Si Amazon a officialisé sa future série dans l’univers du Seigneur des Anneaux, de nombreuses questions persistent sur la nature de cette transposition. Vincent Ferré, professeur de littérature à l’université Paris-Est Créteil et spécialiste de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, revient sur les éléments de l’univers qui pourraient être exploités.

Le flou règne encore autour de la future série télévisée Amazon dans l’univers du Seigneur des anneaux, qui vient d’être officialisée. Comment transposer une partie de l’œuvre culte de l’écrivain britannique J.R.R. Tolkien, qui a déjà donné lieu à deux trilogies de Peter Jackson au cinéma (Le Seigneur des Anneaux, entre 2001 et 2003 et Le Hobbit, entre 2012 et 2014) ?

Vincent Ferré, professeur de littérature à l’université Paris-Est Créteil, et spécialiste de l’œuvre de J.R.R. Tolkien — auteur, notamment, de Lire J.R.R. Tolkien (Pocket, 2014) — nous explique quels fragments inexploités de la Terre du milieu s’offrent  aux scénaristes de la série.

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Cette adaptation en série est-elle une surprise ?

Avant tout, il faut bien préciser qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle adaptation du Seigneur des anneaux, mais d’une plongée inédite dans l’univers créé par Tolkien, qui s’écarte des deux trilogies réalisées par Peter Jackson.

Cette annonce n’est pas une surprise, car les droits cinéma du Seigneur des anneaux ont été vendus par Tolkien il y a près de 60 ans, à une époque où il était dans une situation financière difficile. Sa famille est donc habituée à ce type d’adaptation.

S’agit-il du premier projet d’adaptation de l’œuvre de Tolkien en série ?

Oui, c’est inédit. Son œuvre avait en revanche déjà donné lieu à des adaptations, comme un film d’animation en 1978, bien avant la trilogie de Peter Jackson. On avait même eu le droit à une adaptation du Hobbit en téléfilm soviétique dans les années 1980 !

Sur quels éléments des livres Amazon pourrait-il s’appuyer pour sa série ?

À la fin du Seigneur des anneaux, on trouve, dans des appendices de 150 pages, de nombreux éléments de l’univers. Il s’agit de fragments très variés que Tolkien n’a pas forcément pu développer : des cartes, des arbres généalogiques, des esquisses, des notes sur les langues des elfes, des pistes sur le passé d’Aragorn…

Il paraît probable que les scénaristes développent ce qui était esquissé à la fin du livre.

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Les pistes de développement paraissent donc nombreuses…

Oui, car Le Seigneur des anneaux se passe sur deux années qui s’écoulent pendant l’un des âges de la Terre du milieu : l’univers est beaucoup plus riche que ça, il va bien au-delà. Quand Tolkien a sorti le premier tome en 1954, il pensait à ce monde depuis 40 ans, il l’avait déjà évoqué à travers des poèmes et d’autres formes littéraires. Le Seigneur des anneaux n’est qu’un détail de cet univers.

L’hypothèse la plus raisonnable, d’après le communiqué d’Amazon, c’est une intrigue qui se déroulerait entre Le Hobbit et Le Seigneur des anneaux. Peut-être sur le passé d’Aragorn, au potentiel très romanesque, ou sur des épisodes entre ces deux périodes qui mettent en scène Gandalf et les nains.

Les scénaristes auront moins de contraintes que Peter Jackson

Vu que les scénaristes piocheront dans des esquisses d’histoires, ils auront moins de contraintes que Peter Jackson qui devait signer l’adaptation d’un récit complet, avec un début, un milieu et une fin. Ils seront beaucoup plus libres et pourront par exemple créer de nouveaux personnages. Amazon se trouve face à un puzzle aux pièces détachées : son travail va consister à les assembler.

On peut en tout cas être sûr que la série ne portera pas sur le Silmarillion [l’œuvre de Tolkien parue à titre posthume en 1977], qui se déroule des milliers d’années avant Le Seigneur des anneaux et raconte la création des hommes, des elfes…

La présence des personnages les plus connus — comme Gollum — n’est-elle pas un « prérequis » pour séduire le grand public dans cette série ?

Le communiqué des producteurs laisse entendre deux directions possibles : des prequels qui se déroulent avant l’histoire du Seigneur des Anneaux mais aussi des spin-offs , où les scénaristes pourraient s’écarter de cette trame.

Mais il ne faut pas oublier que les Appendices contiennent aussi des allusions à ce qui s’est passé après Le Seigneur des Anneaux

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Comment cette annonce d’Amazon est-elle perçue par les fans ? Les adaptations de Peter Jackson n’ont pas vraiment convaincu une partie des lecteurs…

C’est sûr, d’autant que Le Hobbit n’a plus rien à voir avec l’œuvre de Tolkien…Mais le seul élément qu’ils apprécient tous, c’est le travail monumental réalisé par Alan Lee et John Howe, les deux illustrateurs des livres de Tolkien, qui ont collaboré aux deux trilogies films en tant que concepteurs visuels.

La qualité de la série Amazon dépendra essentiellement de son aspect visuel, ces deux artistes ont placé la barre très haut et ont défini les normes auxquelles elle sera forcément comparée. On parle quand même d’artistes qui sont allés jusqu’à planter une pelouse un an avant le tournage du Seigneur des anneaux par souci de réalisme ! Le plus grand défi d’Amazon reste de convaincre les fans de Tolkien de s’abonner à Prime Video pour cette série.

Plusieurs médias américains voient cette série comme un moyen, pour Amazon, de s’offrir « son » Game of Thrones. Cette comparaison vous paraît-elle pertinente ?

Oui, clairement. George R.R. Martin [l’auteur de A Song of Ice and Fire, le titre original des romans Game of Thrones] est un grand fan de Tolkien, il l’a souvent répété.

Tolkien n’est pas le père de la fantasy mais le père de la fantasy moderne, avec cette capacité à plonger dans un univers, comme le fait J.K. Rowling dans Harry Potter. Dans le premier tome, on trouve d’ailleurs plein d’éléments semblables à l’œuvre de Tolkien. George R.R. Martin, lui, a surtout approfondi ses personnages.

L’œuvre de Tolkien a vraiment nourri la culture populaire, c’est elle qui a permis de faire germer des jeux de rôle comme Donjons & Dragons. De plus, Geoge Lucas a manifestement été influencé par la lecture du Seigneur des Anneaux, comme le prouvent certains noms de personnages et un clin d’œil dans un dialogue, même si Star Wars s’est peu à peu détaché de cette première influence.


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