Par Ignazio Lo Faro : réflexion sur la visibilité des artistes indépendants

La visibilité : chercher la valeur dans un numérique abondant

Le groupe Spoon vient de vendre 100 000 albums par l’intermédiaire du label indépendant Merge, tout ceci, grâce à la visibilité permise par le Net sans aucune aide de l’industrie musicale classique. Le cas de Spoon n’est pas isolé et de nombreuses expériences apparaissent de plus en plus qui vont dans le même sens avec plus ou moins de réussite. Du coup, il serait peut-être utile de comprendre comment un artiste indépendant peut tirer partie de la visibilité apportée par le Net. Car la visibilité est en quelque sorte le mot générique que l’on pourrait utiliser pour tout ce que l’on entend par  » le bouche à oreille « ,  » la viralité « ,  » la prescription  »  » les effets de réseaux « .

La visibilité est la valeur
Dans un système abondant (les œuvres numériques par exemple), la visibilité est la seule valeur qu’il faut en priorité rechercher. On est d’abord visible, ensuite on peut créer de la valeur sur cette visibilité. C’est une des lois du commerce. Là où il y a du monde, «  il y a toujours moyen de gagner de l’argent « .
Pour des artistes émergents ou de nouveaux acteurs culturels, la visibilité est cruciale.

D’abord, il faut comprendre que la visibilité d’un artiste dépend bien sûr de son talent. Toutefois en analysant le concept de visibilité Internet, on s’aperçoit qu’il fait appel à d’autres concepts.
La question qui s’est toujours posée est de savoir qui crée de la valeur? Celui qui crée l’œuvre ? Ou celui qui crée de la visibilité pour cette œuvre ?

Comme Jean Michel Cornu l’a déjà souligné, on s’aperçoit que ce qui a de valeur économique dans un système informationnel ce n’est plus l’œuvre (car abondante) mais l’attention que l’on accorde à cette œuvre. Jadis cette attention était gérée par les grands médias, TV, chaînes de radio, presse spécialisée. On pouvait donc d’une certaine manière gérer cette visibilité, la rationaliser. On appelait cela la  » promotion « . Sur le réseau il en va tout autrement. Mais de quoi est fait cet autrement ?

La visibilité est la valeur sans aucun doute. Mais en quoi la visibilité sur Internet se démarque-t-elle de la visibilité classique, de la promotion, de la publicité ?

La rareté est à rechercher dans l’attention de l’individu
On peut s’avancer à souligner que la rareté n’est plus à rechercher dans les biens. Ce qui est devenu rare c’est l’attention de l’individu. La rareté et donc la valeur, n’est plus à chercher dans la rivalité des biens (la consommation du bien par un individu empêche sa consommation par un autre), mais dans la rivalité des attentions (la consommation de l’attention d’un  » individu A  » par un  » individu B  » empêche sa consommation par un autre).

Ce qui est rare ce n’est pas l’œuvre, c’est l’œuvre visible
Essayons de développer cette idée. Ce qui est rare ce n’est pas l’œuvre, c’est l’œuvre visible.
Cette rareté ne peut être possible que par la rivalité des attentions.
Par « rivalité des attentions » il faut comprendre que l’attention est rare, car les individus n’ont pas une attention illimitée. Comme nous venons de le voir, l’attention est donc un bien rival. Il y a donc une rivalité que l’on pourrait appeler par abus de langage, rivalité d’attention.
Jusqu’ici, tout semble évident, mais les nouvelles pratiques font apparaître un autre concept qui devrait évoluer fortement dans les années qui viennent. Le concept de double rivalité des attentions.

La double rivalité des attentions
Les blogs, les podcasts, les sites internet, les webradios sont aussi des créations qui ont besoin de visibilité. Comme on le sait, l’individu devient lui-même producteur de création. Initiateur. Il doit donc assurer lui aussi cette collecte d’attentions. On blogue pour parler de musiciens indépendants, mais on veut que notre blog soit visible. We are the média. Voici la réalité. Et les médias ont besoin d’audience. D’attention. Tout le monde est média ? Alors, qui est consommateur de média ?

Il faudra à l’avenir savoir bien interpréter cette double nécessité. Les statistiques de trafic deviennent une priorité même pour ceux qui diffusent les artistes.

Sur Bnflower, j’ai pu voir :  » je diffuse ton œuvre, mais S.V.P. parle aussi un peu de mon blog ou de mon site « . Dans ces circonstances, on peut imaginer que l’artiste soit amené un jour à répondre à ce besoin du consommateur à devenir visible.

