Cette critique est dénuée de tout spoiler ou référence à l’intrigue et aux personnages de l’Ascension de Skywalker. Les illustrations sont tirées des bandes-annonce. Elle considère en revanche que vous avez vu tous les autres Star Wars.
Le 25 mai 1977, le film que l’on n’appelait pas encore Un Nouvel Espoir sortait au cinéma aux États-Unis. Bien malin qui aurait pu prédire que de cette bande de pellicule naîtrait la saga cinématographique de science-fiction la plus fédératrice de l’histoire. 42 ans après, les premiers spectateurs découvrent la fin de l’histoire, rejoints dans leur périple par celles et ceux qui ont découvert Star Wars avec la prélogie et le dernier groupe qui vient à peine de découvrir cet univers avec Le Réveil de la Force.
Depuis tant d’années, chaque génération a montré son Star Wars à celle qui la suivait, qui avait aussi son Star Wars à découvrir. Je suis tombé dedans peu avant la prélogie, enchaînant les épisodes IV, V et VI en VHS, chaque week-end, sur une TV probablement grande comme un écran normal d’ordinateur de bureau contemporain. Depuis cette première fois, Star Wars ne m’a pas lâché : j’étais ce gamin qui avait lu l’encyclopédie de la galaxie lointaine, connaissant les points forts et les points faibles d’une navette corélienne avant de connaître l’histoire de France. Encore enfant en 1999, j’ai évidemment dévoré la prélogie sans le moindre recul critique : l’œuvre a ouvert à moi un nouveau pan de l’histoire de cette galaxie et c’était bien assez — il m’a fallu quelques années de plus pour en voir les limites.
La nouvelle trilogie Star Wars m’a été offerte quand j’étais adulte, avec un goût plus construit, bien loin des états de rêverie des esprits naïfs de l’enfance. Et pourtant, Star Wars ne m’avait pas quitté, des jeux aux livres en passant par les occasionnels marathons. Le sort de la galaxie lointaine a commencé à m’intéresser comme on s’intéresse à l’actualité. Le Réveil de la Force m’a donné une envie irrépressible de savoir comment la galaxie que j’avais laissée en 2005 avait évolué, servie par un écrin cinématographique de haute volée et des personnages pour qui tout restait à faire. Les Derniers Jedi a été une claque aussi visuelle qu’émotionnelle, l’esthétisme de Rian Johnson ayant sublimé le genre Star Wars pour servir un épisode en suspens dans le temps, bourré de références et de métaphores qui font résonner toute l’histoire des Skywalker.
Et c’est à J.J. Abrams que revient la tâche de mettre un terme à cette grande épopée, qui ne se compare à rien. Quand les premières notes du générique fusent dans la salle et que Star Wars apparaît à l’écran, on voudrait déjà que tout s’arrête, car après cette fois-là, ce sera tout à fait fini. Plus aucune génération ne pourra découvrir Star Wars comme nous l’avons découvert depuis 1977, 1999 ou 2015, par brefs moments espacés d’une dizaine d’années, au cours desquels nous pouvons prendre des nouvelles de la galaxie. L’Ascension de Skywalker avait intérêt à être à la hauteur.
Un dernier espoir
Car Disney l’a bien compris : ce n’est pas seulement la trilogie de Rey et Kylo Ren que l’épisode 9 conclut, c’est Star Wars. La Guerre des Étoiles, au cours de laquelle la galaxie a tourné autour de la famille Skywalker, prend fin. Et c’est le travail du réalisateur de prendre en considération le poids énorme de cet héritage. Quand on sait que les showrunners de Game of Thrones ont été épuisés et démissionnaires au moment d’achever leur œuvre portée par 8 saisons d’engouement populaire, on n’ose imaginer ce que cela fait d’avoir 42 ans d’histoire culturelle à boucler.
Car il faut respecter tout autant le spectateur ou la spectatrice qui a frémi de terreur devant l’Empereur en 1983 que celui ou celle qui a vrombi avec les podracers en 1999 ou l’enfant qui a découvert la Force avec Rey et les droïdes avec BB-8. En ce sens, L’Ascension de Skywalker est un récital. J.J. Abrams a su donner au film un rythme soutenu, moderne, sans le moindre temps mort, tout en respectant cet univers qu’il chérit tant. Si Kylo Ren, dans l’épisode VIII, ne cesse de répéter à Rey qu’il faut qu’elle laisse « le passé mourir », J.J. Abrams a voulu que la destinée des héros puise dans 42 années d’héritage.
D’un épisode VIII conçu comme une tragédie avec ses défunts et ses regrets, on passe à une conclusion où les héros se libèrent en même temps qu’ils se construisent. Les fantômes de la Force, ces héros du passé nés en 1977 sont des guides qui conseillent et qui instruisent, mais ce sont Rey, Poe, Kylo ou Finn qui finissent par trouver leur véritable identité et leur place dans la galaxie. Car c’était tout l’enjeu d’un film aussi important : donner les réponses aux questions soulevées par l’épisode VII, tout en en les ancrant dans la grande histoire des Skywalker. Qui est Rey ? Kylo Ren est-il l’incarnation ultime du mal ? Quels rôles doivent jouer les sidekicks anciens et modernes, quand toute la galaxie ne semble être tenue que par le destin des membres d’une même famille ? D’ailleurs, pourquoi cette famille est-elle si importante ?
