Grâce aux réseaux sociaux populaires, des cybercriminels du monde entier s’échangent des images et des vidéos pédopornographiques sans la moindre difficulté. Si certains monnaient leurs services, d’autres cherchent à agrandir leurs communautés. Interrogées sur le sujet, les plateformes comme Facebook et Twitter se disent concernées, mais apparaissent dépassées. Enquête.

[Note de la rédaction : cette enquête traite de pédocriminalité et d’abus sur mineurs. Elle contient des passages qui peuvent être difficiles à lire.]

S’il est d’usage de considérer que la pédocriminalité fait ses choux gras sur le « dark web » via Tor, les réseaux sociaux, accessibles à tous, ne sont pas en reste.

Dans cette enquête, Numerama a observé combien il était facile, en quelques clics, pour des cybercriminels de retrouver et échanger des milliers de contenus pédopornographiques. Ce travail a été aussi difficile à mener qu’il est complexe à présenter à nos lectrices et lecteurs. Il est cependant nécessaire pour montrer l’immensité du problème et la responsabilité des plateformes (Facebook, YouTube et Twitter en tête) qui peinent à mettre les moyens suffisants pour combattre ces pratiques.

L’équation est simple : à l’aide de mots clés, d’un réseau social très populaire et d’une barre de recherche, on trouve des groupes de discussions, des photos, des vidéos et des liens vers des plateformes où sont stockés parfois plus de 100 gigaoctets (Go) d’images insoutenables.

Sur le web, la porte d’entrée principale du royaume pédophile est estampillée Facebook. C’est sur le réseau que se réunissent des friands de photos et vidéos que certains hispanophones appellent « caldo de pollo ». Un code en espagnol, dont la traduction littérale est soupe de poulet. C’est en réalité les initiales qui sont utilisés : CP, comme « Child Pornography » (Pornographie infantile). Pour la description de leurs contenus, les prédateurs ont aussi leurs codes : « hot dog » pour garçon, « cheese » pour petite fille. En général, aucun contenu n’est diffusé directement. On s’échange des liens vers plusieurs plateformes accessibles à tous : WhatsApp, Telegram, Tam-Tam, YouTube, Line, ICQ, Mega… Des individus réclament des URL en publiant un post, les autres livrent gratuitement leurs liens dans les commentaires.

Dans cette enquête, nous avons découvert des milliers de fichiers sur toutes ces plateformes en quelques clics. Le site web Mega est un gros fournisseur de données. Cette plateforme néozélandaise permet de partager gratuitement jusqu’à 50 Go de fichiers via des liens, et est consultable sans créer de compte. Certains internautes sont plus adeptes de réseaux moins connus car beaucoup moins modérés, comme ICQ.

Dans la masse de ces prédateurs dangereux nous avons enquêté sur certains leaders. Bien qu’ils aient des techniques différentes pour se cacher, ils ont des objectifs communs peu surprenants : l’argent ou la course aux abonnés.

Le Dragon Mexicain, des dons contre des vidéos

Nous sommes sur Twitter, un compte hispanophone aux trente cinq milles abonnés diffuse habituellement des vidéos pornographiques. Depuis quelques semaines, des images pédo-criminelles l’ont rendu encore plus populaire. Les vidéos cumulent plus de 200 000 vues. L’une d’entre elle a été partagée plus de trois milles fois, aimée douze milles fois. L’émetteur, surnommé le « dragon mexicain » car il a, « la langue en feu », avoue « avoir une nouvelle obsession ». Celle d’«essayer ces petits poulets ». Il promet aussi la suite des vidéos contre de l’argent, si on le contacte en messagerie privée. Dans sa biographie de description du compte, il donne un lien et réclame des dons de 5 dollars via une plateforme : mercadopago.com.

