Alors qu’il propose un abonnement pour accéder à plusieurs jeux vidéo, Ubisoft tient un discours avant-gardiste sur la notion de propriété. Aux yeux de l’entreprise, il faut accepter l’idée de ne plus posséder aucun titre. Comme c’est déjà le cas avec la SVOD.

Avec quoi seriez-vous le plus à l’aise ? Être propriétaire de 100 jeux vidéo ou être abonné à un service qui en propose 1 000, mais avec un service qui risquera peut-être de s’arrêter du jour au lendemain ? La propriété dans le numérique est une notion de plus en plus abstraite à mesure que les modes de consommation changent.

Aujourd’hui, on écoute le dernier tube de Rihanna sans avoir besoin d’acheter son album. On enchaîne les films Star Wars sur Disney+ sans avoir à sortir ses vieux DVD. On observe même ce phénomène dans le secteur automobile, où les technologies évoluent trop vite pour donner envie d’investir plusieurs milliers d’euros dans une voiture qu’on peut louer pour minimiser le risque.

Sur le marché des jeux vidéo, la même évolution s’opère avec l’avènement de services comme le Xbox Game Pass ou encore le PlayStation Plus Extra. L’idée est d’investir une somme mensuelle pour accéder à un catalogue de jeux qui évolue en permanence. Ubisoft, qui propose son abonnement, croit dur comme fer à cette idée de remplacer la propriété — coûteuse — par la diversité — plus accessible. Pourquoi investir 70 à 80 € dans un jeu quand on peut payer entre 10 et 20 € par mois pour en découvrir des dizaines ? Un positionnement qui fait encore débat au sein de la communauté gaming.

Les jeux présentés à l'Ubisoft Forward 2020 // Source : Ubisoft
L’avenir du jeu vidéo, l’abonnement et la location ? // Source : Ubisoft

Ne plus posséder ses jeux vidéo, est-ce si grave ?

Interrogé par GamesIndustry à l’occasion d’une interview publiée le 15 janvier, Philippe Tremblay, en charge des abonnements chez Ubisoft, tient des propos qui ont de quoi provoquer une levée de boucliers : « Tout comme ce fut le cas pour le DVD, les joueurs sont habitués à posséder leurs jeux. C’est un changement qui doit encore avoir lieu. Ils sont pourtant à l’aise avec l’idée de ne plus posséder de CD ou de DVD. C’est plus lent pour les jeux vidéo (…). Il faut pourtant être à l’aise avec le fait de ne plus posséder un jeu vidéo non plus. »

Philippe Tremblay argumente en valorisant davantage la progression — le temps passé dans le jeu — que le jeu en lui-même : « Vous ne perdez pas votre sauvegarde. Si vous relancez votre jeu plus tard, vos fichiers seront toujours là. Ce n’est pas effacé. Vous ne perdez pas ce que vous avez construit dans le jeu ou votre engagement au sein du jeu. »

Un abonnement permet de toucher un peu à tout : c’est une mine d’or de découvertes. C’est pareil pour la SVOD : Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore MyCanal permettent de trouver chaussure à son pied et d’occuper pendant de longues soirées. Cet éventail de choix comporte un risque régulièrement pointé du doigt : comme on ne possède plus rien, on n’est plus maître de la disponibilité du contenu. Mais est-ce si grave à une époque où tout est remplaçable ? Je ne peux plus jouer à tel épisode d’Assassin’s Creed parce qu’Ubisoft l’a retiré du catalogue ? C’est l’occasion de se lancer dans autre chose et de parfaire sa culture. Quand j’étais jeune, j’aurais bien aimé avoir un abonnement pour jouer à tout. Cela m’aurait évité les allers et retours chez Micromania pour revendre les jeux terminés dans le but de baisser la facture des nouveautés.

Prince of Persia: The Lost Crown // Source : Capture PS5
Prince of Persia: The Lost Crown. // Source : Capture PS5

Il faut aussi rappeler qu’acheter un jeu vidéo n’est pas une assurance tout-risque, à l’heure où les productions majeures se tournent de plus en plus vers le genre jeu-service (qui évolue avec le temps, grâce à des mises à jour régulières). Ces dernières années, des titres très ambitieux comme Marvel’s Avengers, Anthem ou encore Babylon’s Fall ont vite été abandonnés, alors qu’ils étaient vendus au prix fort. Certaines fonctionnalités, qui nécessitent un entretien de serveurs, par exemple, peuvent finir par disparaître, ce qui rend une expérience à la limite de l’injouable. La propriété n’est donc pas une protection absolue : l’éditeur peut casser votre jeu quand il le souhaite avec une simple mise à jour.

Il faut pourtant être à l’aise avec le fait de ne plus posséder un jeu vidéo non plus

Philippe Tremblay, en charge des abonnements chez Ubisoft

Il y a aussi l’aspect un peu plus philosophique derrière l’intérêt de posséder un jeu vidéo, dans le sens où il vieillit très mal (bien plus qu’un film ou une série en tout cas). Qui compte vraiment rejouer à son jeu Far Cry acheté 70 € en 2015, vingt plus tard ? Au-delà de l’aspect collection, en considérant qu’une boîte est un bel objet (ça se discute), la limite se pose vite. Alors qu’un livre, en comparaison, est éternel par son propos et ses écrits, qui ne souffriront jamais des affres du temps. (nonosbtant certaines oeuvres dont les propos ou les représentations ne sont plus en phase avec l’évolution de la société). N’oublions pas non plus qu’un jeu physique est bien souvent un leurre, quand le disque ne contient pas tout le jeu et/ou que la connexion Internet est obligatoire pour le lancer.

Les propos de Philippe Tremblay donnent bien évidemment lieu à quelques commentaires acerbes de la part des férus de la propriété. « Piratons tout ce qui vient d’Ubisoft. C’est la bonne réponse », va jusqu’à affirmer Voultar, créateur de contenu dont la chaîne YouTube pèse près de 100 000 abonnés. Il n’est pas le seul à s’insurger contre l’essor de la location.

Le Joueur du Grenier, lui, indique, en extrapolant : « Si acheter un jeu ne fait pas de toi son propriétaire, alors le pirater ne fait pas de toi un voleur. » Mais il ne faut pas oublier une chose : pour l’heure, les abonnements ne remplacent pas les achats, ils offrent simplement une autre alternative. Quant à l’incitation au piratage, ce n’est assurément pas très malin de la part de personnalités suivies.

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