C’est par un message publié sur Twitter le 14 janvier que Justin Schuh, qui officie chez Google en tant que directeur de l’ingénierie sur le navigateur web Chrome, a annoncé la nouvelle. D’ici deux ans, la firme de Mountain View promet de se passer des cookies de sites tiers. Plus exactement, l’entreprise prévoit de supprimer progressivement la prise en charge des cookies tiers dans Google Chrome.
Aussi appelés témoins de connexion, les cookies sont des fichiers qui sont stockés sur votre ordinateur par le navigateur web. Ils servent à remplir des missions diverses : ils permettent par exemple à un site de reconnaître un visiteur, de façon à ce qu’il n’ait pas besoin de se reconnecter. Ils peuvent aussi servir à des fins publicitaires et de pistage — voilà pourquoi ils sont aussi décrits comme des traceurs.
De prime abord, l’annonce faite par Google a de quoi interpeller au regard de son modèle économique, qui repose quasi exclusivement sur la publicité en ligne — en 2017, celle-ci composait 88 % du chiffre d’affaires de sa maison-mère, Alphabet. C’est d’ailleurs de la publicité ciblée : l’entreprise se sert de ce qu’elle sait sur vous pour affiner les annonces qu’elle vous présente.
Cette réalité tranche évidemment avec l’annonce de la fin des cookies de sites tiers, que Google saupoudre de commentaires sur la confidentialité et la vie privée. « Les utilisateurs exigent une plus grande confidentialité », écrit par exemple Justin Schuh. « Nous aimerions vous donner une mise à jour de nos plans et vous demander votre aide pour augmenter la confidentialité de la navigation sur le web », ajoute-t-il.
Google n’ira pas contre ses intérêts
Sauf que cette annonce révèle en réalité la capacité qu’a Google de pister les internautes à des fins publicitaires, sans cookies, en utilisant des signaux différents et en les recoupant les uns avec les autres pour avoir un profil aussi précis que possible. C’est l’analyse que fait Bruno Guyot, consultant freelance indépendant, qui prévient que « la publicité ciblée et le reciblage publicitaire ne vont pas s’arrêter ».
« Google est en train de basculer sur les données qu’il possède déjà. Fort des millions d’internautes qui se servent de ses produits (YouTube, Gmail, Android, Maps, Chrome, Analytics) et de toutes les données créées lorsqu’ils utilisent ces mêmes services, Google met à disposition des annonceurs des audiences basées sur ces signaux, plutôt que sur ceux liés aux cookies », relève l’expert auprès de Numerama.
Pour l’internaute, donc, cette bascule ne va pas changer grand-chose au quotidien. En fait, il pourrait même avoir plus de difficulté à échapper à la publicité ciblée fournie par Google, du moins s’il demeure sur Chrome (celui-ci étant le leader, avec une part de marché évaluée à 60 %), car les paramètres visant les cookies ou les extensions dédiées ne serviront bientôt plus à rien.
Et c’est justement le fait que de plus en plus d’internautes mènent la vie dure aux cookies que Google glisse sur des mécanismes plus difficiles à contrer, voire inarrêtables. C’est la lecture qu’a de la situation Justin Brookman, en charge de la protection des données personnelles et des questions technologiques au sein de Consumer Reports, une association de consommateurs américaine.
« Google déprécie les cookies pour la seule raison que les utilisateurs ont un certain degré de contrôle sur eux. Google veut migrer vers des mécanismes de suivi inter-sites et inter-dispositifs qui ne peuvent pas être évités du tout », a-t-il écrit sur Twitter le 14 janvier. De fait, l’escalade technique entre pistage publicitaire et confidentialité en ligne se poursuit, alimentée par le modèle économique dominant sur le web.
Reste une question : pourquoi maintenant ?
Un coup dur pour les concurrents
C’est pour des raisons tactiques, avance Bruno Guyot. « En n’étant pas à l’initiative du mouvement et en ayant attendu d’être le dernier navigateur à s’y mettre, Google donne l’impression d’être forcé à suivre le mouvement. S’il avait été à l’initiative, il aurait sans doute pris un autre procès pour abus de position dominante, vu les conséquences désastreuses pour la concurrence ».
Il est vrai que la firme de Mountain View apparaît en retard par rapport à Apple, dont l’action contre les cookies tiers remonte à fin 2017, ou Mozilla, qui a aussi resserré la vis à partir de l’été 2019 pour ce qui concerne Firefox. Le paradoxe, c’est que ce mouvement est né d’un effort d’Apple de se démarquer de la concurrence en misant sur la vie privée. Mais aujourd’hui, Google le façonne selon ses intérêts.
Pour les concurrents de Google, les années qui viennent s’annoncent difficiles. Quand Apple a changé sa politique des cookies avec iOS 11, le cours boursier de Criteo, un des leaders du reciblage publicitaire, avait été violemment malmené. L’annonce de Google a produit le même effet, avec une forte chute de la valeur de l’action dans les minutes et les heures qui ont suivi.
« Nombre des acteurs de la publicité numérique ont basé tout leur business model sur les cookies tiers. Or, cette stratégie va avoir du mal à survivre puisque ce seront tous les principaux navigateurs qui n’accepteront plus les cookies tiers », prévient Bruno Guyot. En effet, « ils utilisent majoritaires des cookies tiers. C’est une aubaine pour Google, ça lui permet de faire mal à la concurrence ».
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