Jeudi soir, les sénateurs ont adopté contre l’avis du gouvernement un nouvel article au projet de loi numérique d’Axelle Lemaire, qui vise à sanctionner les abus de position dominante commis par Google. La secrétaire d’État au numérique s’était montrée très défavorable à ce que le Sénat décide ainsi d’ajouter à l’édifice législatif français, alors que la Commission européenne doit bientôt prononcer des sanctions contre Google, et qu’elle vient d’ouvrir une nouvelle enquête visant plus spécifiquement l’écosystème Android.
L’article adopté malgré tout par les sénateurs assimile à une « pratique prohibée » par le code du commerce « le fait pour les services de moteurs de recherche généralistes et horizontaux de l’internet (…), dès lors qu’ils sont en situation de position dominante au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, de favoriser leurs propres services ou ceux de toute autre entité ayant un lien juridique avec eux, dans leurs pages de résultats de recherche générale, en les positionnant et en les mettant en évidence indépendamment de leur niveau de performance ».
Il confie à l’Autorité de la concurrence le soin de « prendre toute mesure adéquate pour faire cesser ces pratiques », qui permettent par exemple à Google de mettre en avant son comparateur de prix Google Shopping lors de recherches de produits, son service de cartographie Google Maps lors de recherche de lieux, son service YouTube pour les recherche de vidéos, son service de réservation de billets d’avion lors de recherches touristiques, etc.
Il est fondamental que des obligations spécifiques s’attachent au statut du moteur de recherche
La firme de Mountain View est régulièrement accusée, depuis des années, de profiter du fait qu’il est utilisé par plus de 90 % des internautes européens pour s’installer sur les marchés commercialement porteurs, et mettre en avant ses propres services au détriment de services concurrents, qui se retrouvent relégués au second plan dans les pages de résultats, même lorsqu’ils offrent des services équivalents. Il est aussi parfois accusé de s’installer avec des services gratuits, le temps de tuer dans l’œuf la concurrence, et d’activer ensuite sa tarification, lorsqu’il a fait place nette.
La confiance d’Axelle Lemaire dans les autorités de Bruxelles
« Il est fondamental que des obligations spécifiques s’attachent au statut du moteur de recherche, et avant tout d’assurer que de tels services soient neutres dans leur référencement et leur classement dès lors que le moteur de recherche est en position dominante sur le marché », a défendu la sénatrice Catherine Morin-Dessailly, qui présentait l’amendement.
Devant les sénateurs, Axelle Lemaire a tenté de convaincre de la nécessité de laisser faire les autorités de la concurrence, en particulier la Commission européenne, qui a compétence contre les abus de position de dominante commis à l’échelle européenne. Elle a jugé que les sanctions qui pourraient être prononcées enverraient un « message fort », et s’est montrée confiante sur l’aboutissement des procédures en cours.
Mais la Commission a ouvert son enquête contre Google en 2010, il y a six ans, et toujours rien n’a été fait depuis, les négociations étant sans cesse prolongées. Or en six ans, la situation ne s’est pas améliorée, loin s’en faut. En revanche, l’analyse juridique s’est complexifiée avec la montée en puissance de nouveaux géants comme Facebook, qui brouillent la position « dominante » de Google sur des marchés difficiles à définir. En votant l’amendement, les sénateurs ont donc voulu envoyer un message d’impatience, qui devra être confirmé en commission mixte paritaire (CMP), lors de la conciliation des textes des deux assemblées parlementaires.
Après la fin de la séance, tard dans la nuit, Axelle Lemaire nous a expliqué qu’elle comprenait cette impatience du Sénat, mais qu’était plutôt favorable à ce que la Commission se dote du pouvoir d’ordonner des mesures conservatoires pour empêcher qu’une telle situation d’abus ne puisse perdurer jusqu’à la sanction, qui intervient souvent trop tard.
Sur un plan plus politique elle a aussi fait remarquer à mots couverts que l’ancien commissaire à la concurrence Joaquín Almunia, qui avait négocié un accord extrêmement favorable à Google, avait été particulièrement lent et peu convaincant dans ses procédures contre la firme, alors que la nouvelle commissaire Margrethe Vestager se montre bien plus pressante.
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