Une vidéo à caractère pédopornographique était accessible directement sur Twitter // Source : Capture d'écran Numerama

Une vidéo à caractère pédopornographique était accessible directement sur Twitter

Source : Capture d'écran Numerama

Dans les commentaires des liens c’est aussi l’occasion pour certains de prospecter. Comme Carlos, un revendeur. Il affiche en commentaire, via un message codé et connu de tous les pédophiles, qu’il « vend des images à un très bon prix ». Contacté, l’homme propose plusieurs formules, de quelques photos à un abonnement trimestriel vers des groupes anonymes sur Telegram (la messagerie chiffrée).

Le Roi David, des abonnés contre des liens pédocriminels

David, vénézuélien, promet lui aussi des liens Telegram de façon bien plus discrète. Il prospecte sur des groupes Facebook dans un but plus égocentrique que lucratif. Son objectif : gagner des abonnés sur son compte YouTube. David a un procédé bien rodé.

Régulièrement, sous couvert de trois identités, il diffuse sur différents groupes Facebook adeptes de pédopornographie un lien vers sa nouvelle création YouTube. La vidéo, en apparence, ne contient aucune immondicité. L’homme filme son écran d’ordinateur et joue à Clash Royale. En filigrane, il donne aussi, au fil de la vidéo, quatre codes. Les numéros, s’ils sont notés peuvent permettre d’accéder à des groupes Telegram secrets. Il faut les envoyer en message privé. Le Roi David, demande alors à ce que soit fait une capture d’écran de l’abonnement à son compte pour se faire définitivement adouber.

La vidéo YouTube qui sert de porte d'entrée à des contenus pédopornographiques // Source : Capture d'écran Numerama

La vidéo YouTube qui sert de porte d'entrée à des contenus pédopornographiques

Source : Capture d'écran Numerama

Le cybercriminel propose également des liens vers la plateforme de stockage et de partage chiffrés mega.nz, connue autrefois sous le nom de Megaupload. Ils sont insérés dans la description de sa vidéo. Tout s’y mélange, photos et vidéos volées, revenge-porn, porno classique et pédopornographie. Ces derniers survivent rarement plus de quelques heures — l’homme est suivi. Mais certains liens ne meurent jamais, comme l’un des plus connus de l’ensemble des réseaux, un fichier immense, surnommé « la boîte de Pandore ». Il contient plus de 12 000 photos et vidéos dénudées de centaines de jeunes lycéennes d’Amérique du Sud. En complément, sont affichés leurs noms et prénoms. Souvent, une photo de leurs profils Facebook.

Le seigneur Mega Pack, des clics pour du cash

Dans cette plongée sordide, accessible par tous, un autre profil a retenu notre attention. L’homme se surnomme lui-même, le seigneur Mega Pack, car il propose des « Packs » de photos et vidéos rares et totalement gratuits. Il a créé un groupe Facebook qui réunit 16 000 personnes, comme nous avons pu le vérifier. Les règles sont strictes et vous devez vous y tenir sous peine d’être bannis instantanément.

Dès l’entrée sur le groupe, on vous demande de lire les règles et d’inscrire un « ok » dans les commentaires. Ici, le principe est relativement simple. Le groupe est déguisé en collectionneur de pierres et de métaux précieux. Aussi, chaque publication doit venir avec une photo correspondant à un type de lien Mega. Un code glaçant, qui se transmet chez les adeptes : du marbre pour de la pornographie, des diamants pour des écolières, un saphir pour la pédopornographie.

Un échange de contenus pédopornographique (qui a été signalé) // Source : Capture d'écran Numerama

Un échange de contenus pédopornographique (qui a été signalé) // Source : Capture d'écran Numerama

Ainsi, un homme, de Cosenza, en Italie et l’un des administrateurs de la page, décrit sa publication comme ceci : « Le saphir est un précieux trésor, peu le reçoivent. Bien que certains ne sachent toujours pas que cette matière est dangereuse ! Pour aujourd’hui ce sera ton minéral. » Comme le saphir est le plus demandé, le seigneur Mega Pack ajoute un cashlink qui le rémunère aux nombres de clics. Il utilise exe.io.

