Le mouvement est né en Angleterre et, depuis quelques mois, il s’exporte dans le monde entier : Extinction Rebellion, surnommé XR, est un nouveau groupe écologiste qui prône la non-violence. En France, on entend davantage parler de XR depuis qu’ils ont mis en place une ZAD (zone à défendre) à Châtelet, à Paris. Les militants et militantes y ont pris place depuis le 7 octobre, avec des barrières, des tentes, des pancartes. Ils réclament des actions urgentes face à la crise climatique, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La sonnette d’alarme est inscrite dans leur logo : un cercle, représentant la Terre, au sein duquel on retrouve un sabler, pour l’urgence.
Puisqu’il est récent, et presque aussi décentralisé qu’Anonymous, il peut être encore difficile de cerner clairement la nature et les revendications du mouvement. D’autant que les réactions politiques françaises sont variées. La mairesse de Paris Anne Hidalgo a soutenu le mouvement, en déclarant que « Je soutiens ces actions dès lors qu’elles sont non-violentes ». De son côté, Ségolène Royal a inversement dénoncé des groupes violents. Certains gilets jaunes font également part de leurs inquiétudes sur une sorte de « capitalisme vert » véhiculé par XR : Maxime Nicolle, une des têtes les plus connues, estime par exemple que le mouvement serait financé par des milliardaires, et s’étonne que la police ne les déloge pas.
Pour mieux comprendre ce qui motive le mouvement Extinction Rebellion, et pour rencontrer celles et ceux qui le portent, Numerama s’est rendu, le mercredi 9 octobre, sur la « zone à défendre » de Châtelet. La réalité sur place ne correspond à aucun des clichés qui peuvent parfois circuler sur ce groupement. Nous avons même pu observer quelques éléments qui rendent XR assez inédit dans le format de son message, et le principal est probablement l’omniprésence de la science.
La science est centrale dans ce mouvement
Tout autour de la ZAD, on retrouve des « peace keepers » munis d’un gilet orange. Leur rôle : indiquer aux passants que le pont du Change, derrière la ZAD, est « bloqué par la police par mesure de sécurité, ce qui était recherché ». Mais cette mission de peace keeper est surtout un prétexte pour happer les gens, les rencontrer, leur parler. Le maître-mot des militants et des militantes sur place : « informer ». Et ce, sur la science.
Ce leitmotiv apparaît directement inscrit dans l’ADN du mouvement. En plein milieu, d’une route, sous une tente bleue, une réunion se tient. Il s’agit d’une sorte de conférence, donnée par une chercheuse en biologie. Le but est de former les personnes intéressées sur comment communiquer au sujet du mouvement, que ce soit ici sur place ou dans les antennes locales. « Il faut informer les gens sur la merde dans laquelle on est et comment s’en sortir », introduit-elle.
Elle explique ensuite que la stratégie consiste avant-tout à parler de l’état actuel des enjeux environnementaux d’un point de vue strictement scientifique. Toute conférence de présentation, précise-t-elle, doit impérativement démarrer « par une partie scientifique : sur le climat, puis sur la biologie et sur la biodiversité ». Cette transmission doit se faire par l’explication pédagogique de certains concepts, comme ce qu’est l’effet de serre. L’idée est également de rappeler comment fonctionne la méthode scientifique : différencier l’opinion d’un seul scientifique d’un article évalué par les pairs ; ce qu’est le principe de précaution ; quel est le travail du GIEC et leurs rapports phares.
Les membres impliqués dans XR et chargés de faire des talks doivent avoir en leur possession des fiches avec des sources, à distribuer à l’assistance. On y trouve des liens vers des articles purement scientifiques et des articles d’actualité. Même les affiches, disposées au centre de la ZAD, ne font pas exception : une pancarte au sujet des énergies fossiles et du dépérissement des sols est accompagnée d’une banderole faisant référence au rapport de l’IPBES sur le déclin de la biodiversité. Le tout est complété par une bibliographie — il n’est pas rare de voir quelques personnes la prendre en photo.
Pour la société du futur, il faut « retisser des liens »
Si le mouvement se veut non-violent, pourquoi se dit-il également « radical » ? De nombreux observateurs politiques ont relevé que la « radicalité » du mouvement était la preuve qu’il était en réalité violent dans son message. Sur ce sujet, un militant nous fait part de son exaspération face ce qu’il décrit comme un « amalgame absurde ». Il explique que la radicalité, chez XR, n’a rien à voir avec un intégrisme ou un extrémisme, cela correspond plutôt au sens originel de ce mot : la volonté « d’identifier et de changer les causes profondes », et ce bel et bien « en opposition avec le capitalisme, qu’il soit vert ou autre », précise le militant, se revendiquant quant à lui anarchiste.