À toutes ces interrogations, L’Ascension de Skywalker apporte des réponses généreuses et cohérentes, qui laissent le spectateur construire un sens, longtemps muri, longtemps réfléchi, à l’univers Star Wars. Et rien que pour cela, le film est une réussite, porté par des personnages remarquablement interprétés. L’illusion est là : les nouvelles que l’on prend de la galaxie nous étonnent et nous éclairent suffisamment pour nous permettre de continuer à s’y perdre.
Le tout, en contant une morale contemporaine, qui mélange habilement le besoin d’un refuge dans ce qui fait l’humanité — les liens — et l’exigence d’un renouveau des valeurs. La quête d’identité de Rey est celle du monde qui vient, (mal) défini par les générations précédentes et à construire par les générations à venir. On regrette presque qu’elle n’ait pas lâché un OK Boomer à ces anciens qui estiment tout savoir d’elle au moindre moment de doute.
L’étonnante trilogie
Un film Star Wars est aussi un festival. Personne ne pourra enlever le grand spectacle de la saga qui s’apprécie au cinéma ou sur de beaux téléviseurs. À ce titre, celles et ceux qui crient au manque d’originalité de la nouvelle trilogie ont manqué à quel point elle était en fait parfaitement innovante. Le schéma classique d’un Star Wars repose sur une diégèse lente, des moments de tension pour développer l’histoire et une bataille finale qui oppose souvent trois types d’antagonistes : des Jedi et des Sith, des troupes terrestres et des flottes aériennes.
Ces trois grands éléments d’un bouquet final Star Wars ont été ôtés au Réveil de la Force qui a mis en son centre de petits groupes de personnages talentueux face à un Premier Ordre tentaculaire, ancrant le ton des trois films plus proche d’un Empire Contre-Attaque, la prodigieuse anomalie. La bataille rangée a laissé place à la guérilla et dans Les Derniers Jedi, à la tension : la fuite en avant est rythmée par des escarmouches, impliquant une flottille dépassée et héroïque. Les dénouements sont individuels : celui de Rey, celui de Luke, celui d’Holdo, celui de Finn, celui de Kylo.
Au contraire, L’Ascension de Skywalker plonge les petits groupes chers à J.J. Abrams dans une big picture plus épique. Les décors, même s’ils manquent du brutalisme très graphique de Johnson dans le précédent volet, sont à tomber. Tout est trop gigantesque pour la Résistance et pour les héros qui la composent. On regrette d’ailleurs quelques fois que les plans ne durent pas plus longtemps, que les joutes de vaisseaux spatiaux ne soient pas aussi chevaleresques que dans l’introduction des Derniers Jedi ou aussi grandioses que dans Rogue One ou Le Retour du Jedi. On aurait aimé que l’action quitte le groupe et s’arrête sur des mouvements jouissifs. Peut-être il y a-t-il trop de personnages. Peut-être J.J. Abrams n’est-il pas le meilleur chorégraphe.
C’est aussi un moyen pour le réalisateur de donner à Rey et Kylo toute la profondeur de leur personnage, qui, pour le coup, ont une patte visuelle parfaitement maîtrisée et une direction artistique et chorégraphique parfaite. Chaque seconde à l’écran où ils apparaissent seuls ou ensemble a de l’importance et est visuellement bluffante : ce sont, après tout, eux deux qui tirent leurs compagnons respectifs vers le dénouement. Tant pis pour celles et ceux qui préfèrent le Star Wars des vaisseaux au Star Wars des personnages. Cet épisode sombre, bourré de practical effects et désaturé dans les teintes vieillira probablement mieux que la prélogie et ses images de synthèse injustifiées.
Restent évidemment quelques regrets. On sent par exemple que le décès de Carrie Fisher a eu un rôle sur l’histoire et son jeu, dans des scènes construites à partir de plans tournés pour les précédents films, n’est pas le plus touchant. Plutôt que d’animer virtuellement son visage, Abrams a choisi de respecter l’actrice qu’elle était et d’ajouter sa voix à des plans de dos qui sonnent faux : on sait que le personnage Leia est de dos car Carrie Fisher n’est plus. La mise en scène trop évidente brise la suspension volontaire d’incrédulité.
On regrette aussi l’apparition de personnages secondaires qui n’ont pas grand intérêt, qu’ils viennent d’anciens films ou qu’ils soient tout juste introduits. C’est comme si Abrams voulait remplir la scène pour ne pas livrer un film centré que sur Kylo et Rey. La présence de ces nouveaux venus à l’écran est frustrante, car on s’attache à eux rapidement et on aimerait mieux les connaître.
Ce sera pour une autre fois. Car en fermant la saga Skywalker d’une si belle manière, J.J. Abrams a ouvert à Disney la possibilité de projeter Star Wars vers d’autres univers, d’autres formes et d’autres lieux. Espérons que Disney ait conscience du rôle de son trésor dans l’imaginaire et n’en fasse pas qu’une machine insipide à créer du capitalisme culturel.
Un point a été retiré de la note finale pour mieux refléter le sentiment de la critique : il est toujours difficile de poser des jugements adéquats à chaud.
Le verdict
Star Wars, Épisode IX : L'Ascension de Skywalker
On a aimé
- Une fin digne
- Le sabre laser à l'honneur
- La production, des décors à la musique
On a moins aimé
- Personnages secondaires effacés
- Tout va trop vite
- C'est vraiment fini
J.J. Abrams referme la saga Skywalker dans un film généreux, porté par l'espoir et le renouveau tout en montrant un profond respect aux 42 années qui ont fait de Star Wars un mythe culturel. Une conclusion dont le seul défaut est peut-être d'avoir voulu en faire trop en trop peu de temps, éclipsant quelque peu tout ce qui ne tourne pas autour de Rey et Kylo Ren.
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