L’un des projets les plus populaires de l’industrie blockchain, dont l’algorithme promettait stabilité de la cryptomonnaie, souffre d’une violente hémorragie financière. Une débâcle qui interfère même avec le prix du bitcoin. Analyse.
Forcément. Un stablecoin qui perd l’équilibre et voit son cours plonger de 35 %, ça vaut le détour. Pour se rafraîchir la mémoire, rappelons d’emblée que ces cryptomonnaies dites stables s’appuient sur toutes sortes de mécanismes technico-financiers pour garantir que leur prix ne fluctue pas (trop) au gré du marché.
Souvent, ces jetons numériques trouvent leur aplomb en ancrant leur valeur à un actif ou une devise classique, le dollar américain pour ne pas le citer. Pour un stablecoin acheté, l’utilisateur espère qu’un billet vert se trouve sur les comptes des développeurs crypto.
Venons-en alors au stablecoin Terra (UST) en lien avec la blockchain du même nom. L’UST est élaboré en parité indirecte avec le dollar via un algorithme intégrant le token natif de Terra, le LUNA. Pour faire simple, pour créer un LUNA, un UST est nécessaire, et inversement. Le protocole assure l’arbitrage pour garder le prix le plus près possible de 1$.
En grâce dans l’écosystème décentralisé, l’UST était jusqu’à il y a peu le troisième stablecoin en termes de capitalisation de marché. Sauf que ce mardi, son cours a touché le fond en cotant à 0,65$ sur certaines plateformes d’échange.
Mouvement de panique
Terra a commencé à trembler le week-end dernier sous l’impact de liquidations massives. Un phénomène de « vente panique » d’UST simultané à d’énormes retraits sur Anchor, un protocole développé sur la blockchain Terra.
Anchor fournit des services de prêts décentralisés aux entreprises fintech mais aussi des solutions de farming (revenus passifs en échange d’immobilisation de ses cryptos sur une plateforme). Coqueluche de l’industrie crypto, Anchor revendique un rendement annuel pouvant grimper jusqu’à 19,5% (!) sur les dépôts verrouillés. Ce qui lui valait récemment d’attirer les trois-quarts des UST en circulation.
Les investisseurs en quête de placements rémunérateurs ont naturellement afflué vers cette plateforme au rendement à deux chiffres et ils avaient besoin des stablecoins pour en profiter.
Les critiques n’avaient pas tardé, visant le caractère insoutenable d’Anchor : les revenus d’intérêts des emprunts ne pouvant pas couvrir le paiement des rendements, tout le système ne reposerait que sur la confiance. Autrement dit, si les investisseurs perdent confiance, s’ensuit une spirale baissière implacable.
Perte de confiance envers Anchor rime avec pertes pour le stablecoin Terra. Et vice versa…
Une théorie de marché impraticable ?
La dynamique boursière permet théoriquement de garder le prix d’un stablecoin à l’équilibre. Lorsque le cours faiblit de quelques centimes, des investisseurs en profitent normalement pour en acheter au rabais et le revendre tout de suite contre un dollar l’unité.
Mais compte tenu de l’actuelle dégringolade du marché crypto, les responsables de l’UST, l’asbl singapourienne Luna Foundation Guard, ont eu peur de voir leur algorithme débordé par les volumes de transactions et leur stablecoin emporté par la marée descendante.
Les responsables avaient dès lors déployé un financement de 1,5 milliard de dollars en UST et en bitcoins (28.205 BTC!) pour garantir la parité avec le dollar. Le remède ne semblait pas efficace immédiatement mais l’écart se réduit au moment d’écrire ces quelques lignes. L’UST s’échange à 90 centimes. À suivre.
En attendant, alors que bitcoin subit déjà la pression vendeuse d’investisseurs fuyant les actifs risqués, la manœuvre pour maintenir le Terra à flot à coup de BTC a plausiblement exacerbé la baisse du prix de la plus importante cryptomonnaie (retombé au plancher de l’été dernier, non loin des 30.000 $). Un peu comme si un pays émergent vendait ses réserves d’or pour contrôler le taux de change de sa devise nationale.
Attention au krach des stablecoins
L’effondrement de l’UST aurait des répercussions sur l’ensemble de la finance décentralisée (DeFi) et adresserait un gigantesque signal d’alarme aux régulateurs, qui s’inquiètent déjà sensiblement des risques pour les particuliers.
Ironie du calendrier, la FED, la banque centrale américaine, a publié lundi sur rapport sur la stabilité financière dans lequel épingle les « vulnérabilités » des stablecoins et leurs risques systémiques.
Cette catégorie de monnaies numériques dites stables a enregistré une vive croissance, pesant près de 200 milliards de dollars. Les États-Unis les surveillent de près, pour en cerner tout le potentiel afin de relever les défis et les frictions dans les transferts de fonds et les paiements transfrontaliers. Le président Joe Biden a d’ailleurs dévoilé en mars dernier un décret ouvrant la voie au « développement responsable des actifs numériques ».
Or, la FED se préoccupe de la concentration de ce secteur et des actifs auxquels sont adossés les stablecoins. « Des actifs qui peuvent perdre de la valeur ou devenir illiquides en cas de crise », stipulent les rapporteurs. « Ces vulnérabilités peuvent être exacerbées par un manque de transparence concernant le risque.»
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