Le voyage en ligne droite n’est pas forcément le plus court. Daniel Bloch, directeur de recherche au CNRS, montre qu’il serait pertinent de prendre en compte d’autres métriques que la seule distance pour calculer un temps de trajet.

Le très jeune enfant identifie ce qui va « vite » avant même d’avoir une notion de la durée ou de la distance, remarquait Jean Piaget. Il en concluait que la notion de vitesse était plus primitive que la notion de temps.

Pourtant, dans le monde quantitatif auquel nous sommes habitués, la vitesse paraît seconde, par rapport aux notions de distance et de temps. La vitesse n’est qu’un quotient, au sens mathématique, c’est-à-dire un rapport « distance/durée ».

L’« année-lumière » est un mot quasi poétique en langage courant, et représente une distance : celle parcourue par la lumière en une année. Dans cette même veine, il est amusant de comparer les significations de « Ce versant, c’est un peu loin, c’est bien à 4 heures de marche », avec « Oh, Venise, c’est la porte à côté ! C’est à 90 minutes d’avion. » Le déplacement bref, et plus rapide, est ici le plus lointain, alors que celui qui prend plus de temps ne couvre qu’une faible distance.

La ligne « droite »… vraiment ?

Nous avons tous appris que « la droite est le plus court chemin d’un point à un autre ». Cet axiome, qui est au fondement de la géométrie euclidienne, se conçoit facilement pour une feuille de papier ou sur un tableau de classe. D’autres géométries sont possibles. La géométrie « sphérique » est notamment utile aux navigateurs ou pour les vols intercontinentaux : le chemin « le plus court » pour aller de Paris à Los Angeles ne peut être la ligne droite qui passe « à travers » la Terre !

De fait, qui marche en montagne, ou conduit sur une route en lacets, sait que la ligne droite, impraticable, n’est pas le chemin « le plus court ». La complexité du monde nous fait donc inclure des géométries avec des métriques, attribuant pour les divers chemins possibles une vitesse praticable. La géométrie euclidienne n’est alors qu’une variété de géométrie, avec une métrique « uniforme ».

Quel est le chemin le plus court pour la lumière ?

Un exemple célèbre de relation entre propriétés de l’espace, et vitesse possible selon le lieu, est celui du principe de Fermat. Il décrit le trajet des rayons lumineux, qui ne vont en ligne droite que dans un milieu homogène. Il s’agit, avant l’heure, d’une géométrie « non euclidienne » où la métrique locale est donnée par l’« indice optique », dit « de réfraction » du milieu traversé.

L’indice optique régit la propagation de la lumière aussi bien à travers une lentille en verre que dans un liquide. Par exemple, le lunetier conseille souvent les verres de fort indice, plus chers mais plus légers, car pour une correction donnée, leur épaisseur est moindre. L’indice optique caractérise en fait la vitesse de la lumière dans le milieu.

Visualisation de la réfraction de la lumière dans l’air et dans un bloc transparent d’indice optique différent de celui de l’air. La lumière ne va pas en ligne droite. // Source : Wikimedia/ajizai

Visualisation de la réfraction de la lumière dans l’air et dans un bloc transparent d’indice optique différent de celui de l’air. La lumière ne va pas en ligne droite.

Source : Wikimedia/ajizai

Le principe de Fermat énonce que le rayon lumineux passe par le chemin le plus rapide, donc au plus court en temps, qui n’est pas forcément le plus court en distance. Avec ce principe de Fermat, on traite non seulement tous les problèmes de lentilles fabriquées avec un verre homogène, par exemple dans un microscope, mais aussi des problèmes plus complexes comme les mirages ou les fibres optiques.

Le principe de Fermat peut aussi décrire le trajet du maître-nageur, qui nage beaucoup moins vite qu’il ne court : pour secourir une victime, il augmente la distance courue sur la plage, et réduit celle qu’il parcourt dans l’eau.

Inventer des métriques pour définir les chemins optimaux

En généralisant, définir une « métrique » revient à effectuer une transformation, parfois par un maillage, et à trouver le chemin optimal, qui est une ligne droite dans ce monde transformé. Par exemple, la cartographie ci-dessous (crédits : SNCF) montre une transformation inhomogène de notre pays, selon la durée des trajets, depuis que le TGV a « rétréci la France ».

Ces transformations sont très puissantes pour programmer de nombreux problèmes d’optimisation. Ainsi si on veut représenter en métrique « temporelle » le détail du trajet vers Venise, on inclut : le chemin en voiture pour atteindre l’aéroport, le temps piéton dans la file des bagages et aux contrôles de sécurité, ainsi que les longues minutes où progresse une centaine de passagers lors de l’évacuation de 30 mètres de cabine. Ici aussi, diverses optimisations (évacuation des passagers, ou sortie des bagages) sont régulièrement proposées par des modèles mathématiques.

Certaines métriques n’ont rien à voir avec la vitesse ou le temps. Nous sommes habitués aux calculateurs d’itinéraire, qui prennent en compte le coût (consommation de carburant, péages, etc.). On peut aussi imaginer une métrique selon l’exposition solaire, pour optimiser, selon l’heure ou la latitude, la marche à l’ombre ou le chemin de bronzette.

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Daniel Bloch, Directeur de recherche au CNRS, physicien, spécialiste d’optique, lasers et nanotechnologies, Université Sorbonne Paris Nord – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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