des modules gonflables a déjà été testée, il y a quelques années.
Depuis 2016, le BEAM (Bigelow Expandable Activity Module) est resté amarré à l’ISS. Ce gros ballon, de 11 mètres de haut pour 4,3 mètres de diamètre une fois gonflé, a été visité à plusieurs reprises par les astronautes, pour des tests, mais n’a pas été habité. En revanche, alors qu’il devait être détaché en 2018, il a finalement été conservé plus longtemps, et a même servi de lieu de stockage — ce qui n’était pas du tout prévu au départ. Aux dernières nouvelles, il devrait rester en place au moins jusqu’en 2028, tant sa résistance est au-delà des prévisions.
En orbite basse, puis au-delà
Le module de SNC pourrait connaître la même destinée. C’est en tout cas ce que souhaite l’entreprise dans un communiqué : « SNC veut devenir leader de la commercialisation en orbite basse, en participant aux efforts de la NASA et en incluant un nouveau public.» Ce nouveau public, ce sont les entreprises commerciales, les particuliers et même, pourquoi pas, les équipes de cinéma et les touristes.
Comme ces modules sont relativement simples à mettre en orbite et à déployer, il est permis de penser que plusieurs pourraient être développés pour des missions très différentes. Exemple ? Des laboratoires classiques, des centres dédiés à la production alimentaire, mais aussi des lieux de tournage alors qu’un séjour de Tom Cruise dans l’ISS se précise — et que d’autres voudraient bien en être.
C’est pourquoi la société communique également sur son Dream Chaser, son véhicule spatial réutilisable qui pourrait transporter des passagers en orbite basse et les ramener sur Terre aussi facilement qu’en avion. Le premier cargo sélectionné par la NASA doit partir d’ici l’année prochaine avec un but : rendre l’orbite basse beaucoup plus proche qu’elle ne l’est actuellement. Ni fusée, ni charge utile insoutenable.
Des modules gonflables sur la Lune ?
Les réflexions vont cependant bien plus loin que les quelques centaines de kilomètres d’altitude. Si les modules gonflables en orbite sont un succès, il faut s’attendre à les voir essaimer sur les astres alentour, la Lune en tête. La doctorante à l’ISAE-Supaero Yulia Akisheva travaille sur cet aspect : « Des structures gonflables changeraient tout pour une exploration humaine sur la Lune. Les modules habitables seraient beaucoup plus gros que ce qui est faisable actuellement, ce qui multiplierait les possibilités. En revanche, même si un déploiement est possible avec des machines, une intervention humaine sur place semble indispensable.»
En effet, hors de question d’envoyer des humains vers une destination si lointaine, sans être certain qu’ils aient un abri à leur arrivée. Déjà en 1996, une simple antenne gonflable mise en orbite avait nécessité l’intervention des astronautes pour se déployer complètement, car les bras ne s’étaient pas gonflés correctement.
Il reste en tout cas du travail à faire, et des essais à mener — avec de possibles échecs au tournant. La NASA prévoit un budget entre 300 et 400 millions de dollars. SNC estime quant à lui, que le développement d’un projet de ce type nécessite davantage.
Une chose est sûre : si l’idée à terme est de faire des économies grâce aux structures gonflables, les défis à relever pour y parvenir sont nombreux. Yves Gourinat reste malgré tout confiant : « Au moment de faire des missions habitées, les structures gonflables semblent incontournables. La technologie pour y arriver est fiable et prometteuse. Je pense qu’il ne faudra pas attendre très longtemps avant d’en voir partir très loin de la Terre. »
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