Censés être temporaires et expérimentaux, les dispositifs algorithmiques conçus pour déceler des menaces terroristes automatiquement sont partis pour être pérennisés. Le 25 avril, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a en effet indiqué au Journal du Dimanche que les « boîtes noires », lancées en 2015 avec la loi sur le renseignement, seront gardées pour de bon, grâce à un nouveau texte de loi.
Ce texte doit être présenté en Conseil des ministres le 28 avril. Il arrive dans un contexte difficile. Il y a eu une nouvelle attaque terroriste islamiste, le 23 avril à Rambouillet : une adjointe administrative du commissariat de la ville a été tuée au couteau, avant que son agresseur ne se fasse abattre par la police. Cependant, le nouveau projet de loi était en gestation bien avant la survenue de ce crime.
Dans son interview au JDD, Gérald Darmanin avance que ce type de dispositif doit servir à repérer des profils suspects qui ne sont pas connus des services de police — ce qui était le cas de l’assassin de la fonctionnaire — et qui de surcroît agissent seuls, « sans forcément de lien avec des réseaux islamistes constitués ». L’assassin de Samuel Paty, tué fin 2020, n’était pas non plus connu du renseignement intérieur.
« La loi doit nous permettre d’être plus efficaces, en nous renforçant sur le terrain de la technologie qu’utilisent les terroristes », justifie donc Gérald Darmanin, en observant que les assaillants utilisent plus Internet que le téléphone. En conséquence, « le texte prévoit ainsi d’actualiser et de pérenniser le recours aux algorithmes, c’est-à-dire le traitement automatisé des données de connexion, par la DGSI ».
Des boîtes noires provisoires, qui ont été prolongées
Autorisées par la loi de 2015 relative au renseignement, ces boîtes noires sont expérimentées depuis 2017. Elles ont pour rôle de collecter et d’analyser des métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations périphériques donnant du contexte à un contenu. Ainsi, ces boîtes noires ne sont pas censées lire un message, mais épluchent à quelle heure il a été envoyé, à qui, par quel moyen, depuis quel endroit, etc.
Ces dispositifs exploitent des algorithmes qui doivent ainsi permettre de repérer « des signaux faibles » suggérant une radicalisation, un contact suspect ou la préparation d’une attaque terroriste. Ils sont placés à des endroits clés du réseau, chez les hébergeurs et les fournisseurs d’accès à Internet, pour tenter de déceler des menaces et ainsi les contrer le plus en amont possible.
Le cadre organisant l’emploi de ces boîtes noires est inscrit à l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure. Au départ, la précédente équipe gouvernementale, pendant le mandat de François Hollande, avait accepté de fixer une date d’expiration à fin 2018. Par ailleurs, elle avait lié une éventuelle prolongation du mécanisme à une évaluation préalable afin de contrôler la pertinence du dispositif.
Mais sous la présidence de Macron, la nouvelle majorité a repoussé ce bilan d’étape et cette échéance, jugée « prématurée » pour « se prononcer de manière satisfaisante sur l’opportunité de pérenniser cette technique ou d’y mettre fin ». Profitant d’un autre texte sécuritaire, appelé loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et adopté en 2017, la date limite a été décalée de deux ans, à fin 2020.
Finalement, le calendrier a une nouvelle fois été remanié courant 2020, prolongeant encore la durée de fonctionnement de ces systèmes expérimentaux. D’abord au prétexte de l’urgence sanitaire, puis par une autre loi sécuritaire prolongeant certaines dispositions du code de la sécurité intérieure (dont l’article L.851-3), le nouveau cadre autorise l’emploi de ces boîtes noires jusqu’à fin 2021.
Le gouvernement doit adresser au parlement, au plus tard le 30 juin 2021, un rapport sur la mise en œuvre de cette traque algorithmique. Vu les intentions de Gérald Darmanin dans le JDD, l’opinion de l’exécutif sur ces boîtes noires est limpide. Ces dernières ne devraient pas rencontrer d’obstacles majeurs au parlement, l’Assemblée nationale étant contrôlée par la majorité présidentielle.
D’ailleurs en 2019, Laurent Nuñez, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, déclarait à RTL « qu’il y aura une nouvelle loi, car un certain nombre de dispositifs arrivent à échéance en 2020. Il s’agira d’en faire le bilan et de les pérenniser éventuellement ». Depuis devenu coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nuñez les a à nouveau défendus, sur France Inter.
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