La startup Mercinity s’attaque à un problème mal connu du grand public mais aussi des artistes, qui sont les premiers concernés : celui des « irrépartissables », ces sommes collectées par les sociétés de gestion des droits d’auteur et qui, au lieu de revenir aux artistes, finissent par servir à autre chose.

Vous êtes musicien, compositeur ou interprète membre d’une société de gestion des droits d’auteur? Alors vous devriez vérifier que toutes les sommes qui vous sont dues ont bien été reversées dans les temps. Car si ces organismes sont d’une redoutable efficacité dès qu’il s’agit de récolter les droits des œuvres musicales diffusées, ils ne sont plus aussi doués lorsqu’il faut les reverser à qui de droit.

Et pour vous assister dans cette tâche administrative, c’est peut-être Mercinity qu’il vous faudra contacter. En effet, cette société cofondée en 2016 par Nicolas Velai s’est positionnée sur un créneau tout à fait particulier : le recouvrement de droits d’auteur, en servant d’interface entre les artistes et les sociétés de gestion collective, comme la Sacem, la SACD ou bien la Spedidam.

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Mercinity veut redonner le pouvoir aux créateurs.

« C’est une affaire un petit peu compliquée, les créateurs ne se doutent pas qu’une partie de leurs revenus ne leur a pas été redistribuée», nous explique Nicolas Velai. « Légalement, les sociétés de gestion collective sont tenues de mettre à disposition toutes les sommes qu’elles n’ont pas pu reverser, à travers des listes dont elles doivent rendre compte, de telle façon à ce que les artistes puissent les réclamer ».

Sauf qu’entre la théorie et la pratique, il y a un fossé plus large qu’on ne le pense. « Les sociétés de gestion collectives communiquent encore trop peu sur l’argent qu’elles ne distribuent pas, et ces montants servent finalement à financer l’action collective au lieu de revenir aux artistes », explique-t-il. C’est pour cette raison qu’il a créé Mercinity.

Les créateurs ne se doutent pas qu’une partie de leurs revenus ne leur a pas été redistribuée

« Au départ, j’avais un projet complètement différent : avec mon associée, nous voulions lancer une plateforme équitable de musique en ligne », raconte-t-il. Mais après avoir intégré une pépinière d’entreprises de la ville de Paris, c’est un tout autre virage qui a été pris : « c’est à ce moment-là que nous avons remodelé le projet et que nous avons trouvé l’idée que l’on voulait vraiment concrétiser ».

Il faut dire qu’à la différence du marché du streaming, qui est hyper concurrentiel et dans lequel il est très difficile de se faire une place durable face à des géants comme Spotify, Apple Music ou Deezer, les sociétés basées sur le même créneau que Mercinity sont très rares. Or, la problématique que traite cette compagnie de recouvrement en droit d’auteur est plus importante qu’on ne le pense.

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Les locaux de Mercinity.

Ces sommes auraient dû aller, normalement, dans les poches des artistes et non pas pour servir à financer en leur nom la lutte contre le piratage ou bien des festivals ou des évènements culturels. « C’est très bien de financer Rock en Seine ou les Francofolies, mais lorsque c’est votre argent qui est utilisé à votre insu, c’est une autre paire de manches », explique le gérant de Mercinity.

« Quand c’est votre argent en tant qu’artiste qui est en jeu, c’est embêtant de savoir d’une part que ce que vous deviez toucher n’a pas été correctement versé sur votre compte en banque et d’autre part que ces montants sont allés financer autre chose sans votre accord et sans que vous soyez au courant », ajoute-t-il. Et pour ne rien arranger, la fenêtre de tir pour réclamer son dû est relativement étroite.

« Si vous ne réclamez pas vos droits d’auteur pendant cinq ans, les sociétés de gestion collective les reversent en action culturelle. Les sommes sont alors perdues définitivement » prévient Nicolas Velai. Il faut donc agir vite. Or, « vous n’êtes pas au courant qu’il vous manque de l’argent, ce délai est très vite atteint puisqu’il s’agit de quelque chose dont vous ignorez totalement l’existence ».

