Aux États-Unis, le régulateur des télécoms lance le chantier pour mettre un terme à la neutralité du net, à la plus grande satisfaction des fournisseurs d’accès. Mais les partisans de ce principe n’ont pas dit leur dernier mot et la mobilisation se met en branle pour une bataille qui sera capitale.

C’était cousu de fil blanc. Avec un chef de l’État franchement hostile à la neutralité du net et la nomination à la présidence de la commission fédérale des communications (FCC) d’un opposant farouche à ce principe, les États-Unis étaient clairement sur une pente glissante quant à l’avenir de cette règle essentielle de réseaux. Et ce qui devait arriver arriva : la FCC a déclaré vouloir y mettre un terme.

« Plus tôt dans la journée, j’ai partagé avec mes collègues de la commission une proposition visant à renverser l’erreur [de la neutralité du net] et à revenir au dispositif plus souple qui nous a si bien servi sous les administrations Clinton, Bush et durant les six premières années de l’administration Obama », a déclaré le patron de la FCC, signant pratiquement l’arrêt de mort de la neutralité du net.

La neutralité du net est le principe selon lequel tout le  trafic est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, qu’importe l’expéditeur, le destinataire, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.

Plus exactement, le régulateur américain entend revenir sur les dispositions prises en 2015 sous la présidence Obama. En décembre, dans une missive adressée aux lobbys des télécoms, Ajit Pai, le patron de la FCC, membre de la commission depuis 2012, avait annoncé la couleur en affirmant vouloir « revoir » ces règles « au plus vite », les considérant comme des « boulets injustifiés ».

Le même mois, celui qui était autrefois l’avocat du groupe Verizon, l’un des principaux géants des télécoms aux États-Unis, dont l’opposition à la neutralité du net est connue, ajoutait ajoutait publiquement : « nous devons lancer la tondeuse à gazon et faire disparaître ces règles qui mettent un frein aux investissements, à l’innovation et à la création d’emplois ».

Les règles dont il est question ont été adoptées début 2015 par la FCC, alors présidée par une personnalité proche du parti démocrate, Tom Wheeler, qui en quittant son poste en début d’année a publié, en vain, un plaidoyer pour la neutralité du net. Elles établissent l’accès à Internet comme un service d’utilité publique devant respecter des obligations d’ouverture et de non-discrimination.

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Ajit Pai, président de la FCC.

À l’époque, les géants du web s’étaient coalisés en faveur de ce principe, au contraire des fournisseurs d’accès à Internet, comme Verizon, qui bataillent depuis des années contre un cadre qu’ils jugent handicapant. Quand la FCC l’a approuvé après une intense bataille de lobbying des deux côtés, certains d’entre eux étaient allés jusqu’à engager des actions en justice pour tenter d’y échapper.

Après deux ans d’accalmie, la bataille pour la neutralité est sur le point d’éclater à nouveau. Mercredi 26 avril, le régulateur américain a déclaré qu’il est indispensable de mettre fin à de ce principe qui, selon lui, nuit au développement du réseau, alors que celui-ci doit être en permanence adapté et renforcé pour encaisser la hausse permanente du trafic. Et cela coûte cher. Très cher.

C’est un combat que nous avons l’intention de mener et c’est un combat que nous allons gagner

Dans son discours, repris par The Verge, Ajit Pai est même allé jusqu’à suggérer que ces règles sont si handicapantes qu’elles plombent les zones rurales ainsi que les foyers les plus pauvres du pays, parce que ce sont les foyers modestes et les régions reculées qui seront les premiers à être privés de réseau quand les FAI américains ne pourront plus assumer certaines dépenses trop élevées.

Et la perspective d’un nouveau combat autour de la neutralité du net ne semble pas du tout l’effrayer : « ne vous y trompez pas : c’est un combat que nous allons mener et c’est un combat que nous allons gagner ». Sans surprise, les principaux opérateurs, de AT&T à Comcast, en passant par Verizon, Charter ou Sprint, ont tous pris la parole pour saluer l’orientation nouvelle de la FCC.

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CC Mike Mozart

Aux yeux des opérateurs, il faut pouvoir commercialiser des formules différenciées. En clair, mettre en place un Internet à plusieurs vitesses, avec la possibilité pour les fournisseurs d’accès de faire payer les éditeurs de sites ou de services pour avoir une bande passante prioritaire (ou, à l’inverse, ralentir ou bloquer ceux qui ne paient pas). C’était l’idée que la précédente équipe de la FCC avait avant de l’abandonner.

Mais la bataille n’est peut-être pas encore perdue. D’abord parce que la proposition d’Ajit Pai doit encore être discutée et débattue. Un premier vote de la FCC est attendu le 18 mai. En cas d’adoption de la proposition, celle-ci sera ouverte à une nouvelle phase de réflexion sur plusieurs mois. Au cours de cette consultation publique, il sera possible d’amender le texte avant un vote final et définitif.

Mobilisation des acteurs du net

Dans un communiqué, les géants du net, regroupés dans une association ad hoc, déclarent que « les règles actuelles de la FCC sur la neutralité du Net fonctionnent et cette protection des consommateurs ne devrait pas être changée ». Ils ajoutent que « revenir sur ces règles […] aura pour résultat un Internet de plus mauvaise qualité pour les internautes et une réduction de l’innovation ».

L’association regroupe notamment Airbnb, Amazon, Dropbox, eBay, Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Netflix, PayPal, Pinterest, Reddit, Spotify, TripAdvisor, Twitter, Uber et Yahoo. En tout, elle compte 41 membres. À cette coalition, il faut aussi ajouter cette lettre ouverte signée par plus de 800 startups qui déclarent que leur avenir repose sur le maintien de la neutralité du net.

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CC Martinelle

« Le succès de l’écosystème startup de l’Amérique dépend d’un Internet ouvert avec des règles de neutralité applicables, garantissant que les petites entreprises peuvent concurrencer sur un pied d’égalité [les grosses sociétés] sans la menace que leurs services soient discriminés par les grands groupes » qui auraient intérêt à neutraliser des jeunes pousses un peu trop entreprenantes.

Plus encore que la bataille de 2015, celle de 2017 sera décisive. En effet, la proposition formulée par Ajit Pai contient en son sein une disposition sournoise : si elle est votée sans retouche, elle interdit purement et simplement à la FCC d’adopter la moindre disposition future relative à la neutralité du net pour tenter d’encadrer certaines pratiques auxquelles les opérateurs n’auraient pas encore pensé.

Au regard des enjeux, la bataille promet d’être homérique.


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