L’Hadopi annonce qu’elle enverra ses premiers dossiers aux tribunaux avant le printemps, pour faire sanctionner les abonnés jugés coupables de « négligence caractérisée ». Ce qu’elle peut difficilement faire sans avoir amené l’abonné à livrer lui-même les éléments de sa culpabilité. Pour éviter l’ordonnance pénale et obtenir un vrai procès en bonne et due forme qui pourrait faire s’écrouler l’édifice en cas de relaxe, un seul remède : le silence.

A chaque semaine sa vérité. La semaine dernière, la présidente de la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi expliquait à Numerama qu’aucun dossier d’abonné averti n’avait encore été transmis au tribunal, et surtout que jusqu’à présent aucun n’était susceptible de l’être. Le profil type de l’abonné convoqué par l’Hadopi était celui d’un provincial (à 90 %), qui n’y comprend pas grand chose au Peer-to-Peer et qui assure qu’il prendra désormais les mesures nécessaires, lorsque la CPD lui explique les tenants et aboutissants. Mais cette semaine dans Les Echos, la même présidente de la CPD assure désormais qu’il « y aura des transmissions au parquet avant le printemps« .

« Nous prenons beaucoup de temps et faisons attention sur les dossiers, pour qu’ils soient incontestables« , explique-t-elle.

Et c’est bien tout le problème juridique qui se pose à elle, et toute la perversité du système. La Commission de protection des droits ne peut transmettre un dossier au parquet que si l’abonné s’est en quelque sorte trahi lui-même en répondant à la Haute Autorité. En effet, les éléments matériels en la possession de l’Hadopi ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour démontrer l’infraction reprochée, et il faut qu’elle obtienne des informations complémentaires que seul l’abonné peut lui fournir. Or s’il a prévu la possibilité pour l’Hadopi de convoquer l’abonné, le législateur n’a en revanche doté la Haute Autorité d’aucun pouvoir de contrainte à l’égard de ce dernier, qui peut choisir de ne pas se rendre aux convocations ou de ne pas répondre à certaines questions.

Rappelons en effet que la CPD doit envoyer au parquet les dossiers d’abonnés susceptibles d’être jugés coupables de négligence caractérisée. Laquelle est définie, dans un décret du 25 juin 2011, comme le fait pour l’abonné d’un accès à internet qui a déjà été averti au moins deux fois :

  • Soit de ne pas avoir mis en place un moyen de sécurisation de cet accès ;
  • Soit d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen.

Cependant, l’Hadopi n’a en sa possession que les PV dressés par les agents assermentés des ayants droit qui constatent une contrefaçon réalisée via une adresse IP. Ils ne peuvent pas constater à distance l’absence de sécurisation de l’accès à internet concerné, ou le manque de diligeance dans la sécurisation. Si l’abonné ne reconnaît pas lui-même qu’il n’a pas ou mal sécurisé son accès à internet, ce défaut de sécurisation ne peut être que présumé par la réitération des contrefaçons, ce qui est juridiquement contestable. Et quand bien même pourrait-elle être présumée, la mauvaise sécurisation de l’accès ne peut devenir une « négligence caractérisée » au sens du décret que si elle se fait « sans motif légitime« . Or là encore, il est difficile de présumer l’absence de motif légitime.

Le silence oblige à une véritable enquête pénale

En soit, le silence de l’abonné n’empêche pas la transmission du dossier au parquet. Mais il complique énormément la procédure, qui ne peut plus se reposer sur le seul dossier de l’Hadopi.

Pour aller plus vite, le gouvernement a en effet prévu de recourir pour les dossiers Hadopi à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale, qui ne demande pas d’entendre le défendeur. Mais celle-ci ne peut être appliquée que « lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont simples et établis ». Pour établir les faits et prouver qu’il y a bien défaut de sécurisation sans motif légitime, le tribunal devra donc diligenter une enquête et faire auditionner le prévenu. Or la circulaire Hadopi envoyée aux parquets en août 2010 montre que tout est fait pour éviter ces lourdeurs. Elle demande « d’éviter, sauf cas particulier, qu’une seconde enquête soit diligentée par ces services lorsque les éléments fournis par la HADOPI sont suffisants pour caractériser la contravention de négligence caractérisée à l’égard du titulaire de la ligne et pour assurer le caractère contradictoire de la procédure« .

Par ailleurs, pour mettre en œuvre l’ordonnance pénale, le tribunal doit s’assurer « que les renseignements concernant la personnalité, les charges et les ressources (du mis en cause) sont suffisants pour permettre la détermination de la peine« . C’est pour cela que le décret sur la procédure Hadopi du 26 juillet 2010 dit à propos de l’abonné convoqué par l’Hadopi que la CPD « l’invite également à préciser ses charges de famille et ses ressources« . Si l’abonné refuse de communiquer ses avis d’imposition et ne livre aucune information sur ses revenus à l’Hadopi, l’ordonnance pénale ne peut pas être mise en œuvre, et il faut donc recourir à une procédure plus longue, plus respectueuse des droits de la défense.

C’est le principal risque pour la riposte graduée. L’ordonnance pénale ne présente aucun danger pour sa réputation ; si le procureur décide de classer sans suite faute d’éléments suffisants, l’abonné n’aura même pas été averti du fait que son dossier avait été transmis. En revanche, la procédure classique impose d’assigner l’abonné, lequel peut présenter ses arguments et obtenir une relaxe. Laquelle, si elle est médiatisée, pourrait abattre le FUD organisé par la riposte graduée.


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