Twitter France n’aurait pas dû accepter de certifier le compte @LoiTravail ouvert par le gouvernement, aussi bien pour des raisons de forme que de fond.

D’abord il y a eu la stupéfaction et le rire moqueur, lorsque l’on a découvert l’ouverture du compte @LoiTravail par le gouvernement. Puis très vite, le doute. S’agit-il bien d’un compte officiel et non d’une parodie qui veut se moquer de la communication gouvernementale, aussi maladroite qu’inefficace ? Et enfin, la colère. Le petit logo distribué par Twitter est là : « compte certifié ».

Or jamais Twitter n’aurait dû donner au gouvernement le sceau d’un « compte certifié » au nom de la « Loi Travail ». Aussi bien pour des raisons de forme que pour des raisons de fond, plus essentielles.

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Les règles de Twitter

Selon les propres explications de Twitter, « la certification est actuellement utilisée pour authentifier l’identité de personnes et de marques clés sur Twitter ». Or la « Loi Travail » n’est ni une personne, ni une marque. Ce n’est même pas le nom d’un projet de loi, puisqu’on en est encore au stade de l’avant-projet.

Toujours selon Twitter, la certification doit « permettre aux utilisateurs de trouver plus facilement les personnes qu’ils recherchent ». Mais personne ne recherche la « loi travail » en tant que personne, quand bien même le gouvernement utilise-t-il la première personne pour lui donner vie (ce qui est en soi ridicule, mais passons) :

https://twitter.com/LoiTravail/status/702884784591269888

Par ailleurs on ne sait pas qui est certifié. Si l’on se doute qu’il s’agit du gouvernement, rien ne le dit clairement à qui irait trouver des informations. Il n’est dit nulle part qu’il s’agit d’un compte officiel édité par les services de communication du gouvernement. Tout juste trouve-t-on dans la biographie un lien vers une page du site de Matignon sur la réforme du travail.

Mais comme le fait remarquer une internaute, pour être honnête le lien aurait dû conduire non pas vers une page de vulgarisation (orientée) sur le contenu (partiel) du projet de loi, mais vers le projet de loi lui-même :

Rien que pour ces raisons de forme, Twitter aurait donc dû refuser de délivrer sa certification. Mais le plus important est sur le fond.

L’exception pour le gouvernement

En donnant son sceau au gouvernement pour parler en tant que @LoiTravail, Twitter donne à la parole officielle gouvernementale une importance, une légitimité particulière dans le débat public.

Est-ce que des organisations syndicales opposées au projet de loi, ou des partis politiques qui voudront défendre tels ou tels amendements, peuvent eux aussi ouvrir un compte au nom d’un projet de loi qui fait l’objet d’un débat public qui appartient à tous, et obtenir que leur point de vue à eux dans ce débat soit « certifié » ?

Il est certain en tout cas qu’un citoyen lambda qui se passionne pour le sujet et pour ses droits n’aurait pas bénéficié du même traitement, alors qu’il est tout aussi légitime à s’exprimer. Comme l’explique le réseau social, « nous n’acceptons pas les demandes de certification émanant du grand public ». Le particulier peut bien ouvrir un compte sur la base du « premier arrivé, premier servi », mais il n’aura pas le sceau bleu qui donne du crédit à la parole livrée.

C’est un problème d’égalité des armes démocratiques qui se pose avec la certification accordée par Twitter France

Or on se souviendra par exemple qu’en 2005, lors du débat pour le référendum sur la Constitution européenne, c’est un particulier, Etienne Chouard, enseignant de son état, qui a porté la contradiction grâce à son blog, et fortement contribué par sa pugnacité à faire chuter le « oui » voulu par la puissance publique. S’il avait eu Twitter à l’époque, peut-être aurait-il voulu l’intituler @ConstitutionUE. Il n’aurait pas eu le sceau du « compte certifié ». Le gouvernement, lui, l’aurait eu.

C’est donc un problème d’égalité des armes démocratiques qui se pose avec la certification accordée par Twitter France, qui cherche probablement à se faire pardonner de ses errements réels et supposés, mais en tout cas maintes fois dénoncés, dans l’affaire des tags homophobes ou racistes. Le gouvernement s’est depuis souvent félicité des mesures prises par Twitter France, et de la bonne entente entre l’entreprise et le gouvernement. Une bonne entente qui va peut-être, cette fois, un peu trop loin.

Contacté, Twitter France n’a pas encore répondu à nos questions.

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