Au sein des parlementaires comme de la société civile, des voix se font entendre pour s’opposer au développement de la reconnaissance faciale, notamment à des fins sécuritaires. La CNIL, elle, avait appelé à un débat sur cet enjeu et tracé les lignes rouges à ne pas franchir.

L’arrivée prochaine de l’application Alicem aura au moins eu un mérite : elle a accéléré l’émergence d’un débat indispensable en France sur l’emploi de la reconnaissance faciale. Preuve en est avec les prises de position récentes auxquelles on assiste depuis quelques semaines. Au mois de novembre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) traçait les lignes rouges à ne pas franchir. Et aujourd’hui, de nouvelles voix s’élèvent pour contester cet usage biométrique.

Ce jeudi 19 décembre, une lettre commune signée par 80 organisations (dont Attac, l’EFF, Framasoft, La Quadrature du Net, la Ligue des Droits de l’Homme, l’Observatoire des Libertés et du Numérique et le Syndicat de la Magistrature) appelant le gouvernement et le parlement «  à interdire toutes les pratiques de reconnaissance faciale sécuritaire présentes et à venir », une telle trajectoire ne pouvant aboutir qu’à la surveillance « de masse » et « permanente » de l’espace public.

Reconnaissance faciale

En France, la reconnaissance faciale est souhaitée au niveau du gouvernement, pour des raisons sécuritaires et de praticité. // Source : EFF

« Aucun argument ne peut justifier le déploiement d’une telle technologie : au-delà de quelques agréments anecdotiques (utiliser son visage plutôt que des mots de passe pour s’authentifier en ligne ou activer son téléphone…), ses seules promesses effectives sont de conférer à l’État un pouvoir de contrôle total sur la population, dont il ne pourra qu’être tenté d’abuser contre ses opposant·es politiques et certaines populations », écrivent les signataires.

Alicem ?

« Authentification en LIgne CErtifiée sur Mobile » (la CNIL parle aussi d’une « application de lecture d’un citoyen en mobilité »), Alicem est une application en cours de conception qui se sert de la reconnaissance faciale, afin d’offrir à la population une nouvelle façon de se connecter aux services publics, en s’assurant de l’identité de chaque personne avec un haut degré de certitude.

Cet appel à un rejet de la reconnaissance faciale à des fins sécuritaires connaît un certain écho dans la classe politique, puisque plusieurs formations, dont certaines sont présentes à l’Assemblée nationale ou au Sénat, figurent parmi les opposants. C’est le cas de La France Insoumise, du Parti Communiste Français, du Parti Pirate ainsi que de Génération-s, le mouvement de Benoît Hamon.

Au-delà de l’aspect sécuritaire, les signataires défendent aussi un renforcement strict de la protection des données personnelles et une restriction accrue des autres usages de ce procédé, y compris à des fins privées. « L’ensemble de ces dispositifs ne sont pas assez protecteurs des atteintes à la vie privée ; ils préparent, et banalisent une société de surveillance de masse », arguent-ils. Or, là peut être le piège, en accoutumant la population par une approche pratique.

Des parlementaires réclament un moratoire

Hasard du calendrier, la lettre commune est publiée peu ou prou au même moment où une tribune parue dans Libération réclame d’urgence un moratoire sur la reconnaissance faciale. Un texte qui est notamment signé par un député du MoDem, Philippe Latombe, et deux élues de La République en marche, Albane Gaillot et Paula Forteza — signe que le sujet divise au sein de la majorité présidentielle et de ses plus proches partenaires à l’Assemblée nationale.

Contrairement à la lettre commune, la tribune est moins définitive. Elle ne s’oppose à la reconnaissance faciale que dans le cas où l’absence du consentement préalable et éclairé des personnes est constatée et lorsque les garanties en matière de sécurité et de libertés fondamentales sont insuffisantes. Une approbation de plusieurs autorités, comme la CNIL ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme est aussi souhaitée, ainsi que celle des agences spécialisées de l’État.

NonOmnisMoriar

Au Parlement, la reconnaissance faciale divise. // Source : NonOmnisMoriar

Ce moratoire vise donc surtout à mettre en pause un développement technologique qui se fait essentiellement « sans contrôle ». Les parlementaires jugent qu’il faut pouvoir se saisir de ce moment pour « organiser un débat public et une convention citoyenne sur le sens à donner à l’innovation numérique », soutiennent-ils. Quelles attentes de la population ? Quel cadre légal bâtir ? Et surtout, quelles conséquences éventuelles en cas d’autorisation totale ou partielle de la reconnaissance faciale ?

« Nous ne devons pas céder au solutionnisme technologique et sacrifier nos droits sur l’autel de l’innovation technologique. Osons le moratoire pour prendre le temps et le recul nécessaires pour définir notre contrat social vis-à-vis de cette technologie. […] Ne subissons pas le développement technologique, mais devenons des acteurs à part entière de la transition numérique », concluent les parlementaires. Seront-ils entendus par leurs collègues à l’Assemblée ?


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