Le feuilleton continue. Cette semaine, l’affaire autour de Thomas Legrand a connu un nouvel épisode avec la révélation de nouveaux enregistrements réalisés à l’insu du journaliste de France Inter. Après la diffusion, à l’été 2025, d’une première vidéo filmée dans un café parisien, une seconde captation, cette fois audio, a été révélée. Elle a rapidement relancé les interrogations sur les conditions dans lesquelles ces échanges ont pu être enregistrés.
Dans ce contexte, le 18 décembre 2025, Jean-Michel Apathie a avancé sur le plateau de Quotidien une hypothèse lourde de sens : selon le chroniqueur politique, le téléphone de Thomas Legrand aurait pu être « mis sur écoute », une situation qu’il a lui-même qualifiée d’« espionnage ». Une formule qui marque les esprits, mais qui pose aussi un problème de précision.

Car si l’affaire repose bien sur des enregistrements réalisés à l’insu du journaliste, rien n’indique à ce stade qu’un accès à son téléphone ait été nécessaire. Et surtout, l’expression « mise sur écoute » renvoie à une réalité technique et juridique très éloignée de ce que ces révélations laissent supposer.
Thomas Legrand, enregistré à son insu pour la deuxième fois
Cette semaine, de nouveaux enregistrements impliquant Thomas Legrand ont été révélés. Ils concernent cette fois des échanges avec Laurence Bloch, ancienne directrice de France Inter, captés à l’insu du journaliste dans un café du 14e arrondissement parisien. Les discussions portent notamment sur un « coaching » très précis de Thomas Legrand avant une audition, sur l’aveu d’un entre-soi parisien, ainsi que sur une condamnation claire de ses propos visant Rachida Dati, jugés « choquants » et non conformes au « boulot d’un journaliste ».


Pour rappel, le 7 juillet, Thomas Legrand et Patrick Cohen avaient été filmés à leur insu dans un café à Paris, lors d’un échange avec deux cadres du Parti socialiste. On y entendait notamment le journaliste déclarer : « Patrick Cohen et moi, on fait ce qu’il faut pour Dati », une phrase interprétée comme l’idée d’utiliser les médias publics pour faire obstacle à la ministre lancée à la conquête de Paris. La diffusion de cette première vidéo par le média L’Incorrect avait ensuite conduit à une polémique politique et médiatique d’ampleur, puis à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur « la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public », devant laquelle Thomas Legrand a été auditionné le 18 décembre 2025.

Les propos tenus lors de cette rencontre avec l’ancienne directrice de France Inter ont été révélés par Europe 1 dans un article publié le 16 décembre 2025, soit juste avant l’audition de Thomas Legrand. Leur reprise sur Europe 1 et CNews a rapidement soulevé des questions sur la manière dont ces échanges avaient été obtenus. Mais toutes les pistes évoquées ne reposent pas sur des éléments solides.
L’hypothèse de la « mise sur écoute »
Dans les faits, aucun extrait de l’enregistrement lui-même n’a été diffusé : son contenu a été rapporté, mais jamais rendu public. Lors de son passage sur Quotidien, Jean-Michel Apathie s’est interrogé sur un point précis : comment quelqu’un aurait-il pu savoir que Thomas Legrand se rendrait dans un café avec Laurence Bloch, à un lieu et à une heure donnés ? À partir de cette question, le chroniqueur avance ce qu’il présente comme « l’hypothèse la plus probable » : le fait que « l’un des deux téléphones soit sur écoute ». Il évoque également un possible « piratage » du téléphone, parlant de « sophistication » et affirmant que ce type d’opération ne serait « pas si difficile à faire ».

Or, contrairement à cette affirmation, mettre un téléphone sur écoute est aujourd’hui loin d’être trivial. La pratique est désormais techniquement et juridiquement bien plus encadrée qu’à l’époque de la simple ligne fixe. D’abord en raison du chiffrement massif des communications : une large part des appels et messages transitent aujourd’hui par des applications chiffrées de bout en bout (Signal, WhatsApp, iMessage…). Dans ce modèle, seuls l’émetteur et le destinataire disposent des clés de déchiffrement. Même en cas d’interception du flux sur le réseau, les données captées sont chiffrées et, en pratique, inexploitables sans accès direct au terminal.
À cela s’ajoute la complexité des réseaux mobiles actuels. Les communications reposent sur des architectures 4G et 5G très segmentées — voix sur IP, données, handover entre antennes, itinérance. L’interception technique ne consiste plus à « se brancher » sur une ligne unique, mais suppose des dispositifs d’interception légale (lawful interception) sophistiqués, capables de router précisément les bons flux vers les autorités compétentes, au bon moment.
Quant à l’installation d’un malware qui permettrait d’écouter les conversations directement sur le téléphone d’un journaliste, ce n’est pas impossible, mais les moyens engagés pour le faire sont colossaux. Il faut avoir une très bonne raison, beaucoup d’argent et beaucoup de temps pour le faire — seuls quelques États, aujourd’hui, ont cette motivation. D’autant que Google et Apple colmatent rapidement les failles qui permettent des attaques de ce type. L’hypothèse n’est donc définitivement pas « la plus probable », surtout de la part d’une radio française, qui n’a pas les moyens techniques illimités d’un État.
Un cadre juridique et technique très contraignant
Le cadre juridique est tout aussi strict. En France, une écoute téléphonique judiciaire ne peut être autorisée que par un juge d’instruction — ou, dans certains cas, par un juge des libertés et de la détention — pour des infractions graves, pour une durée limitée et sur la base d’une motivation écrite. Chaque interception fait l’objet d’une traçabilité rigoureuse (procès-verbaux, scellés, contrôle via la Plateforme nationale des interceptions judiciaires), ce qui rend peu crédible l’hypothèse d’une mise sur écoute opportuniste.
En 2025, les smartphones sont des objets techniques complexes, sans pour autant être capables de détecter toutes les formes d’écoute. Lorsqu’une interception est réalisée légalement au niveau des opérateurs, aucun signe visible n’apparaît sur l’appareil : le trafic est simplement dupliqué. En revanche, dans le cas d’un spyware installé directement sur le téléphone, la situation est différente. Ce type de logiciel peut laisser des traces : application suspecte, services actifs en arrière-plan, consommation anormale de batterie ou de données, fichiers ou connexions vers des serveurs identifiés, que des outils spécialisés peuvent parfois mettre en évidence.
Reste que le dossier autour de Thomas Legrand demeure avant tout une affaire politico-médiatique autour de la neutralité de l’audiovisuel public, et non une enquête pénale portant sur des faits d’une gravité exceptionnelle. Dans ce contexte, l’ouverture formelle d’écoutes téléphoniques judiciaires apparaît peu crédible. L’hypothèse la plus plausible reste celle d’une captation clandestine réalisée directement dans le lieu de la rencontre. Contrairement à ce qui a été affirmé sur les plateaux, l’installation d’un micro — même à distance — peut suffire à capter des échanges. Celui de l’iPhone 17 Pro, par exemple, excelle dans cet exercice. D’autant qu’il est aujourd’hui possible d’en améliorer la qualité, notamment à l’aide d’outils d’intelligence artificielle.
À ce stade, aucune hypothèse ne peut être confirmée avec certitude, mais la plus probable reste la plus simple : suivre le journaliste et l’enregistrer.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Toute l'actu tech en un clin d'œil
Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !
Tous nos articles sont aussi sur notre profil Google : suivez-nous pour ne rien manquer !