Les militants rencontrés par Numerama tiennent aussi à démystifier l’étiquette « activiste de l’apocalypse climatique » qui leur est parfois accolée. Ils insistent sur le fait qu’il est nécessaire d’alarmer sur une situation urgente, mais qu’ils prennent également soin de ne pas se mettre dans une situation de malaise ou de dépression. Le but n’est pas d’effrayer, mais d’en arriver à la prise de conscience et donc au changement. Pendant la conférence évoquée précédemment, la speakeuse insiste : « Après un talk, il faut prendre le temps de parler ensemble des émotions, de tisser des liens, de prendre soin les uns des autres ».
L’atmosphère de la ZAD est effectivement conviviale et accueillante. Tout est construit comme une sorte de quartier d’habitation, avec des tentes, des toilettes, des coins épiceries, une bagagerie. Symbole du mode de vie alternatif anti-capitaliste que XR veut défendre, une « gratuiterie » est présente en permanence. Les militants eux-mêmes, mais aussi des habitants et des soutiens viennent y déposer des vêtements et de la nourriture.
L’accueil chaleureux s’étend y compris envers les journalistes de tous bords, que les militants s’empressent de tutoyer et de faire visiter les lieux, car la bonne relation avec les médias correspond à leur idéal de communication scientifique envers le grand public. Avec les passants, après avoir passé un certain temps avec les peace keepers, nous avons pu constater que certains s’énervent (« ils vont nous faire chier combien de temps » s’irrite une étudiante), mais surtout que cette réaction apparaît minoritaire. Beaucoup d’habitants prennent le temps d’échanger quelques mots de soutien, presque en s’excusant de ne pas faire davantage : « Je ne suis pas présent, mais je vous soutiens » ; « C’est pas pratique pour passer, mais vous avez raison de le faire ».
La plupart des militants interrogés par Numerama évoquent cette même expression : « retisser du lien ». Bâtir une société plus axée sur le partage, à la fois matériel et des émotions. Raison pour laquelle ils veulent que leurs actions soient une immixtion forte dans le quotidien des gens, mais en essayant de ne pas trop les brusquer. Ils veulent défendre une société du bien-être et cette optique trouve d’ailleurs un écho dans certains profils présents (nous avons par exemple croisé un ostéopathe et praticien de la médecine chinoise). Et ils sont convaincus que c’est par leur présence continue, autant que l’information qu’ils transmettent, qu’ils arriveront à générer le changement.
L’environnement… avant-tout
Les militants présents à la ZAD ont en commun de venir de milieux sociaux aisés ou de niveaux d’étude assez élevés. « C’est normal, les plus pauvres ont autre chose à faire que de venir ici, ils doivent survivre », nous indique un militant. Les tranches d’âge n’obéissent en revanche à aucune règle. Devant l’une des barricades, on retrouve deux jeunes lycéennes et, juste à côté d’elles, un couple ayant la cinquantaine chacun. Tous et toutes sont animées par la volonté de faire passer l’environnement avant tout le reste, même si cela implique de dormir dans des tentes, en pleine ville, sous la pluie.
Mais cet engagement pour faire passer la cause écologique en priorité ne s’inscrit pas seulement dans le cadre de cet événement bien précis. Pour beaucoup, ils l’ont intégré dans leur façon quotidienne de penser, dans leur mode de vie, et ils espèrent qu’en partageant cela au plein cœur de la ville, ils en inspireront d’autres. « Au début, j’étais simplement devenue végétarienne par principe, nous confie Solal, 26 ans. Je n’étais pas plus engagée que ça, puis à partir de ce choix j’ai commencé à me renseigner sur d’autres choses qui gravitaient autour, et j’ai progressivement changé tout le reste. »
Pour Héloïse et Aliénor, 16 ans chacune, c’est encore plus profond. Quand on leur demande quel avenir professionnel elles envisagent, elles ne savent pas. Et ce n’est pas ce qui les inquiète, car c’est leur engagement écologique qui compte : « L’idée d’avoir un métier ne sert à rien, sans un environnement où habiter ». Elles sont référentes Youth for Climate dans leur lycée depuis qu’elles ont 15 ans, et on sent bien, à leur détermination, que cet engagement n’est pas prêt de faiblir.
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