En plus de 30 ans d’existence, le groupe de hackers du Culte de la Vache Morte s’est forgé une sacrée réputation dans le milieu. Aujourd’hui, cette célébrité est en passe d’atteindre le grand public, car l’un de ses anciens membres est candidat à l’élection présidentielle américaine.

L’élection présidentielle américaine de 2020 pourrait s’avérer bien plus surprenante que ce qu’elle laisse présager. Après la candidate démocrate Elizabeth Warren et ses désirs de démantèlement des géants du net, c’est au tour d’une autre personnalité de l’opposition à Donald Trump de se faire remarquer : Beto O’Rourke. Mais ici, ce ne sont pas ses idées politiques qui ont retenu le plus l’attention. C’est son parcours.

Dans sa jeunesse, l’homme âgé aujourd’hui de 46 ans a été membre du Culte de la Vache Morte (Cult of the Dead Cow, en anglais, ou cDc). Ce nom obscur et glauque ne vous dit probablement rien, mais contrairement à ce qu’il laisse supposer de prime abord, il n’a rien à voir avec un quelconque groupuscule satanique ou une amicale locale des carnistes qui chercherait à combattre les végétariens.

Pendant des années, les autres membres du Culte de la Vache Morte ont convenu de ne pas révéler que Beto O’Rourke a été autrefois des leurs. Il s’agissait alors de protéger la carrière politique de leur ancien partenaire. Celle-ci s’est avérée brillante : il a réussi en particulier à atteindre un échelon national, en devenant membre de la Chambre des représentants des États-Unis, à 40 ans, et cela pendant six ans, de 2013 à 2019. Désormais, c’est vers la Maison Blanche que le natif d’El Paso s’est tourné, après un échec pour un siège au Sénat américain.

Tout aurait pu être pour le mieux dans le meilleur des mondes, et ses liens avec le cDc ne jamais faire les gros titres, mais c’était sans compter l’écriture d’un livre, dont la parution est programmée pour le 4 juin 2019. Dedans, plusieurs entretiens entre l’auteur et des membres du cDc ont permis d’établir l’appartenance passée de Beto O’Rourke au collectif.

Son titre ? Cult of the Dead Cow: How the Original Hacking Supergroup Might Just Save the World.

Un collectif de hackers

Car le Cult of the Dead Cow est en fait un rassemblement de hackers qui a vu le jour en 1984. Il est d’ailleurs considéré comme le collectif de hackers le plus ancien des États-Unis. C’est aussi l’un des plus vieux encore actifs : d’autres groupes apparus à la même période, comme Legion of Doom ou Masters of Deception, ont cessé leurs opérations au début des années 1990.

Et sa notoriété est grande : elle peut être comparée au Chaos Computer Club, ou CCC,  la plus grosse organisation de hackers en Europe. Le CCC est d’ailleurs à peine plus vieux que le cDc, puisque l’association allemande a vu le jour en septembre 1981. Et comme le cDc, le CCC est toujours dans le coup : il se mobilise par exemple sur des problématiques comme l’accès aux codes sources des logiciels, le vote électronique et l’usage de la biométrie pour l’authentification (que ce soit les empreintes digitales ou l’iris).

Le Culte de la Vache Morte est présenté comme « groupe de pirates américains le plus ancien, le plus respecté et le plus célèbre de tous les temps » par Joseph Menn, l’auteur de l’ouvrage à paraître. L’intéressé rappelle par exemple que le cDc a « contribué au développement de Tor, l’outil de protection de la vie privée le plus important sur le net » », un réseau sur lequel les internautes peuvent masquer leur vraie adresse IP, en faisant passer la connexion par une série de nœuds, de manière à camoufler sa vraie localisation géographique.

Pourquoi ce nom ?

Les fondateurs du cDc se donnaient en fait rendez-vous dans un abattoir dans la ville de Lubbock, au Texas, un État où l’élevage des bovins est important. Ce cadre très particulier a été la source d’inspiration pour ce nom. Aujourd’hui, cet abattoir a disparu.

[caption id="attachment_472735" align="aligncenter" width="210"]Le logo. // Source : cDc Le logo. // Source : cDc[/caption]

« L’arrivée du groupement de hackers The Cult of the Dead Cow peut être considéré comme un tournant dans l’histoire des web-militants », expliquait aux Inrocks Olivier Blondeau sociologue et co-auteur du livre Devenir media : L’Activisme sur Internet, entre défection et expérimentation. On doit au cDc l’invention du terme de « hacktivisme », mot valise entre hacking et activisme, pour désigner l’usage du piratage informatique et de la bidouille électronique à des fins politiques, et, en 2001, la publication du manifeste de l’hacktivisme. C’est ce que confirme Joseph Menn dans son livre : « ses membres ont inventé le concept de hacktivisme ».

C’est toutefois surtout dans les décennies 1990 et 2000 que le Cult of the Dead Cow s’est montré le plus animé, avec la sortie en 1998 de Back Orifice, un logiciel permettant de prendre le contrôle à distance d’ordinateurs utilisant le système d’exploitation Windows, ou le lancement de la campagne Goolag en 2006 pour dénoncer le rapprochement de Google avec Pékin. Celle-ci s’est poursuivie en 2008 avec la sortie d’un outil pour auditer son site web en se servant de la technique du Google hacking.