Un reversement que conteste la Sacem. « L’argent des irrépartissables ne va pas à l’action culturelle (le financement de cette dernière provient à plus de 80 % des ressources issues de la copie privée, complétées d’une contribution statutaire de la Sacem). Au bout de 3 ans,  ils sont remis au compte de gestion et sont provisionnés pendant 2 ans. C’est donc au bout de 5 ans que la somme est définitivement versée au compte de gestion », nous explique-t-elle.

Vous n’êtes pas au courant qu’il vous manque de l’argent

C’est pour cette raison que Mercinity donne priorité aux artistes dont la période de réclamation est sur le point d’expirer. « notre démarche est d’appeler l’artiste pour l’informer qu’il n’a pas touché une partie de ses droits », explique le chef d’entreprise. Il arrive aussi que des artistes au courant de la situation prennent directement contact avec la société, mais c’est plus rare :

« Les moyens de vérification ne sont pas évidents. Déjà, il faut avoir conscience qu’il peut être nécessaire de faire une vérification auprès de sa société de gestion des droits. Ensuite, une fois que vous êtes au courant du problème, il faut savoir où chercher l’information et de quelle manière effectuer les démarches requises. Ça devient très vite compliqué quand on n’a pas que ça à faire, surtout pour un artiste », observe Nicolas Velai.

L'équipe de Mercinity.

L’équipe de Mercinity.

Surtout qu’il faut parfois reproduire le processus quelques années plus tard, les sociétés de gestion collective ne changeant pas forcément leurs pratiques entre-temps : « une fois que l’on est intervenu pour des arriérés de plusieurs années, des droits vont inévitablement de nouveau s’accumuler au fur et à mesure et il faudra à nouveau aller les réclamer ». C’est en tout cas ce qu’anticipe Mercinity. Donc, « les artistes dont on s’occupe en priorité ce sont ceux pour lesquels les droits en attente se sont accumulés depuis plusieurs années ».

« Évidemment, certains sont tentés d’accomplir ces démarches par eux-mêmes », admet Nicolas Velai. Mais entre la difficulté administrative et le problème de l’échéance, sans compter les sommes parfois en jeu, les musiciens sont plus enclins à déléguer ce travail à une société spécialisée. Surtout quand il ne reste plus que quelques semaines pour mettre la main sur 80 000 euros, l’une des sommes qu’a dû gérer Mercinity.

Insuffisances des sociétés de gestion

Mais comment se fait-il que de tels montants puissent ne pas arriver aux créateurs ? Est-ce délibéré de la part de ces sociétés de gestion ? Le gérant de Mercinity ne va pas jusque-là : « c’est important de ne pas forcément leur jeter la pierre parce que la raison qui fait que ce genre d’incident arrive tient aux millions d’œuvres qu’elles sont amenées à gérer ». Et à ce catalogue à gérer s’ajoute une spécificité française.

« En France, nous avons un système de répartition où l’on essaie de retrouver exactement chaque ayant droit pour lui verser la somme qui lui revient. Dans d’autres pays, on verse selon un pourcentage : on regarde les mois en question, ce qui donne un système un peu plus grossier mais dans lequel on amenuise les pertes », explique Nicolas Velai. « L’argent est certes redistribué grossièrement mais tout le monde touche une part approximative assez proche ».

instrument musique guitare

Un instrument de musique.

Source : Derek Gavey

Paradoxalement, c’est le système français, qui se veut donc très précis, qui génère ces erreurs administratives qui se transforment ensuite en manque à gagner pour les artistes. De là, il devrait y avoir une entente en bonne intelligence entre Mercinity et les sociétés de gestion. C’est en tout cas ce à quoi s’emploie la startup, mais parfois les intentions ne sont pas toujours bien perçues chez la Sacem et compagnie.

