Sous le hashtag ironique #Layoffseason (ou « saison du licenciement » en français), de nombreux employés de grandes entreprises de la tech filment leur licenciement, avant de le poster sur TikTok.

Depuis la fin de l’année 2022, c’est l’hécatombe : 11 000 postes en moins chez Meta, 10 000 licenciements chez Amazon, 12 000 chez Google et 10 000 chez Microsoft depuis le début de l’année 2023… En tout, ce sont 1 190 entreprises de la tech qui ont licencié plus de 262 000 employés durant l’année 2023, principalement en Amérique du Nord.

Après avoir recruté massivement au moment de la crise sanitaire du Covid-19 pour participer à la mise en place du télétravail, l’inflation qui a découlé de la guerre en Ukraine a mis en péril l’économie américaine. Même pour les grandes entreprises de la tech, les licenciements se sont multipliés pour rassurer les marchés afin de s’adapter à la crise économique. Depuis le début de l’année 2024, ce serait presque 32 000 employés qui auraient été mis à la porte, selon le tracker Layoffs.fyi. 

Des chiffres qui donnent le vertige, mais qui restent souvent confinés aux rubriques économiques… sauf quand on ouvre TikTok. Sur la plateforme de création et de partage de courtes vidéos, depuis début 2023, on croise des vidéos montrant des employés de la tech se faisant licencier par écrans interposés. Les vidéos de Chloé Shih, une influenceuse et employée chez Discord, où elle confie sa peur d’être renvoyée, puis son licenciement, cumulent à elles deux plus de 11 millions de vues. Face caméra, les ex-employés de la tech filment les signes annonciateurs, mais aussi leur choc face à l’annonce de leur licenciement. 

@chloeshih

i just wanna throw up heres to all the layoffs happening at @Twitch @Google @Discord @Audible and so many more this month #layoffs #layoffseason #discord #productmanager #techlayoff

♬ original sound – Chloe Shih

Shelly est l’une de ces tiktokeuse à avoir filmé son licenciement : dans une vidéo intitulée « GRWM to get laid off » (« préparez-vous avec moi pour être licenciée ») la jeune responsable de développement dans une entreprise de la tech à Toronto se maquille, tout en expliquant pourquoi elle pense être virée.

Sa vidéo a rapidement atteint les 900 000 vues. « L’entreprise où je travaillais n’était pas grande, mais les licenciements subis allaient de pair avec ce qu’il se passait dans d’autres entreprises de la tech en Amérique du Nord. Il y a eu beaucoup de nouvelles embauches durant le Covid, et maintenant que l’économie ralentit, ces entreprises réalisent qu’elles n’ont pas l’argent pour tous ces employés », confie la jeune femme à Numerama.

@coolkidshelly

happens to the best of us my friends! drop down hobby suggestions in the comments, can’t wait to bounce back #layoffs #grwm #sad #beautifulgirl

♬ original sound – shelly

Se filmer pour déstigmatiser le licenciement

Si les licenciements ne datent pas d’hier, la manière de les visibiliser, à l’ère de TikTok, sont nouveaux, selon Virginie Spies, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université d’Avignon, semiologue et analyste des médias : « Ça nous dit que tout peut être rendu public aujourd’hui : on peut faire le récit du présent, y compris ce qui n’est pas vu comme reluisant ». Être viré, c’est normalement être en position de « faiblesse » : se filmer en train de réagir à cette nouvelle et la poster, c’est une manière de reprendre le contrôle. « Cela permet de récolter des encouragements, des conseils, de faire communauté, et donc peut-être de se faire repérer aussi », ajoute la sémiologue, rappelant que tout le monde n’est pas à l’aise avec le fait de se mettre en scène. Souvent, les vidéos du #layoffseason qui deviennent virales sont faites par des personnes maîtrisant les codes de TikTok, voire créant déjà du contenu en parallèle de leur job dans la tech. 

« Je me suis dit que si j’allumais ma caméra et que je verbalisais mes pensées, je me sentirais mieux »

Shelly a décidé de filmer son licenciement, car elle voulait « apporter de la lumière sur un moment triste ». « Je me suis dit que si j’allumais ma caméra et que je verbalisais mes pensées, je me sentirais mieux. J’ai été virée avec d’autres personnes si talentueuses de mon entreprise, nous sommes beaucoup à avoir enregistré et diffusé nos expériences », raconte-t-elle. Avant cet événement, Shelly pensait qu’il n’y avait que les personnes peu performantes qui risquaient leur place : les récents licenciements massifs de la tech lui ont fait changer d’avis. « Ça a été une expérience révélatrice et j’espère que tout le monde comprend que malheureusement, c’est une réalité d’une partie du secteur de la tech actuellement », confie-t-elle. Selon elle, « plus il y aura de TikTok, plus il y aura de prises de conscience, et donc plus de soutien et de sympathie pour les futurs licenciés

Une manière d’humaniser les licenciements de la Big Tech ? 

La viralité de ces vidéos de licenciement amène les créateurs à recevoir une pluie de messages de soutiens, d’encouragements, ou des commentaires de personnes traversant la même situation. « Le but des réseaux sociaux, c’est de faire communauté pour celui qui parle, mais aussi celui qui reçoit », analyse Virginie Spies.

D’autant que les TikTokeurs n’hésitent pas à continuer le storytelling de leur licenciement, à travers de nombreuses vidéos, pour parler du cas de leur entreprise, de leur recherche d’emploi, de leur nouvelle « routine »… « Cela touche beaucoup de personnes, car on sait à quel point les licenciements peuvent être difficiles, surtout pour les jeunes qui naviguent dans le monde du travail. Et puis ça remet de l’humain sur des chiffres », ajoute la sémiologue. 

Le succès de sa vidéo était « complètement inattendu » pour Shelly, qui témoigne de nombreux messages de soutien, mais aussi des commentaires de recruteurs ou de chasseurs de tête lui proposant un nouvel emploi. Pour l’instant, la jeune femme n’est pas retournée dans le secteur de la tech, encore meurtri de ses dizaines de milliers de licenciements. « C’est triste à voir, mais beaucoup de gens sont affectés, et continuent à l’être », confie Shelly. Quelques semaines après cette vidéo devenue virale, la jeune femme ne regrette pas : « beaucoup de superbes opportunités ont émergé de cette vidéo ». En effet, les abonnements qu’elle a acquis lui ont permis de construire une base de communauté pour se lancer dans la création de contenus lifestyle sur sa ville de résidence, Toronto. 

Si Shelly a réussi à rebondir, le secteur de la tech ne semble pas en avoir fini avec les licenciements, en partie en raison de la volonté d’investir dans le développement de l’intelligence artificielle. Mark Zuckerberg, patron de Meta, a récemment déclaré que son entreprise avait dû licencier des employés et contrôler les coûts « afin que nous puissions investir dans des visions ambitieuses à long terme autour de l’IA ».

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