La saison est à la science-fiction au petit écran : Counterpart, Black Mirror, Electric Dreams, et maintenant, Altered Carbon alors que Westworld ne devrait plus tarder. Autant d’œuvres relativement différentes, mais qui partagent un budget conséquent, créations visuelles obligent, et des visions rarement optimistes de notre futur. De cette longue liste, Altered Carbon est indéniablement la plus faible. La série, disponible le 2 février sur Netflix, déçoit à chacune de ses promesses et nous donne envie de zapper le futur.
Le futur n’est jamais que présent
Un budget astronomique et un casting de blockbuster nous laissent penser qu’Altered Carbon a été longuement mûri et calibré. En voyant le résultat, on s’approche plus de Bright que de Black Mirror. Vous savez où va notre préférence. Mais il ne suffit pas de le dire. Expliquons.
D’abord, à notre humble avis, en des temps aussi troublés que ceux que nous vivons, la science-fiction a repris sa responsabilité morale autant qu’à son âge d’or — pendant la guerre froide. Alors que le monde est réellement en train de brûler et que l’humanité doute de son avenir commun sur une planète poubelle, nous avons plus que jamais besoin de grandes fresques qui donnent le ton.
Nous avons besoin d’un miroir de nos aspirations qui préviendrait de nos dérives actuelles, montrant la réalisation d’un rêve qui tournerait au cauchemar en soulignant ce qui existe aujourd’hui. D’une certaine manière, nous avons cette envie que la fiction d’anticipation rappelle notre niveau instantané de médiocrité en tant qu’espèce. Dans la fiction, il n’y a donc pas plus présent que le futur.
Altered Carbon est coincé au siècle dernier
Dans Altered Carbon, il n’y a pas plus néant que le futur. Comme conçu hors du temps, la série n’embrasse aucune des grandes angoisses de l’époque. Pourtant, les occasions ne manquent pas : dans cette anticipation, chaque être est contenu dans une stack (pile) que l’on incorpore dans une sleeve (enveloppe). Ainsi, changer d’enveloppe, donc de corps, est d’une facilité déconcertante et, par exemple, le héros Takeshi Kovacs, visiblement japonais, devient un homme blanc (Joel Kinnaman) sans que cela soulève la moindre question, la moindre réflexion. Or si ce futur en a fini du racisme, cela résonne, au présent, comme une déconnexion de l’écriture à l’époque.
Cette déconnexion ne s’arrête pas là : visuellement, le monde d’Altered Carbon recycle le cyberpunk de Blade Runner sans effleurer l’idée qu’un tel monde n’est plus d’actualité, sans questionner la durabilité d’un tel univers. Durant le millénaire précédent, le cyberpunk projetait un présent dans un microscope pour en décupler les possibilités, en 2018, le cyberpunk projette un passé dans un microscope pour en disséquer les possibilités disparues.
Prenons Blade Runner 2049. Denis Villeneuve, dans sa grande mansuétude à l’égard de Ridley Scott, assassine mélancoliquement et méticuleusement un univers dont il ne reste que des idoles ternes. Le réalisateur puise dans cette promesse fichue une opportunité qui résonne avec la dépression de l’époque. Altered Carbon n’a pas cette intelligence. Altered Carbon est coincé au siècle dernier et semble dénué d’esprit actuel.
Le futur glauque et banal
Il va sans dire que le tourbillonnant ballet visuel de la série apparaît sous notre regard bien superflu, presque ironique face au vide central du show. Pourtant, beaucoup de belles choses se cachent dans cette grosse tambouille mêlant Matrix, Blade Runner, Ghost in the Shell et bien d’autres. Le pilote contient ainsi une scène de combat de très haut niveau, disposant d’une mise en scène et d’une créativité dépassant tout ce que nous avons vu dans les Marvel de Netflix.
La cité créée pour le show manque peut-être de logique et de cohérence, comme incapable de se fixer sur une topographie, mais présente diverses opportunités de décors plus ou moins réussis. Des plans très Blade Runner où les néons croisent les voitures volantes, que mon confrère Renan Cros juge « fond-d’écran-windows-esque », aux ruelles post-apocalyptiques où la plèbe habite en passant par un manoir au-dessus des nuages pour les plus fortunés, la cosmogonie d’Altered Carbon est pleines d’inventions.
Aucune toutefois, dans la moitié de saison que nous avons consultée, ne déborde de créativité. Il y a, pour les plus cinéphiles, un plaisir de la création d’objets dans la science-fiction, du sabre laser aux forteresses volantes : ce show-là ne marque pas vraiment de points avec des objets fabuleux.
Mais passons maintenant à l’économie politico-morale du show. Si nous critiquions son manque d’actualité, elle n’est pas inexistante pour autant. Comme dans les classiques du cyberpunk, une entreprise biotechnologique a pris le pouvoir et concentre les richesses en faisant vivre un ordre immoral. L’État au sens wéberien s’est estompé face à la technique. Ici, le magnat, c’est l’homme derrière l’immortalité : celui qui a permis aux êtres de s’enregistrer dans des stacks et de changer de sleeve. Des néo-cathos furibards tentent pitoyablement de rappeler les humains à la réalité de la mortalité, mais les humains préfèrent le plaisir du sexe tarifé, des drogues et du jeu.
