Deux paléobiologistes ont découvert qu’un animal ayant vécu il y a 500 millions d’années était interconnecté par des filaments.

Il y a un demi-milliard d’années, on trouvait des rangeomorphes dans les océans terrestres. Ces animaux, aujourd’hui éteints, ressemblaient à des sortes de fougères et étaient fixés au fond de la mer. Il nous en reste aujourd’hui des traces fossilisées. Deux paléobiologistes, Alex Liu et Frankie Dunn, se sont récemment intéressés de plus près aux fossiles de cette étrange espèce. Dans un papier paru le 5 mars 2020 dans Current Biology, ils expliquent que ces rangeomorphes n’avaient rien d’individus solitaires : ils étaient reliés entre eux par des filaments.

Cette sorte de « toile » sous-marine n’avait jamais été détectée auparavant, car, en l’absence d’un état de conservation impeccable, les filaments sont trop fins pour être observables. Leur largeur est bien inférieure à un millimètre. Quant à leurs longueurs, en revanche, ils peuvent courir de quelques centimètres à quarante centimètres. Les deux paléobiologistes ont pu les trouver grâce à une douzaine de strates exceptionnellement bien conservées, à Terre-Neuve, au Canada.

Représentation graphique du réseau de filaments qui reliait ces rangeomorphes. // Source : Current Biology / Université de Cambridge

Représentation graphique du réseau de filaments qui reliait ces rangeomorphes.

Source : Current Biology / Université de Cambridge

La période à laquelle appartient cette espèce est intéressante : l’Édiacarien, qui se situe entre 625 et 541 millions d’années avant notre ère. C’est un moment de transition dans la vie sur Terre. Avant, le vivant était microscopique, jusqu’à ce que des organismes complexes commencent à se développer à l’Édiacarien. Dans ce contexte, les rangeomorphes avaient les caractéristiques d’une espèce dominante sur la planète : ils ont colonisé de vastes espaces sous-marins et ont grandi siècle après siècle, atteignant jusqu’à 2 mètres de hauteur. Leur métabolisme reste un mystère : ce sont des animaux, mais ils ne pouvaient pas se déplacer et n’avaient pas de bouche pour se nourrir.

« Comme un réseau social dans la vraie vie »

Comment les rangeomorphes ont-ils donc évolué jusqu’à dominer des pans entiers de la planète ? Le réseau de filaments pourrait être, selon ses découvreurs, la réponse à cette question. Des groupes locaux entiers de cette espèce étaient interconnectés par ces petits fils. « Nous avons toujours considéré ces organismes comme des individus, mais nous avons maintenant découvert que plusieurs membres individuels de la même espèce peuvent être reliés par ces filaments, comme un réseau social dans la vraie vie », indique Alix Liu sur le site de l’université de Cambridge.

À quoi servaient ces filaments ?

Établir les fonctions exactes de ce réseau filaire est un défi périlleux, 500 millions d’années nous séparant de cette espèce. Mais les auteurs de la découverte ont quelques pistes, à partir de ce qu’on sait déjà des rangeomorphes. Par exemple, ils ont tous la même taille à peu de choses près. De fait, il est possible que ces filaments aient servi de maillage, de structure, pour stabiliser les individus contre les forts courants océaniques. Cela expliquerait aussi leur robustesse en tant qu’espèce dominante.

Autre piste, alternative ou complémentaire : à l’image des fraisiers de nos jours, ces tiges pourraient avoir été le support à une reproduction par clonage. Il est tout aussi probable que les rangeomorphes aient utilisé ce réseau pour partager des nutriments. Ces deux explications résoudraient deux des grandes questions jusqu’ici sans réponse sur cette espèce, à savoir comment elle se nourrit et comment elle se reproduit.

Les paléobiologistes estiment que cette découverte est primordiale et que l’on doit relire les précédentes études sur cette espèce à l’aune de cette nouveauté. Cela nous offrirait de nouvelles perspectives sur la façon dont ces organismes ont interagi, comment ils ont conquis l’espace au fond des océans, comment ils ont trouvé et partagé les ressources. Alex Liu ne cache en tout cas son plaisir ni sa surprise d’avoir trouvé un détail aussi particulier sur cette espèce qu’il étudie : « La chose la plus imprévue pour moi est de réaliser que ces choses sont connectées. Je les ai étudiées pendant une décennie, et cela a été une vraie surprise. »

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