Découvrez chaque semaine un jeu de société que nous avons sélectionné pour vous (avec amour et passion). Cette semaine, nous vous en proposons même deux : Agricola et Neta-Tanka.

Passons du coq à l’âne, puisqu’un après notre jeu minimaliste la semaine dernière, tant en termes de matériel que de règles, place cette fois à de belles et grosses boites bien remplies : Agricola et Nētā-Tanka.

Deux gros jeux de gestion, et plus spécifiquement du placement d’ouvriers : chaque joueur doit placer judicieusement ses quelques petits bonshommes sur le plateau pour effectuer les meilleures actions aux meilleurs moments. Une mécanique commune pour ces deux jeux, dont le premier est sorti il y a déjà plus de dix ans, et le second il y a quelques semaines seulement.

Sans être élitiste, notre sélection du jour est plutôt destinée aux joueurs avertis, déconseillée aux débutants donc. Ces derniers s’orienteront préférablement vers des titres d’initiation aux jeux de gestion, Trool Park ou The River, pour n’en citer que deux.

Agricola

Dans Agricola, les joueurs incarnent des familles paysannes dans l’Europe du 17e siècle, essayant de faire prospérer leur ferme en cultivant leurs champs et en élevant du bétail dans leurs pâturages.

Chaque joueur commence la partie avec son plateau composé de 15 cases, toutes vides, à l’exception de deux qui abritent la maison occupée par les deux premiers membres de la famille.

Au centre de la table se trouve un énorme plateau commun, comportant quelques actions prédéterminées, et qui va se remplir petit à petit durant la partie : au début de chacun des quatorze tours que compte une partie, on ajoute une action sur un espace vide. On connait toutes les actions, on sait globalement quand elles vont arriver, mais on ne sait pas précisément dans quel ordre.

Agricola

Une partie en cours // Source : Funforge

Une manche de jeu est extrêmement simple. À tour de rôle, chaque joueur place un de ses fermiers sur une des cases encore inoccupées du plateau central, puis effectue immédiatement l’action correspondante. Les possibilités sont multiples : chercher du bois, construire des clôtures pour abriter des animaux, achetés précédemment au marché, labourer des champs, semer des graines de céréales ou de légumes, ajouter une pièce à sa maison, pour plus tard accueillir de nouveaux membres de sa famille, construire une étable, améliorer sa maison en passant du bois à l’argile, puis à la pierre, construire un puits ou un four à pain, etc.

Les manches s’enchaînent ainsi, et quand tout le monde a placé tous ses fermiers, un nouveau tour commence, et rebelote. Mais tout n’est pas aussi simple et bucolique. Régulièrement dans la partie tombe une phase de récolte, tel un couperet. Bonne nouvelle, c’est à ce moment qu’on récolte les céréales et les légumes précédemment semés dans nos champs. Et c’est également là que nos animaux (moutons, cochons et vaches) font des petits. À condition qu’ils soient au moins deux (logique), et qu’on ait la place d’accueillir le nouveau-né.

Agricola

De jolis pâturages // Source : Funforge

Mais c’est surtout pendant la phase de récolte qu’il faut nourrir sa petite famille, à raison de deux repas pour chaque membre. Peut-être aura-t-on été précautionneux et prévu le coup. En cuisant du pain dans notre four, ou des légumes et des animaux dans notre marmite. Ou en allant à la pêche, voire en troquant des matières premières chez le vannier ou le menuisier. Mais dans le pire des cas, il faut mendier… et accumuler des malus pour la fin de partie.

Celle-ci arrive à la fin du quatorzième tour. Le score de chacun est calculé en fonction de nombreux critères : taille et qualité de la maison, de la famille, de son cheptel, de sa réserve de céréales et de légumes, etc. Sans oublier les points négatifs issus de la mendicité. Et le plus gros l’emporte.

Pourquoi c’est bien

Sans avoir inventé le genre « placement d’ouvriers », Agricola a largement contribué à le répandre auprès des joueurs, parvenant même à le sortir de sa sphère de confort initiale pour toucher un large public. Son succès perdure au fil des ans, et la boite est régulièrement rééditée, comme ici avec cette édition révisée et améliorée du jeu originel.

Alors que certains décrient un thème un peu trop terre à terre, trop proche de la réalité, c’est au contraire ce qui nous a immédiatement attirés dans Agricola. Labourer, récolter, s’occuper de ses bêtes, nourrir sa famille, etc. C’est concret et parlant.

