Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à se plaindre. Pour ces clients, la néobanque Revolut aurait bloqué leur compte de manière abusive. Particulièrement visée, Revolut n’est pourtant pas la seule fintech à être dans cette situation. Pourquoi les néobanques sont-elles si prudentes ? Entre surveillance des autorités financières et algorithmes sévères, Numerama fait le point.

Du jour au lendemain, sans explications, le compte Revolut de Rayan a été bloqué. « Les paiements, les retraits, je ne pouvais plus rien faire », explique-t-il aujourd’hui. Alors qu’il utilisait la néobanque depuis près de deux ans pour ses paiements et factures professionnelles, il se retrouve tout d’un coup complètement paralysé, sans aucun accès à son argent. « Les prélèvements automatiques ont aussi été bloqués », ajoute-t-il. Pendant plusieurs semaines, rien ne peut sortir ou entrer sur son compte.

Rayan n’est pas le seul à être dans cette situation. Sur Twitter, le troisième compte qui s’affiche lorsqu’on rentre « Revolut » dans la barre de recherche est éloquent : Revolut Arnaque/Scam. En dessous, les tweets s’accumulent, tous se plaignant de leur compte bloqué sans avertissement, et de l’inaccessibilité du service client. Certains comptent les jours, les semaines voire les mois depuis qu’ils ont perdu l’accès à leurs deniers numériques, d’autres encore égrènent la liste de leurs problèmes. De nouveaux messages de cet acabit sont publiés quasiment tous les jours, les plus anciens datent du début de l’année 2019.

Surtout, il n’y a pas que sur Twitter que le problème est apparent. Sur des groupes Facebook ou encore des forums spécialisés, les conseils et les plaintes s’échangent autour de ce problème. « On reçoit beaucoup de signalements sur Revolut », confirme Fabien, le porte-parole de l’AFCNB (l’association française des communautés néobanque, ndlr). Pour lui, les messages de personnes se demandant si elles pourront un jour récupérer leur argent ne sont pas inhabituels.

« C’est une escroquerie  »

Pour Sofiane, dont le compte a été bloqué pendant plusieurs mois, « c’est une escroquerie ». C’est lorsqu’il travaillait à Londres qu’il s’est décidé à ouvrir un compte chez Revolut. « C’était plus simple de passer par eux, grâce aux devises différentes », explique-t-il. Tout allait bien, jusqu’à ce qu’il rentre en France, en mars. À partir de ce moment, impossible d’accéder à son argent. La seule option qu’il lui reste est de parler au service client via un chat, « le reste est entièrement bloqué. Ils m’ont envoyé un message, en me disant que je devais fournir des documents, des justificatifs, des relevés bancaires. Je leur ai envoyé le RIB de mon compte bancaire français ». Sauf que depuis, plus rien.

Le chat de l’application semble ne mener nulle part pour bon nombre de clients, peu importe leur abonnement. Rayan n’a ainsi jamais reçu de réponse de la part du service client, malgré son compte premium, avant de remplir un « formulaire caché » sur leur site (pas vraiment caché, ndlr). Sofiane, qui a longtemps essayé de contacter le service client tous les jours, sur l’app ou sur Twitter, n’a jamais eu de réponse non plus. « Ce n’est vraiment pas normal. Heureusement, je n’avais plus beaucoup d’argent dessus ». Ce n’est pas le cas de tout le monde : plusieurs témoignages sur les réseaux sociaux font état de plusieurs milliers d’euros bloqués.

Mais alors, d’où vient le souci ?

Contacté par Numerama, un porte-parole de la néobanque explique : « Revolut, comme toutes les institutions financières, est tenue de procéder à des contrôles de vigilance à l’égard de la clientèle (Customer Due Diligence) sur les nouveaux clients et les clients existants. Ces contrôles peuvent impliquer la vérification de la provenance des fonds crédités sur le compte de l’utilisateur, ainsi que de la source de leurs revenus. Cela peut inclure des demandes de documents pour vérifier la source des fonds. À tout moment, un très petit nombre de nos 12 millions de clients dans le monde peuvent voir leur compte suspendu en raison de ces contrôles de la CDD, d’une violation de nos conditions générales ou dans le cadre de nos contrôles qui veillent en permanence à la sécurité de nos clients ».

Algorithme et conformité

Mais le problème des blocages semble suffisamment répandu pour que Revolut publie sur son blog un guide, expliquant en détail comment faire pour débloquer son compte et d’où vient le problème. On y apprend notamment que la néobanque a « développé un système de détection et de prévention de la fraude qui effectue automatiquement le gros du travail ». Concrètement,  c’est un algorithme qui est en charge de vérifier les millions de comptes et les activités jugées suspectes. « Le système scanne tout ce qui se passe en coulisse et s’il détecte une transaction suspecte, la signale automatiquement avant qu’un membre de notre équipe compliance (conformité, ndlr) puisse regarder en détail et s’assurer que tout est en règle ». La liste de ces activités ou transactions suspectes n’est pas rendue publique.

L’équipe compliance, en charge de la vérification, est composée d’agents basés en Europe. Revolut ne communique pas sur le nombre de personnes employées par l’équipe conformité, précisant juste que « 20 % du staff » est dédié à la lutte contre la fraude. Mais la néobanque reconnaît tout de même qu’elle peut être débordée lorsque des « vagues d’activités suspectes » se produisent, rallongeant le délai de vérification. Autre détail frustrant pour les clients : les équipes du SAV ne peuvent pas transmettre de détails sur les vérifications en cours, d’où le manque d’informations et l’impression de se retrouver face à un mur. À part attendre et espérer voir leurs situations se débloquer rapidement, les utilisateurs ne peuvent rien faire.