Il y a dans ce futur une obsession à condamner ce que l’Amérique condamnait au siècle dernier
Il y a peu d’enthousiasme dans ce futur et il y a quelque chose de profondément réactionnaire dans l’économie morale d’Altered Carbon. Bien sûr les rôles féminins sont entre Tomb Raider et La Juge est une femme, ce qui permet déjà de parler de réaction à l’heure de Jessica Jones, mais au-delà de cette question, il y a dans ce futur une obsession à condamner ce que l’Amérique condamnait au siècle dernier : l’oisiveté, la drogue, le sexe, l’absence d’ordre moral, et l’échec du pouvoir régalien. Réjouissant, n’est-ce pas ?
Cluedo-Runner 2318
Nous arrivons enfin au cœur d’un show ; sa narration et sa réalisation, qui sont ici les dernières cartes de la série. Mêlant son décevant univers sci-fi à un thriller louchant sur le film noir, manoir et meurtre inclus, Altered Carbon nous raconte l’histoire d’un ancien soldat d’élite ressuscité pour résoudre un meurtre.
Takeshi doit en effet découvrir qui a tué le richissime patron de la boîte qui fournit les sleeves, un meurtre que la police aurait trop rapidement qualifié de suicide. Mais revenu à la vie, le patron n’arrive pas à croire qu’il ait essayé de se tuer. Là, le thriller n’échappe à aucun cliché du genre : interrogatoire violent, prostituées mortes, énigmatique organisation de criminels, chapelet de lieux interlopes, aréopage de suspects délurés, viols à gogo, etc.
Plutôt banale, l’enquête s’enfonce dans l’ennui au fur et à mesure que le show présente, épisode par épisode, des intrigues à tiroirs. D’autant que nous n’avons aucune envie particulière de dénouer cette énigme qui se pose là, sans nécessité. L’écriture est accompagnée de multiples flash-back qui gagnent en intérêt seulement dans la deuxième partie de la saison — les spectateurs les plus tatillons auront abandonné avant. Ces derniers ont du mal à faire puzzle TV, considérant qu’il y a toujours un personnage pour expliquer ce qui est insinué à voix haute.
Chaque épisode est introduit par des pensées du personnage principal d’une débilité confondante
Car les dialogues sont également un gros problème du show. Les premières minutes de chaque épisode sont ainsi introduites par des pensées du personnage principal d’une débilité confondante — « La paix est une illusion, la guerre révèle les vrais instincts de l’homme ». Mais ces dernières ne sont qu’un avant-goût des dialogues surnaturels qui rythment l’enquête de Takeshi. Les personnages ont soit un rôle didactique — ils viennent réexpliquer ce qui est apparu à l’écran — ou un rôle de persifleur, ramenant des sentences superflues sur n’importe quel sujet : « vous savez, les riches ne s’intéressent qu’à eux même ». Et pan.
Le jeu de Kinnaman, pourtant omniprésent à l’écran, est très réduit, tout comme celui de l’ensemble des personnages secondaires. Seul un majordome (qui est en fait une IA) nous intrigue un peu. À partir de là, difficile de défendre les personnages déjà peu épais. Toutefois, nous sommes obligés de mentionner celui d’une riche et belle femme dont la sleeve a un pouvoir étonnant : elle dégage des phéromones qui lui permettent de baiser n’importe qui sans obtenir de consentement. Mirobolant. On le redit pour ceux qui auraient fait l’impasse sur le début : les rôles féminins sont particulièrement atterrants.
La créatrice, Laeta Kalogridis, dispose d’un CV tourné vers la production de blockbusters, Avatar et surtout Terminator: Genisys — elle a donc fait pire qu’Altered Carbon. Elle propose un show qui aurait pu fonctionner réduit en blockbuster. Mais non, nous obtenons une série peu cérébrale qui vise les adolescents en mal de testostérones. Ne nous méprenons pas : il y a quelque chose à voir et à regarder dans cet Altered Carbon et je mets un billet sur le succès du show, propulsé par un marketing qui doit se chiffrer en millions.
Et puis tout n’est pas sombre : la vraie bonne nouvelle, c’est qu’après cette série, il deviendra de moins en moins marginal de coupler un show télévisuel avec une ingénierie visuelle onéreuse et bluffante. Tout sériephile appréciera.
Le verdict
Altered Carbon
On a aimé
- Les nus frontaux de Kinnaman
- Certaines prouesses visuelles
- Beaucoup d'argent pour de la S-F, c'est rare
On a moins aimé
- Construction hésitante et surchargée
- Dialogues barbants voire débiles
- Univers ringard et réac'
Il y a peu de bonnes raisons pour regarder Altered Carbon. On peut compter les nus frontaux multiples, l'extrême richesse visuelle, des bonnes scènes de combats et l'idée de voir un sous Blade Runner au petit écran.
Le reste, sans être calamiteux, manque de subtilité et d'intelligence. Jamais vraiment excellente, la série semble toute entière tournée vers l'ambition d'être moyenne en tout. Il n'y a qu'en matière de dialogues qu'elle est vraiment mauvaise.
Sans son budget et sa promo, vous n'en auriez jamais entendu parler.
Ailleurs dans la presse
- Entertainement Weekly : « Right now Altered Carbon is all sleeve and no stack »
- Télérama : « Altered Carbon, richement produite, capable de quelques belles scènes d’action, se perd dans les méandres de son récit, enchaînant dialogues inégaux et apartés dispensables. »
- Next Episode : « Altered Carbon rappelle les DTV de Nicolas Cage »
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