Le matériel, parfait, permet de nous plonger davantage encore dans la thématique. Les pions en bois sont de la forme de ce qu’ils représentent : les cochons en forme de cochons, les légumes en forme de potirons, le bois en forme de branches, etc. Les tuiles cartonnées sont bien épaisses, et les illustrations fourmillent de petits détails. Une fois plongé dans la partie, en pleine concentration, on n’y prête plus guère attention, mais l’ensemble forme un tout cohérent et particulièrement agréable à manipuler.

Agricola

Source : Funforge

L’anticipation est le maitre-mot d’Agricola : tout, absolument tout, doit être prévu à l’avance. Et le moindre contretemps viendra indubitablement perturber votre plan savamment mis au point. Souvent, les adversaires viendront mettre à mal votre stratégie, et c’est d’autant plus vrai que le nombre de joueurs augmente. Mais il arrive aussi régulièrement d’oublier tout simplement un détail. Oups, je dois nourrir ma famille à la fin du tour. Oups, je n’ai pas assez de bois pour construire mes clôtures. Oups…

Assez paradoxalement, l’interaction avec les autres joueurs est à la fois discrète, mais forte. Discrète, car on ne peut pas affecter les ressources, les animaux ou quoi que ce soit que possède un adversaire, en lui volant ou détruisant par exemple. Mais également forte, car le placement de nos ouvriers va obligatoirement bouleverser les plans des autres joueurs. C’est même par ce moyen que vous parviendrez à tirer votre épingle du jeu : se placer judicieusement pour servir vos besoins, et, si possible, ennuyer vos adversaires en les privant d’une action primordiale et en leur faisant perdre du temps. Les quatorze tours passent très vite…

Le livret de règles peut impressionner au départ. C’est vrai qu’il fourmille de détails. Mais on se rend rapidement compte que tout est logique. Pour récolter des légumes, il faut d’abord semer des graines. Dans un champ préalablement labouré. Pour que les animaux fassent des petits, il faut qu’ils soient au moins deux. Pour agrandir ma ferme, il me faut les matériaux adéquats. Et ainsi de suite. Les règles proposent d’ailleurs un mode débutant pour vos premières parties : ne sautez pas cette étape, au risque d’être noyé sous les informations et de ne pas apprécier le jeu à sa juste valeur.

Agricola est un chef-d’oeuvre qui n’a pas pris une ride malgré les années, encore sublimé par cette édition révisée. Le jeu est largement assez complet pour se suffire à lui-même, mais vous pouvez encore étendre ses possibilités en lui adjoignant l’extension Artifex, qui ajoute plus d’une centaine de nouvelles cartes.

  • Agricola est un jeu de Uwe Rosenberg
  • Illustré par Klemens Franz
  • Édité par Funforge
  • Pour 1 à 4 joueurs à partir de 12 ans
  • Pour des parties d’environ 90 minutes
  • Au prix de 44,90 € chez Philibert

Nētā-Tanka

Le Nētā-Tanka, le plus vénérable des anciens de la tribu des Ojelés, arrive au crépuscule de sa vie. Durant la cérémonie pour lui trouver un successeur, chaque clan présente un jeune chef qui doit faire preuve de sa générosité et de sa capacité à pourvoir aux besoins des siens. Saurez-vous vous montrer digne d’être le nouveau Nētā-Tanka ?

À tour de rôle, on place un membre de sa tribu, plus ou moins grande selon le nombre de joueurs, sur un des emplacements du grand et beau plateau central. Mais contrairement à Agricola, on ne résout pas l’action correspondante immédiatement. Ce n’est qu’une fois que tous les Indiens sont placés que les joueurs, en commençant par le premier, résolvent toutes leurs actions chacun leur tour.

Comme d’habitude dans les jeux de type placement d’ouvriers, les actions permettent, en gros, de récupérer des ressources (ici bois, champignons, peaux, viande, et crâne de buffle), ou de les utiliser. Bien évidemment, tout n’est pas aussi simple. Car si certains emplacements peuvent accueillir plusieurs pions, la plupart n’en acceptent qu’un seul. Les places sont chères.

Les ressources récupérées ont plusieurs utilisations. Construire des tipis, avec du bois et des peaux. Tenter d’ériger le plus grand totem, par une astucieuse mécanique de course à la taille. Préparer du ragout de viande ou de champignons pour nourrir votre tribu. Ou encore, fabriquer des objets artisanaux, commercer, visiter les anciens, etc. Tout cela dans le but de marquer un maximum de points de victoire.

Nētā-Tanka

Une partie à trois // Source : La Boîte de Jeu

Nētā-Tanka se distingue de ses congénères par deux originalités bienvenues. Les actions communautaires tout d’abord. En allant couper du bois en forêt ou en partant chasser le buffle, on aide l’ensemble de la tribu, et on reçoit des points de générosité en retour (i.e. des points de victoire). Car avant de pouvoir utiliser du bois pour construire son totem, il faut bien que quelqu’un l’ait coupé. Et avant de manger la viande d’un bison ou de tanner sa peau, il faut bien que quelqu’un l’ait chassé. Logique.