C’est au cours de cette période que le cDc a été au faîte de sa gloire, avec plusieurs projets et opérations, qu’il s’agisse de Back Orifice, Hong Kong Blondes (une opération inventée pour servir de couverture à l’extraction de plusieurs militants pro-démocratie chinois, qui a été révélée en 2015 par Oxblood Ruffin, un autre membre du cDc), Hacktivismo (un projet agissant contre la censure du net) et la publication de son manifeste.

Les anarchistes abusent d'Internet, un article du Western Mail en 1995 qui évoque le cDc. // Source : Rhys Jones

Les anarchistes abusent d'Internet, un article du Western Mail en 1995 qui évoque le cDc.

Source : Rhys Jones

Aujourd’hui, le Cult of the Dead Cow semble davantage en retrait, même si sa page Facebook est toujours active — même les hackers vivent avec leur temps. On se souvient toutefois des commentaires du groupe vis-à-vis du mode opératoire mis en œuvre par celles et ceux se revendiquant du mouvement Anonymous. En 2012, des attaques par déni de service distribuées (DDoS) étaient lancées pour venger The Pirate Bay, le plus célèbre portail web de liens BitTorrent, parce qu’un fournisseur d’accès à Internet britannique avait commencé à bloquer le site à la suite d’une décision de justice lui ordonnant de le faire.

Une méthode qu’avaient dénoncée à l’époque des membres du cDc : « Anonymous se bat pour la liberté d’expression sur Internet, mais c’est difficile de les soutenir lorsqu’ils empêchent les autres de parler ».

Le cDc n’a toutefois pas rendu les armes. « Aujourd’hui, le groupe et ses partisans luttent contre la désinformation électorale », défend Joseph Menn. Ils « rendent les données personnelles plus sûres et luttent pour que la technologie demeure une force pour le bien plutôt que pour la surveillance et l’oppression » et « montrent comment les gouvernements, les entreprises et les criminels en sont venus à détenir un immense pouvoir sur les individus et comment il convient de lutter contre eux ».

Un écrivain plutôt qu’un hacker

Beto O’Rourke, lui, a depuis bien longtemps raccroché. Celui qui signait autrefois ses interventions par un pseudonyme tout à fait grandiloquent de « Psychedelic Warlord » (soit « Seigneur de guerre psychédélique » : qui n’a jamais été adolescent sur le web ?), n’a en outre jamais été un rouage majeur du groupe, ni l’un de ses fondateurs. C’est Kevin Wheeler, alias Grandmaster Ratte’ (aussi surnommé Swamp Rat), qui en est à l’origine, avec Franken Gibe et Sid Vicious.

« J’étais vraiment à la marge, mais je voulais vraiment être aussi cool que ces gens, aussi sophistiqués et technologiquement compétents, conscients et intelligents qu’ils l’étaient », a déclaré Beto O’Rourke dans une interview. « Je ne l’ai jamais été, mais cela signifiait tellement de pouvoir faire partie de quelque chose avec eux… comprendre comment le monde fonctionnait — littéralement comment il fonctionnait, comment le système téléphonique fonctionnait et comment nous étions tous connectés les uns aux autres ».

Il semble que Beto O’Rourke n’a jamais participé à des opérations de piratage, hormis peut-être l’emploi de techniques pour éviter que ses communications ne soient facturées par les opérateurs — à cette époque, l’Internet illimité n’existait pas encore. Questionné à ce sujet, le candidat démocrate n’a pas détaillé la façon dont il a procédé pour éviter d’exploser la facture téléphonique.

Le rôle mineur de Beto O’Rourke est confirmé par Kevin Wheeler. Pendant la période où Beto O’Rourke était dans le coup, le cDc incitait surtout ses membres à écrire, ce que le futur candidat démocrate faisait : « Nous ne cherchions pas délibérément à pirater […]. C’était vraiment une question de personnalité et d’écriture. Pendant longtemps, le test, ou l’évaluation, a été d’écrire des fichiers textes. On s’attendait à ce que tout le monde écrive des choses ».

Grandmaster Ratte' à gauche en 2002, Oxblood Ruffin à droite en 2014

Grandmaster Ratte' à gauche en 2002, Oxblood Ruffin à droite en 2014.

Des écrits polémiques d’adolescent

Les recherchées menées par Reuters suggère que l’intéressé a pris ses distances avec les autres membres du cDc à la fin des années 1990. Le dernier contact qui est mentionné entre Beto O’Rourke et des membres du cDc est daté en 1997.

Mais si Beto O’Rourke n’a été qu’un membre parmi d’autres lorsqu’il était adolescent, et que son rôle a de toute évidence été limité, il s’avère que ce sont certains de ses textes qui reviennent aujourd’hui en pleine figure du candidat démocrate, trente ans après.

Au nombre de neuf et signés entre 1987 et 1990, donc lorsqu’il avait entre 14 et 18 ans, ils ne sont pas tous controversés. Deux d’entre eux font polémiques : l’un est une fiction meurtrière (Visions From The Last Crusade) et l’autre est une retranscription d’une discussion avec un néo-nazi, un certain Ausderau, qui visait à essayer de lui montrer qu’il avait tort en arrivant à retourner son propos.

Beto O’Rourke, qui a annoncé le 14 mars 2019 sa candidature à la primaire démocrate, a dès le 15 mars réagi sur ce passé  qui a soudainement ressurgi.« Je suis mortifié de relire cela aujourd’hui, incroyablement embarrassé, mais je dois assumer ce que j’ai écrit », s’est-il excusé. Cet épisode de son adolescence sera-t-il un boulet pour 2020 ? En tout cas, cela n’a manifestement pas empêché les premiers dons d’affluer pour financer sa campagne.


Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !