Mercredi, les députés de la commission des lois de l'Assemblée Nationale ont rejeté une proposition de loi qui devait étendre le vote par Internet à l'élection présidentielle, pour les Français établis hors de France. Les députés ont pris conscience du danger d'un scrutin aussi opaque, et commencent à envisager un retrait total.

Alors que les militants s'apprêtent à utiliser Internet pour élire le président de l'UMP, la confiance aveugle que les responsables politiques avaient dans le vote électronique est-elle enfin en train de s'essouffler, pour laisser place à la raison ? C'est encore trop tôt pour l'affirmer mais les opposants au vote par internet ont enregistré mercredi une première victoire notable.

De façon inattendue, la commission des lois de l'Assemblée Nationale a rejeté la proposition de loi qu'avait déposée l'an dernier le député UMP Thierry Mariani, pour étendre le vote par Internet à l'élection présidentielle, pour les électeurs domiciliés hors de France. Actuellement, cette possibilité n'est ouverte aux expatriés que pour les élections législatives et pour la désignation des conseillers consulaires.  

En commission, le rapporteur Patrice Verchère (UMP) qui avait pourtant commis un rapport très enthousiaste sur le contenu de la proposition de loi de Thierry Mariani a lui-même creusé la tombe du texte, par un argumentaire proprement hallucinant de contradictions.

Tout d'abord, alors qu'il expliquait dans son rapport qu'il fallait permettre le vote par Internet dans les circonscriptions de l'étranger pour augmenter le taux de participation, il a reconnu d'emblée devant les députés qu'en réalité, lors des précédentes expériences, "le vote électronique n’a apparemment pas entraîné, à lui seul, une augmentation globale de la participation électorale". La justification première du texte tombait donc.

"Certes, certaines fraudes efficaces peuvent ne pas être décelées"

Mais c'est surtout sur la "sécurisation" du vote électronique que le rapporteur Verchère s'est montré le plus déroutant. "Le vote électronique a démontré sa fiabilité", a-t-il ainsi commencé par affirmer, avant de concéder aussitôt : "Certes, il y a eu quelques « ratés » techniques". Le député a ensuite affirmé que "aucune fraude n’a été constatée, ni aucune atteinte à la sincérité du scrutin établie", se reposant sur le fait que le Conseil constitutionnel avait rejeté les recours. Mais uniquement parce que le Conseil Constitutionnel a eu l'incroyable audace de dire qu'en l'absence de preuve de fraude, et qu'en dépit de l'opacité du scrutin, il faut présumer de la validité du résultat.

C'est là que M. Verchère a refermé le couvercle sur le cercueil, bien malgré lui : "Bien sûr, certains opposants à cette proposition de loi organique nous objecteront que, avec le vote électronique, certaines fraudes peuvent ne pas être décelées, précisément parce qu’elles sont très efficaces. Mais alors, il conviendrait d’être cohérent et d’en tirer toutes les conséquences : il faudrait non seulement s’opposer à l’extension du vote électronique, mais aussi demander la suppression des possibilités de vote électronique déjà existantes, faute de quoi on mettrait en doute – insidieusement – la légitimité de nos collègues députés des Français de l’étranger.  En somme, rien ne me paraît donc sérieusement s’opposer à ce que le vote électronique soit étendu aux élections présidentielle et européennes".

"Nous avons besoin de garanties"

N'en jetez plus, la coupe est pleine. Ce fut ensuite un défilé de députés pour s'inquiéter. "Nous ne pouvons pas échapper à un débat sur la sécurisation des systèmes de vote : nous avons besoin de garanties en la matière", protestera François Vannson (UMP). "Vous avez fait état de l’absence de fraude, mais il n’y a pas eu de vérification en tant que telle de la procédure de vote électronique", ajoutera Sergio Coronado (EELV), qui plaide au minimum pour que "les logiciels utilisés pour le vote électronique ne soient pas la propriété d'une entreprise", mais un logiciel libre.

Même le député UMP Philippe Gosselin, qui n'est pas réputé pour sa prudence, a dit "partager les interrogations qui viennent d'être formulées s'agissant de la sincérité et du secret du vote". A gauche, le marseillais Patrick Mennucci (PS) est est allé plus loin. Le vote par Internet, a-t-il prévenu, "ouvre la voie, je crois, à toutes sortes de pratiques mal intentionnées : contrôle ou achat des votes, achat d’identifiants…".

Au final, tous les articles du projet de loi ont été rejetés, ce qui annonce son rejet en séance plénière lors du débat programmé au 9 octobre.

Reste à voir si les députés suivront la recommandation finale du rapporteur Thierry Verchère : "si ce texte devait être rejeté, il nous faudra prendre nos responsabilités et supprimer le vote électronique pour les deux élections où il est prévu". C'est la seule décision logique, et la seule qui n'avait pas été préconisée dans le rapport très critique contre le vote électronique élaboré au Sénat par Alain Anziani (PS) et Antoine Lefèvre (UMP).


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