C’est en cela que, (faute d’un terme plus précis) je me permets de parler de « double rivalité des attentions ».

D’une part, les créateurs devront se partager cette attention (l’attention est rivale au premier degré), car elle est rare et d’autre part ils devront eux-mêmes favoriser la visibilité de cette attention (l’attention est rivale au deuxième degré).

Quand un service offre la possibilité de gagner dans les 2 sens, tout fonctionne mieux. Le podcasting permet par exemple, de diffuser la musique ou les vidéos d’artistes, mais permet aussi à celui qui crée le  » Pod  » de pouvoir améliorer l’audience et la diffusion de son univers. Et cela automatiquement.

On le voit, tout ceci nécessite de s’impliquer et de favoriser l’implication et c’est cela qui change tout. Et c’est dans ce sens que la visibilité Internet n’a rien à voir avec la publicité traditionnelle.

L’implication valorisée ou monétisée ?
Comment favoriser l’implication ? Une première réponse nous est donnée par la Superdistribution. La Superdistribution intéresse de plus en plus de grands décideurs. Par exemple, la technologie Weed propose de rémunérer l’ensemble de la chaîne de valeur. Celui qui diffuse l’œuvre de l’artiste est lui aussi rémunéré. Il s’agit là en quelque sorte d’une implication monétisée.

Il y a donc 2 façons de favoriser cette implication. L’implication valorisée comme nous l’avons vu dans le cas de double rivalité des attentions et l’implication monétisée comme dans le cas de la superdistribution.

La solution pour faire basculer l’individu dans l’implication devra sûrement être dans un mix des 2 solutions.

En se positionnant sur ce type de comportement éthique (le sens de valeurs partagées) et équitable (gagnant/gagnant) une solution à la visibilité se précise. Une solution qui n’a rien à voir avec le marketing traditionnel. Une solution basée sur les  » communautés capables de favoriser ce type de comportements « .

Le développement de communautés permettant de faire basculer l’individu dans cette implication sera l’enjeu essentiel.

L’imprévisible
Dans ce monde de l’information, on le voit bien, tout devient imprévisible.Et la visibilité n’est pas exonérée de cet imprévisible. Comme le souligne une fois de plus Jean Michel Cornu, l’imprévisible est liée (sur les réseaux) à l’abondance. Il faut constamment naviguer entre les 2 concepts, si l’on veut imaginer un tant soit peu ce qui pourrait éventuellement être créateur de valeur.

L’être humain par essence est imprévisible. D’abord imprévisible dans son usage des technologies. Le P2P en est une démonstration flagrante. Mais imprévisible aussi dans l’appropriation qu’il peut avoir des technologies. Les technologies elles-mêmes sont imprévisibles. Mais l’imprévisible vient aussi de là où on l’attend le moins. La législation. Qui par exemple aurait pu imaginer il y a encore 3 mois ce qu’il s’est passé à l’Assemblée nationale, lorsque les députés ont voté favorablement pour une Licence Globale ? Même si en fin de compte rien n’est encore fait.

Bref, l’imprévisible devient une norme dans notre réflexion. Une norme aveugle forcément. Là où le besoin de visibilité s’accentue tous les jours, l’imprévisible fait de la visibilité un concept qu’il faut chaque jour redéfinir. Ce qui permettait jadis d’être visible (la page Internet) devient d’un seul coup un flux RSS.

Qu’est-ce qui va permettre la visibilité des artistes dans les prochains mois ?
Une technologie ? Le social networking ? La taxonomie ? La visibilité est dépendante de tout cela. Tout a le potentiel d’arriver. Il faut donc améliorer les services de veille et miser sur une abondance de solutions.

ce prix, la visibilité permettra aux indépendants une création de valeur.

L’homme, un être visible ?
Beaucoup, veulent être visibles et tous peuvent être visibles. L’homme devient un être visible. C’est cela qu’apporte la logique du réseau. Permettre à ceux qui sauront s’impliquer d’être visibles. Avec le temps, les communautés, l’implication, le travail collaboratif, l’individu devient cet être visible. La différence entre un créateur et un autre se fera sur cette visibilité assumée, éthique et équitable. Mais de nombreux individus (artistes ou non), chercheront à être visibles. Un être visible. Un visible.

Ignazio Lo Faro
Fondateur de Weedfrance et de la communauté BnFlower.

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