La Commission européenne a présenté en septembre une directive sur le droit d’auteur dont certaines dispositions sont vivement critiquées. Alors que des commissions spécialisées au Parlement européen ont proposé d’arrondir les angles, le plus grand flou règne sur la position des eurodéputés.

Le droit d’auteur est de nouveau au cœur de toutes les attentions en Europe, depuis la présentation en septembre 2016 par la Commission européenne de sa proposition de « directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Le sujet est de taille car le texte, très critiqué au moment de sa publication, pourrait permettre à certaines dispositions vivement contestées de voir le jour.

Deux d’entre elles ont particulièrement concentré les critiques : la première consiste à obliger les plateformes à filtrer automatiquement les contenus téléversés en ligne, au moyen d’outils capables d’identifier et de bloquer les chansons ou des œuvres audiovisuelles avant qu’elles ne parviennent jusqu’à l’internaute, renversant ainsi tout l’échafaudage juridique obtenu avec la  directive e-commerce de 2000.

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L’un des effets du filtrage.

Cette directive encadre les responsabilités des hébergeurs sur le web. Concrètement, les plateformes comme YouTube et DailyMotion n’ont aucune obligation de filtrage a priori. Ils sont considérés comme des hébergeurs pour les vidéos envoyées par les internautes. La seule obligation qu’ils ont est de retirer les vidéos qui leur sont signalées par les ayants droit dans un délai aussi court que possible.

La seconde mesure consiste à créer un droit voisin pour les éditeurs de presse, de façon à leur donner un droit « auxiliaire » au droit d’auteur pour une durée de vingt ans. L’idée est de généraliser sur tout le Vieux Continent la taxe Google, déjà mise en place en Espagne, et qui a poussé la firme de Mountain View à fermer Google News dans le pays, en France via des dispositions contenues dans la loi Création.

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Avec cette mesure, il s’agit que les éditeurs de presse soient « juridiquement reconnus comme des titulaires de droits, ce qui les placera dans une meilleure position, d’une part, pour négocier l’utilisation de leurs contenus avec les services en ligne qui les utilisent ou en permettent l’accès et, d’autre part, pour lutter contre le piratage », défend la Commission européenne pour expliquer sa raison d’être.

Sauf que beaucoup ne l’entendent pas de cette oreille. Au mois de mai, une coalition d’associations s’est formée pour appeler le Parlement européen à bien réfléchir aux conséquences de l’adoption de cette directive Copyright. Ces signataires, qui incluent la fondation Mozilla, l’EFF et l’Asic, qui défend les intérêt des géants du web, demandent aux élus de s’opposer aux articles les plus controversés.

Pas d’autre option que de surveiller, filtrer et bloquer si la directive Copyright est adoptée ?

« Les services en ligne n’auront pas d’autre option que de surveiller, filtrer et bloquer les communications des citoyens européens s’ils veulent avoir une chance de rester en activité », peut-on lire dans la missive. Les associations considèrent également que « les conséquences seront néfastes pour la crédibilité de l’Union et la compétitivité de ses entreprises ».

Aujourd’hui, la situation est plus incertaine que jamais. Comme le relève La Quadrature du Net, à la suite de la présentation par la Commission européenne de la directive Copyright, plusieurs commissions spécialisées du Parlement (affaires juridiques, culture, industrie, marché intérieur) ont rédigé des rapports qui ne sont pas allés dans le sens espéré par Bruxelles.

Les commissions arrondissent les angles

« Saisie au fond sur la directive », raconte l’association française dédiée à la défense des libertés individuelles dans la sphère numérique, la commission des affaires juridique a « rendu au printemps 2017 un rapport et des propositions d’amendements plutôt équilibrés », opinion suivie ensuite par les trois autres commissions spécialisées du Parlement dans ce dossier.

« Ces rapports, de façon différente mais avec une logique semblable, attaquaient ces deux mesures comme attentatoires aux libertés, dangereuses pour l’équilibre de la directive e-commerce de 2000 qui encadre les responsabilités des hébergeurs sur Internet, et ne réglant pas la question du transfert de valeur pourtant présentée comme étant au cœur de la directive », ajoute la Quadrature.

À ces voix s’est ajoutée celle de la commission en charge des libertés civiles, juste sur l’article concernant le filtrage.

Des rapports et des propositions d’amendements plutôt équilibrés, mais…

La Quadrature note qu’elle a « proposé de remplacer cette mesure par des accords de licence entre ayants droit et plateformes », avec un bémol, toutefois : si l’idée de tisser des accords de licence « pourrait être un moindre mal s’il s’agit de partager des revenus publicitaires, elle manque singulièrement de précision sur les fondements de ces accords de licences », prévient l’association.

Reste que les positions que la Quadrature du Net juge plutôt équilibrées sont perçues avec hostilité par ceux et celles qui soutiennent la directive Copyright. L’association pointe ainsi la levée de boucliers du côté de la Commission européenne, des ayants droit, des lobbies chargés de défendre les intérêts de l’industrie culturelle et même de certains députés de l’Union européenne.

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Jean-Claude Juncker, président de la Commission.

Source : EPP

Mais s’il est logique que la Commission européenne défende son texte et que les lobbies et les ayants droit défendent leurs intérêts, la Quadrature du Net regrette l’attitude de certains élus, qui « empêchent toute évolution positive du droit d’auteur en Europe et brouillent les positions d’un débat qui aurait pu être constructif », faute d’avoir « joué le jeu d’une vraie ouverture et non d’un relais systématique des positions des lobbies ».

Aujourd’hui, l’incertitude la plus grande règne sur le devenir de cette directive Copyright. Sera-t-elle adoptée telle quelle ou bien sera-t-elle amendée par les parlementaires sur ses aspects les plus litigieux ? « Il est difficile aujourd’hui de savoir si le Parlement européen réussira à avancer sur la question de la réforme du droit d’auteur » juge l’association. Et le risque n’est même pas de faire du sur place.

Ce serait de régresser.


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