« On a vocation à travailler avec les sociétés de gestion collective justement pour les aider à avoir un système plus efficace », explique-t-il. mais le fait de souligner ces manquements via le recouvrement des droits d’auteur peut être perçu comme une mise en avant des défaillances du système du système de répartition, surtout auprès des artistes qui découvrent que leurs droits n’ont pas été bien gérés. « Forcément, c’est mal vu par les sociétés de gestion », reconnaît le patron de Mercinity.

Et les éditeurs de musique ?

Et les éditeurs de musique, alors ? « Ils font un travail du même genre », reconnaît Nicolas Velai, « mais pas sous la forme que nous proposons ». Certes, « le travail que Mercinity fait est traditionnellement réservé aux éditeurs de musique. Ils sont en charge des catalogues, gèrent les droits d’auteur et s’occupent les contrats des artistes ». À une nuance près : « sauf que c’est un travail qui se fait traditionnellement sur le long terme. avec en outre la nécessité pour le musicien de céder une partie de ses droits à l’éditeur pour qu’il gère tout son répertoire à sa place ».

« Ce qu’on fait nous, c’est une action beaucoup plus rapide et beaucoup plus ponctuelle : on ne demande pas d’engagement, on ne demande pas de céder une partie de la propriété intellectuelle des œuvres. On demande à être juste rémunéré pour notre travail, via un système de commission basé sur le montant récupéré ; cela tourne autour de 20 – 25 % selon les cas de figure », détaille le gérant.

Les sociétés de gestion ne voient pas d’un très bon œil l’action de Mercinity

En revanche du côté des artistes, l’impression laissée n’est pas du tout la même. Et pour cause : grâce à l’intervention de la startup, ce sont des centaines, des milliers voire des dizaines de milliers d’euros qui peuvent être débloqués, en fonction de la notoriété des musiciens et de la popularité de leurs œuvres. Mais impossible de savoir quels sont les clients de Mercinity, la startup préfère préserver le mystère :

« Nos clients préfèrent rester discrets, ne serait-ce que pour garder de bonnes relations avec les sociétés de gestion collective et ne pas nécessairement laisser entendre qu’elles feraient un mauvais travail en passant par une société comme Mercinity ». Tout juste saura-t-on que le portefeuille de clients de Mercinity compte « des clients connus » de la scène musicale française.

L’avenir de Mercinity

Et après ? Pour l’heure, Mercinity compte beaucoup sur le bouche à oreille pour se faire connaître des artistes, en se concentrant prioritairement sur le marché français.

« Un artiste qui aura fait appel à nous et qui aura été satisfait reviendra certainement vers nous et sera sans doute enclin à parler de nos services autour de lui ». Mais à plus long terme, la startup envisage une expansion en Europe, lorsqu’elle aura apprivoisé toutes les subtilités de tous les systèmes de gestion, que ce soit en France ou dans le reste de l’Union.

Union européenne

CC European Parliament

Quant à la manière dont fonctionnent les sociétés de gestion collective, Nicolas Velai se veut résolument positif : « j’ose croire que le système va dans le bon sens, dans le sens des artistes ». Car si ces organismes n’ont pas une très grande culture de la transparence et sont des grosses machines qui sont lentes à s’adapter, l’apparition d’acteurs disrupteurs et l’action de l’Union européenne sont en train de changer la donne.

« L’an dernier, une directive de l’Union européenne a contraint toutes les sociétés de gestion collective à publier les listes comptables de ces irrépartissables. Donc elles sont en train doucement de s’adapter à ce nouveau cadre », se réjouit le gérant de Mercinity. Même si l’on peut toujours regretter que l’évolution ne soit pas venue de l’intérieur de ces sociétés de gestion mais de l’action provoquée par des tiers.

(mise à jour de l’article avec une précision de la Sacem)


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