L’ordre du tour est donc primordial. Si vous vous êtes par exemple placé sur l’action permettant de ramasser du bois, mais que le joueur qui le coupe ne joue qu’après vous, vous voilà le bec dans l’eau et avec, au mieux, un tour de perdu.

La deuxième originalité vient des liaisons placées entre deux actions. Si vos pions occupent deux emplacements adjacents, vous bénéficiez de l’action bonus de ladite liaison. Jouer judicieusement deux Indiens et bénéficier de trois actions, voilà ce qui fera généralement toute la différence entre le vainqueur de la partie et les autres. Blocages garantis !

La partie prend fin après un certain nombre de tours, selon le nombre de joueurs. Et, comme toujours, le plus gros score l’emporte, en cumulant les points de ses tipis, de sa nourriture, de son totem, etc.

Pourquoi c’est bien

Nētā-Tanka ne jouit pas d’une originalité folle, il ne propose rien de bien neuf sous le soleil, en dehors de ses deux spécificités, bienvenues et malignes, décrites plus haut. Il tourne en revanche à la perfection, grâce à une mécanique bien huilée qui fonctionne parfaitement.

L’ensemble est fluide et agréable, et les différentes actions sont un peu moins intriquées que d’autres jeux du même genre. Même si un adversaire nous pique l’emplacement convoité, on parvient généralement à en trouver un de substitution. Certes moins intéressant dans l’immédiat, mais qui pourra servir plus tard. Enfin, dans l’idéal…

Nētā-Tanka

Source : La Boîte de Jeu

Le jeu est ainsi plus facile d’approche pour un débutant. Et même s’il n’aura sans doute aucune chance face à un joueur habitué, il ne sera pas bloqué, il aura toujours quelque chose à faire. À un certain moment dans la partie, il est possible d’obtenir un pouvoir permettant de se placer sur un lieu déjà occupé par un autre pion. Cela apporte des possibilités supplémentaires et une bouffée d’oxygène, moins de pression.

L’ensemble est superbement illustré, le village vit sur le plateau de jeu : ici un Indien en train de dépecer un bison, là un autre en train de fabriquer un tipi, ou celui-ci qui érige un nouvel étage du totem.

Le seul regret que nous éprouvons finalement à l’égard de Nētā-Tanka concerne ses actions communautaires, qui servent à l’ensemble de la tribu. C’est une mécanique originale, bien trouvée, très ludique, et qui demande de bien planifier ses placements. Bref, c’est une excellente idée, mais malheureusement sous-exploitée : on aurait aimé qu’elle soit utilisée davantage, à plus d’emplacements, pour renforcer encore plus cette originalité. Dans une future extension peut-être, croisons les doigts.

Si vous aimez le challenge, et après quelques parties, vous pourrez jouer sur le recto du plateau, en hiver. Les possibilités y sont réduites, la planification encore plus importante, et les blocages plus nombreux. À éviter pour vos premières parties, au risque de vous dégouter du jeu.

L’interaction est du même niveau que dans Agricola : on ne peut pas « embêter » ses adversaires directement, uniquement en se plaçant sur les emplacements qu’ils convoitaient pour leur faire perdre leur tour, et au travers de la « course » à celui qui érigera le plus haut totem.

Et là encore, la fin de partie arrive vite, trop vite. On ne peut pas faire tout ce que l’on aurait souhaité, il manque toujours une action, une ressource ou un dernier tour, pour terminer en beauté. C’est frustrant, mais dans le bon sens du terme : ni trop, ni trop peu, juste assez pour avoir envie de refaire une partie.

Enfin, la fin du livret de règles propose un petit challenge amusant, une dizaine d’achievements, comme dans un jeu vidéo, à cocher une fois réussis : « Caresser le ciel », si vous avez construit un totem d’au moins 13 étages, « Végétarien », si vous n’avez mangé que des champignons, etc.

Bref, Nētā-Tanka suit le chemin tracé par ses prédécesseurs : une tonne de possibilités, différentes stratégies, une forte envie d’y revenir pour essayer autre chose, des parties finalement pas trop longues (eu égard au type de jeu), et des règles somme toute pas trop compliquées. On adore.

  • Nētā-Tanka est un jeu de Hervé Rigal
  • Illustré par Quentin Regnes
  • Édité par La Boîte de Jeu
  • Pour 2 à 4 joueurs à partir de 14 ans
  • Pour des parties d’environ 90 minutes
  • Au prix de 49,50 € chez Philibert

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