Aussi, pour contourner un éventuel algorithme de détection de Facebook, l’homme utilise une technique simple : il ajoute un espace dans l’URL et informe l’utilisateur de le supprimer manuellement. L’un des fichiers date du 29 février 2020 : il contient 150 vidéos d’abus sexuels sur mineurs. La page a été fermée en octobre 2020 par Facebook. Le compte du nommé « Seigneur MegaPack » existait encore il y a quelques jours. Il a disparu depuis que nous avons exposé notre enquête au réseau social.

Une modération dépassée, des autorités impuissantes

Contactées par la rédaction, les plateformes reconnaissent la problématique et assurent, via leurs sociétés de communication, tout mettre en œuvre pour lutter contre la pédocriminalité.

De son côté, Mega est une plateforme de contenus chiffrés et le contenu téléchargé n’est soumis à modération uniquement s’ il y a un signalement. Elle explique recevoir « environ 100 signalements par jour » mais que « cette pratique est une minuscule proportion comparé au 85 milliards de fichiers stockés sur la plateforme ». Elle assure travailler avec les autorités de chaque pays et que leurs signalements ont mené à de « nombreuses arrestations ». Sur ce point, la plateforme refuse de donner des détails.

« Il y a encore beaucoup de travail à faire »

Facebook assure mettre des moyens importants pour lutter contre la diffusion des contenus pédopornographique. D’abord technologiques, avec une intelligence artificielle qui supprimerait « 99.3% des contenus avant signalement ». Humains, ensuite, avec plus de 35 000 modérateurs dédiés à la sécurité du réseau. Un système qui a ses limites : en très grande majorité, ces derniers ne sont pas salariés mais des contractuels qui souffrent d’importants troubles de stress post-traumatiques. Pour rappel, 2,74 milliards d’utilisateurs se connectent chaque mois au réseau social. Si l’intelligence artificielle semble être très efficace pour la publication de vidéos, qui sont reconnues par leur « empreinte informatique », sorte d’ADN numérique facilement repérable pour une machine, elle est aux abonnés absents pour le texte. Chaque jour, nous avons assisté très facilement à l’échange de liens pédocriminels. Un groupe composé de 4 000 membres est pro actif depuis de nombreux mois. Il a pourtant été dénoncé par des activistes anti-pédocriminalité. Une source anonyme, travaillant pour Facebook, nous avoue « qu’il y a encore beaucoup de travail à faire ».

Twitter indique avoir « suspendu 257 768 comptes sur la période de juillet à décembre 2019 pour violation des politiques de Twitter interdisant l’exploitation sexuelle des enfants ». Le compte que nous décrivions plus haut a été supprimé le mois dernier — avant notre signalement. Il est resté actif plus de 9 mois.

Du côté des autorités, Pierre Penalba, auteur du livre Cyber Crimes et commandant du service de lutte contre la cybercriminalité n’est pas surpris par notre enquête. Pour lui, « il y a encore tout à faire dans ce domaine et pas assez de moyens. En France, on est censé être 8 000 policiers à lutter contre le cyber crime. Je ne sais pas où ils sont. » Il confirme que les plateformes travaillent parfois avec les autorités mais avoue que le contrôle est faible. Il révèle aussi qu’un policier à l’origine de l’enquête d’une célèbre et sordide affaire pédophile à Lyon avait travaillé « sur son temps libre », car ce genre de travail demande une surveillance jour et nuit. En cas de découverte de contenus pédopornographiques, il conseille « de contacter directement les autorités de son pays (signalement.gouv en France) et de ne pas le signaler aux plateformes », qui se contentent souvent, de bloquer la page.

Homayra Sellier, présidente de l’ONG Innocence en Danger est moins conciliante avec les réseaux sociaux. Pour elle, le manque de moyen c’est avant tout « un manque de volonté ». Si elle concède que des sociétés comme Facebook font des efforts en matière de modération, « ça n’est pas suffisant, au regard du nombre d’utilisateurs ». Elle rappelle enfin, que selon le Conseil de l’Europe, un enfant sur cinq a subi des violences sexuelles.

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