Mais qu’est-ce qui peut bien pousser des artistes comme Radiohead, Nine Inch Nails ou Saul Williams à préférer s’associer aux internautes pirates plutôt qu’aux maisons de disques qui ne leur veulent pourtant que fortune et célébrité ? Pour la célébrité, c’est bon. Pour la fortune, c’est moins sûr. Ou comment en direct sur Europe 1, un artiste signé chez Sony BMG raconte en larmes qu’il se retrouve au RMI après avoir vendu cette année plus de 100.000 disques…

Vous l’avez sûrement entendu au moins une fois. Ce fut l’un des tubes de l’année, parfaitement orchestré entre M6 et Sony BMG. Chanté depuis 2004 par Sébasto, « Fais la poule » est propulsé sur le devant de la scène dans l’émission « Incroyables Talents » sur M6, le 16 novembre 2006. Ceux qui ont vu l’émission se souviennent que la chanson (du genre de celles qui tournent en boucle dans la tête une fois qu’on l’a entendue) était matraquée à l’antenne, plusieurs fois par émission. Le but, bien sûr, était de créer chez les spectateurs le désir de retrouver la chanson dans les bacs et de l’acheter dès que possible :

Le buzz a parfaitement fonctionné, et le disque sort deux mois plus tard, le 29 janvier chez Sony BMG. Le clip est diffusé sur Internet par Wideo (filiale de M6) dès le 3 janvier :

Les ventes décollent, comme prévu. Tout était parfait. Sébasto, jusqu’alors chanteur enthousiaste mais totalement inconnu, est aux anges. Selon ses propres chiffres, il aurait vendu 108.000 singles de « Fais la poule », 30.000 « La Cantine » (son deuxième single), 116.000 compilations et 17.000 téléchargements. La semaine suivant sa sortie, le titre se hisse directement en troisième position des disques les mieux vendus, et atteint la deuxième place la semaine suivante. Sébasto et sa poule restent sept semaines de suite dans le top 10 français.

Moins d’un an plus tard, Sébasto demande et obtient le RMI. Entre temps, il a reçu son premier relevé de royalties. Ses gains, dit-il, s’élèvent à 477 euros, auxquels il faut ajouter des avances, « mais quand même minimes aussi ».

Comment est-ce possible ?

Malheureusement, si ce genre d’histoires se raconte peu dans les grands médias, elles sont choses courantes. Simplifions beaucoup les choses. Pour bien comprendre comment une maison de disques fonctionne, il faut la comparer à une banque qui prête de l’argent à l’artiste qui souhaite enregistrer un disque, et qu’il va falloir rembourser. La maison de disques commence donc par avancer l’argent pour la production de l’album et provisionne les frais marketing. L’artiste donne alors une partie de la somme reçue pour la production au manager, et au producteur (qui est souvent lié à la maison de disques). Il ne lui reste alors pour vivre, entre la signature du contrat et la sortie de l’album, que la différence restante. Souvent pas grand chose, puisque l’artiste est fortemment incité à dépenser au maximum dans la production. Ensuite, il faut rembourser la somme prêtée, plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire plusieurs centaines de milliers en fonction des artistes et des albums. Et le remboursement est prélevé directement sur le paiement des royalties. Ce que touche l’artiste en bout de course n’est donc que l’éventuelle partie des royalties qui dépasse le montant du prêt. Sauf que. Les contrats sont en général ficelés pour obliger à la production de plusieurs albums (ou singles)… et la maison de disques s’octroie par contrat le droit de prélever sur les royalties à verser pour l’album précédent la somme à prêter pour l’album suivant. Ce qui fait qu’un artiste peut enchaîner plusieurs albums dans une même maison de disques sans jamais voir la couleur de ses royalties. Ca peut durer comme ça plus de dix ans pour trois albums, surtout que les maisons de disques connaissent des tas d’astuces pour repousser l’enregistrement et la sortie des albums.

Voilà sans doute pourquoi Sébasto, qui n’a probablement lu de son contrat que l’article prévoyant environ 8 % des revenus net, se retrouve avec un simple chèque de 477 euros après avoir vendu plus de 100.000 singles. Il aurait de toute façon eu toutes les peines à comprendre son contrat s’il l’avait lu, tant la rédaction d’un contrat d’édition est faite pour brouiller les pistes. C’est au manager de bien conseiller son client. Mais selon le témoignage de Sébasto, ses managers se seraient assurés la part du lion avec 60 % de frais sur toutes les avances et 42 % sur les ventes de disques ! Des sommes que les managers, eux, ne doivent pas rembourser à la maison de disques. Porter plainte ? Trop long, trop cher, pour un résultat trop incertain. Le contrat fait loi.

Voilà pourquoi des artistes comme Radiohead, Nine Inch Nails ou Saul Williams quittent aujourd’hui les maisons de disques. Et pourquoi ils devraient être de plus en plus nombreux à se passer du prestige d’une signature chez Sony BMG ou quelqu’autre label.


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