En théorie, les cas de blocages les plus longs sont dus à des « enquêtes approfondies » de la part des équipes conformité. C’est-à-dire pour des cas de fraudes très fortement suspectés. Rayan et Sofiane nient pourtant tous les deux avoir eu une quelconque activité illicite. « À part un virement vers mon compte anglais et une partie sur Winamax en janvier, je n’ai rien fait », déclare Sofiane.

« C’est assez rare qu’ils suspendent les comptes pour rien », nuance le porte-parole de l’AFCNB. Il reconnaît cependant que, « dès que vous sortez des clous, on vous tombe dessus ». Et il est très facile de sortir des clous. « Dès qu’il y a un virement étranger, ou une grosse somme d’argent qui rentre, on vous tombe dessus. Par exemple, si je reçois 8 000 euros de la part de mon employeur parce que je me suis fait licencier, alors que d’habitude je ne touche que 1 300 euros, mon compte va être bloqué ». Ce qu’un porte-parole de Revolut réfute :  « Nous ne bloquerons jamais un virement entrant d’un employeur car nous connaissons l’origine des fonds ». Les vérifications, d’après la néobanque, interviennent « en cas de gros virement entrant où nous pouvons avoir à poser des questions sur l’origine des fonds (pays lointain, personne sur liste de surveillance, etc.), avec un risque de compliance élevé ».

Et ce ne sont pas les seuls cas de blocages que l’on peut juger déraisonnables. Rayan rapporte notamment le cas d’une personne dont le compte aurait été bloqué quasiment dès son ouverture, alors qu’il n’y avait qu’une centaine d’euros dessus. En Angleterre, le Telegraph a publié le témoignage d’une personne incapable de payer les funérailles de son grand-père, parce que son compte aurait été bloqué après le versement de son salaire.

Une carte Revolut // Source : Kaysha / Unplash

Une carte Revolut

Source : Kaysha / Unplash

La méfiance des autorités bancaires

Ces problèmes révèlent une intelligence artificielle particulièrement tatillonne, préférant une vigilance extrême à la possibilité de laisser passer le moindre abus. Pourquoi une telle sévérité dans la vérification des faits du côté de Revolut, que l’on n’a pas coutume de retrouver dans les banques traditionnelles ? Pour le comprendre, il faut ajouter un autre facteur : les néobanques ont longtemps été pointées du doigt, accusées notamment par les régulateurs financiers de faciliter le blanchiment d’argent. C’est notamment le cas de la fintech allemande N26, l’un des principaux concurrents de Revolut, sommée par la Bafin, l’autorité fédérale de supervision bancaire allemande, d’améliorer ses mesures de prévention contre les fraudes.

Revolut s’est aussi fait contrôler par la FCA, l’autorité bancaire anglaise, après une enquête du journal anglais The Telegraph parue en 2019 supposant que la fintech avait été trop laxiste pendant une courte période. Un nouveau système de vérification des sanctions était testé en juillet 2018 et créé un trop grand nombre de transactions marquées comme à contrôler. « Pendant cet essai, nous avons constaté qu’un plus grand nombre de transactions que nécessaire étaient signalées comme nécessitant des contrôles supplémentaires, et nous avons donc décidé d’interrompre l’essai jusqu’à ce que la situation puisse être corrigée. », affirme un porte-parole de l’entreprise sur cette affaire, confirmant que les systèmes initiaux de contrôle du blanchiment n’étaient pas mis à l’arrêt. La FCA n’a, pour le moment, pas émis de sanction après ces contrôles.

L’entreprise est aussi surveillée de près en Lituanie, où le président de la commission du budget et des finances au parlement a demandé une enquête, après avoir « émis des doutes sur sa capacité à gérer les risques et la conformité étant donné sa croissance rapide », rapporte l’Agefi. La banque lituanienne n’a pas pour l’instant pas donné suite à ces demandes politiques.

« On a vu des choses excessives, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont régulièrement contrôlés par la FCA. Au moindre faux pas, ils peuvent se faire suspendre leur licence, donc effectivement, il y a eu des comptes gelés qui n’auraient pas dû l’être », estime Fabien. En d’autres termes, pour éviter de perdre leur business et dans un contexte où elles doivent faire leurs preuves, les néobanques préfèreraient éviter de mettre en danger leur licence, au risque de gêner quelques clients.

Mais les clients de Revolut ne sont pas les seuls concernés. Les utilisateurs de N26 ont également connu en 2018 des problèmes de comptes gelés ou clôturés, sans préavis. Encore aujourd’hui, « Revolut et N26 sont les néobanques pour lesquelles nous recevons le plus de plaintes », explique Fabien. Les plaintes de comptes gelés chez N26 avaient été assez nombreuses pour retenir l’attention de 60 millions de consommateurs en 2018, qui avait dénoncé leurs « cafouillages ».

Pour Fabien, la situation est claire : « il faut qu’ils évoluent ». Dans un secteur où la communication passe encore énormément par le bouche-à-oreille, « s’il y a trop de plaintes, au bout d’un moment, les potentiels clients vont finir par avoir des doutes ». Si Sofiane a quitté sa néobanque après ces mésaventures, elles ne semblent pas encore freiner la croissance de l’entreprise : elle a célébré récemment ses 10 millions de clients, dont 1 million en France, et espère atteindre les 100 millions rapidement.

Une première version de cet article était imprécise sur les systèmes de contrôles qui avaient été arrêtés à l’été 2018, mentionnés dans l’enquête du Telegraph. Nous avons clarifié ce paragraphe qui pouvait faire croire que Revolut ne contrôlait plus rien pendant la période, ce qui est faux. Des réponses de la néobanques, obtenues après publication, ont été insérées.

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