Un matériau isolant a produit des oscillations quantiques, où les électrons ne circulent normalement pas librement. Les auteurs théorisent l’existence d’une forme encore jamais identifiée de particules.

« Nous nous sommes demandé : ‘Que se passe-t-il  ?’ Nous ne le comprenons pas encore complètement », confie sur le site de l’université de Princeton le physicien Sanfeng Wu, auteur principal d’observations publiées le 4 janvier 2021 dans Nature. Lui et son équipe pensent avoir observé un état de la matière encore jamais vu à ce jour, signifiant peut-être l’existence d’une particule qu’on ne connaissait pas encore.

Pour comprendre l’intérêt de l’observation de ces physiciens, il faut rappeler une distinction quantique importante. Les matériaux métalliques ont une très faible résistance à la conduction électrique, les électrons s’y déplacent aisément. Les matériaux isolants, quant à eux, ont une forte résistance, les électrons ne peuvent pas s’y déplacer librement. Cela a un impact sur les propriétés quantiques de ces matériaux.

Quand on met des matériaux métalliques au sein d’un champ magnétique en baissant les températures à de très bas niveaux — conditions quantiques idéales — on observe un phénomène d’oscillation quantique : les électrons passent de leur état classique à un état quantique, ce qui provoque une « oscillation » au sein du matériau métallique. C’est ce qu’on appelle l’oscillation quantique. En revanche, cette oscillation ne peut pas advenir dans les matériaux isolants, car les électrons n’y ont aucune marge de manœuvre, et leur état ne peut donc pas évoluer vers un état quantique.

En résumé : aucune oscillation quantique ne peut advenir dans un matériau isolant. Et pourtant, ces physiciens viennent d’observer une oscillation quantique dans un matériau isolant. Tel est bien le problème.

Une matière quantique neutre non-envisagée par le modèle standard

L’expérience impliquait un matériau appelé tellurure de tungstène, un semi-métal qui devient isolant sous certaines formes : quand il est épais, il se comporte comme un métal (faible résistance), quand il est fin, il se comporte comme un parfait isolant (haute résistance). Les scientifiques ont donc exfolié le matériau jusqu’à obtenir une monocouche, c’est-à-dire une version très fine, puis ils l’ont soumis à un champ magnétique. Le but était de mesurer la magnétorésistance du matériau sous sa forme isolante, c’est-à-dire comment la résistance évolue en présence de champ magnétique. Mais à cette occasion, et avec surprise, les auteurs ont observé des oscillations quantiques, qu’ils ont mesurées à des niveaux que l’on pourrait retrouver dans un matériau métallique à faible résistance.

L'équipe scientifique à l'origine de l'observation et de la théorie d'une nouvelle matière quantique. // Source : Princeton

L'équipe scientifique à l'origine de l'observation et de la théorie d'une nouvelle matière quantique.

Source : Princeton

Aucune théorie dans le modèle standard n’explique ce phénomène. Les physiciens à l’origine de cette étude pensent que l’explication est à trouver dans des fermions — une catégorie de particules élémentaires comprenant notamment les électrons — qui seraient neutres en charge. Les auteurs suggèrent en effet qu’en raison des interactions puissantes qui se jouent dans le champ magnétique, « les électrons s’organisent pour produire cette nouvelle forme de matière quantique », une matière quantique neutre. En n’étant ni chargées positivement ni chargées négativement, ces fermions neutres seraient aptes à se déplacer librement même dans un isolant, car elles ne dépendent plus de la résistance électrique.

Alors, bingo ? Pas du tout : de tels fermions neutres n’entrent pas, pour l’instant, dans le modèle standard de la physique.

Il faudrait donc imaginer un type de particules quantiques jusqu’ici non envisagées. « Si nos interprétations sont correctes, nous sommes en train d’observer une forme fondamentalement nouvelle de matière quantique. Nous pouvons maintenant imaginer un tout nouveau monde quantique caché dans les isolants. C’est possible qu’on ne les ait simplement pas identifiées ces dernières décennies », commente l’auteur principal de l’étude, Sanfeng Wu.

L’équipe de physiciens reste malgré tout prudente, rappelant que ce n’est là qu’un premier pas qui doit être confirmé par de nouvelles observations au sein du tellurure de tungstène, pour en saisir les spécificités, et dans d’autres isolants, ainsi que par d’autres chercheurs dans d’autres circonstances. Les implications d’une confirmation seraient importantes au sein du modèle standard de la physique, cela ne relève donc aujourd’hui que de la spéculation sur la base d’une seule observation. Celle-ci n’en demeure pas moins fascinante et pleine de potentialités si elle se précisait, ne serait-ce que pour stabiliser les informations codées dans des ordinateurs quantiques.


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