Des chercheurs américains vont passer trois ans à écouter les sons des fusées lors de leur lancement. Des événements si bruyants qu’ils pourraient être destructeurs pour l’environnement, notamment la faune alentour, mais qui restent encore peu étudiés.

Si l’impact du spatial sur l’environnement n’est plus à démontrer, les lancements de fusées sont bien les événements qui semblent être les plus massifs et les plus difficiles à justifier d’un point de vue écologique. Mais, au-delà des dégâts directement provoqués par les explosions, par le gaz à effet de serre émis lors de la combustion et par le carburant brûlé lors de la mise à feu, il y a une autre dimension à prendre en compte : le bruit.

« Les recherches sur l’acoustique sont assez peu fournies, reconnaît Kent Gee, physicien et spécialiste de la question à la Brigham Young University, dans l’Utah. Mais, il faut reconnaître que la question se pose peu lorsqu’on parle d’un lancement par an, par exemple. Actuellement, ces événements deviennent quasi-quotidiens, donc il peut y avoir des problèmes qui se posent. »

Lancement de la mission KPLO par une Falcon 9 de SpaceX.
Lancement de la mission KPLO par une Falcon 9 de SpaceX. // Source : SpaceX

Ces problèmes pourraient concerner les animaux qui vivent à proximité des sites de lancement. Une grosse vibration ponctuelle qui n’a lieu que quelques fois dans l’année pourrait être assez bénigne. Mais, qu’en est-il de ceux qui vivent près de Cap Canaveral, en Floride, ou de la base Vandenberg, en Californie, d’où décollent plusieurs fois par semaine les Falcon 9 de SpaceX ?

Le projet Vandenberg : trois ans de mise sur écoute

Kent Gee fait partie d’une équipe de chercheurs impliquée dans le projet Vandenberg. Il prend actuellement des mesures à chaque lancement pour mesurer cet impact : « Il y a une dimension physique où nous captons le son sur différentes fréquences, mais aussi une partie biologique où nous essayons de comprendre comment les espèces sauvages alentour sont impactées ou non. »

Pendant trois ans, ces mesures vont se succéder à chaque lancement. 180 fusées sont parties de la base rien que pour l’année 2022. Outre les mesures sur place, il y a également tout un dispositif pour surveiller les animaux avec des caméras destinées à capter leur réaction, ou encore des enregistrements des chants des oiseaux afin de savoir s’il y a un changement dans leurs mélodies.

« Ce type d’étude est assez technique, détaille Kent Gee. Il faut mesurer tout ce qui se passe lors du lancement sur les différentes longueurs d’onde, mais aussi l’onde de choc sonore qui a lieu après et qui dure bien plus longtemps que le décollage lui-même. Sans oublier le bruit de la fusée une fois dans les airs qui continue à être bruyante. »

Kourou, le Centre Spatial Guyanais.
Kourou, le Centre Spatial Guyanais. // Source : CNES

En France, la situation est certainement moins critique que ce qui se passe aux États-Unis, car les fusées qui décollent de Kourou sont plus rares. On compte seulement six départs de Guyane en 2022. Ce qui n’empêche pas le CNES de faire aussi des mesures sur place, détaille Philippe Pailler, chef de service Environnement et sauvegarde sol à l’agence française : « Nous avons mené des études à la mise en service de nos différents pas de tir. Contrairement aux mesures de qualité de l’air, ces mesures ne sont pas prises tout au long de l’année : les premières sont faites avant la mise en service pour faire office d’étalon. De nouvelles sont ensuite prises dans l’année qui suit la mise en exploitation et sont comparées à l’étalon. »

Caméras sur les abeilles et murs d’eau

Là aussi, des observations des espèces alentour sont menées, avec notamment des caméras placées près de ruches installées au Centre Spatial Guyanais. Le CNES a mené des études spécifiques sur les différents lanceurs qui y décollent : Ariane 5, Soyouz et Vega. Tous provoquent d’importantes vibrations : par exemple, un décollage de Soyouz est perceptible à 27 km du pas de tir. Mais, à chaque fois, les niveaux de nuisance sont considérés comme bien en dessous des limites réglementaires. Ainsi, la vibration enregistrée lors du décollage d’un lanceur Vega à quelques kilomètres du pas de tir est inférieure au bruit produit par une voiture qui passe à une dizaine de mètres.

Les mesures montrent qu’il arrive que les bruits enregistrés s’approchent des niveaux réglementaires, notamment pour Vega et Soyouz. Mais, comme ceci ne se produit que sur des périodes d’à peine quelques minutes, et que c’est la moyenne générale qui prédomine, les lancements restent conformes aux réglementations en vigueur, telles que définies pour les ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement).

Kourou a un avantage indéniable : les installations sont extrêmement isolées, ce qui représente une protection non négligeable. « Le bruit au lancement, c’est une des choses qu’on peut le mieux maîtriser, détaille Kent Gee. L’architecture du pas de tir, par exemple, peut aider le son à ne pas se répandre. »

C’est ce qui est fait notamment à Kourou, comme le décrit Philippe Pailler : « Les carneaux, des tranchées près du pas de tir, permettent de recueillir les déluges d’eau déversés au décollage. Si vous regardez un décollage d’Ariane 5 par exemple, vous verrez qu’au sol des nuages blancs grossissent à mesure que la fusée prend son envol. Il s’agit de vapeur d’eau. Elle provient du déluge. L’un de ses objectifs est de créer un mur d’eau qui évite à l’onde acoustique de se propager. »

« Le problème, ajoute Kent Gee, c’est qu’une fois la fusée dans les airs, il continue à y avoir du bruit, ce qui est plus compliqué à limiter ou même à mesurer. » Ici, le bruit va concerner le détachement des boosters qui retombent vers le sol, mais également la trajectoire de la fusée qui n’est pas choisie en fonction de l’environnement, mais bien des besoins scientifiques. Autant de paramètres encore peu pris en compte, car négligeables si les lancements sont peu fréquents comme à Kourou.

« Le monde du spatial est en train de changer, conclut Kent Gee. Désormais, ces études sur l’acoustique deviennent beaucoup plus nécessaires, mais nous n’avons pas encore assez de personnes pour les mener. »

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