L’intelligence artificielle, fossoyeuse des emplois occupés par les humains ? C’est la crainte récurrente qui s’exprime à chaque développement du secteur. L’arrivée de l’IA générative, symbolisée par des projets comme ChatGPT (texte) et Midjourney (image), a évidemment nourri cette inquiétude : les algorithmes deviennent si performants qu’ils pourraient supprimer des postes.
Un rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) prend le contrepied des Cassandre, en anticipant non pas une destruction des emplois avec l’émergence de l’IA générative, mais plutôt une création en hausse. Les conclusions de l’étude sont à lire dans le document IA générative et l’emploi : une analyse globale des effets potentiels sur la quantité et la qualité de l’emploi.
Le rapport mené pour le compte de l’OIT, une agence spécialisée des Nations unies (ONU), constate que « la plupart des emplois et des industries ne sont que partiellement exposés à l’automatisation ». Dans ces conditions, faute de ne pas pouvoir atteindre une automatisation complète, on assistera plutôt à l’emploi de l’IA générative en appui des postes existants.
En conséquence, l’OIT anticipe des « changements potentiels de la qualité des emplois, notamment l’intensité du travail et l’autonomie.» Ces outils génératifs serviront en quelque sorte d’assistants ou de stagiaires virtuels : on pourra leur déléguer des tâches répétitives, chronophages ou rébarbatives, de façon à se focaliser sur des activités à plus haute valeur ajoutée.
Une analogie est souvent faite avec le logiciel Excel et les comptables : le développement des tableurs n’a pas fait disparaître ce métier. Celui-ci s’en est emparé et Excel a offert des gains de productivité aux comptables, et du temps pour s’occuper de missions plus complexes. Des observateurs estiment que ce même scénario se jouera avec l’IA générative.
Cette lecture optimiste de l’avenir est toutefois nuancée par l’OIT, puisque son rapport admet que certains postes s’avèrent toutefois plus exposés que d’autres. L’IA générative va avoir une incidence très forte sur les emplois de bureau de base, avec un quart des tâches considérées comme très exposées et plus de la moitié des tâches présentant un niveau d’exposition moyen.
Pour les autres catégories professionnelles, l’exposition à l’IA s’effondre : les techniciens et les professions intermédiaires ont une exposition modérée pour un quart de leurs tâches. Les managers pour un peu plus de 10 % de leurs activités. Les autres métiers présentent une exposition pratiquement négligeable. Quasi aucun d’entre eux n’a une exposition forte significative.
Une analyse limitée à l’IA générative
Il est à noter que le rapport de l’OIT, partagé le 21 août, ne couvre que le secteur de l’IA générative. La réflexion de l’étude ne se déploie pas sur un cas de figure plus large, avec l’IA dite générale, qui n’existe pas aujourd’hui. Elle ne se penche que sur de l’existant et du prévisible à horizon raisonnable, sans supposer une surprise stratégique qui rebattrait les cartes.
C’est aussi un rapport à distinguer du travail des robots, programmés pour effectuer des tâches sans forcément être adossés à de l’IA. Ici, les estimations sont plus pessimistes : en 2017, l’institut McKinsey estimait que 40 % des emplois en France peuvent être remplacés par des machines. Là encore, la prédiction dépend de l’emploi considéré, et tout le monde n’est pas d’accord.
En l’état actuel des choses, le rapport table sur une proportion de 5,5 % de l’emploi total dans les pays à revenu élevé (comme la France) qui est potentiellement exposé aux effets d’automatisation de la technologie. Dans le cas des pays à faible revenu, ce taux chute à 0,4 % de tous les emplois. On est très loin de l’apocalypse parfois prédite.
L’OIT dresse toutefois une mise en garde, concernant les femmes : celles-ci sont potentiellement plus exposées à l’automatisation que les hommes, car elles sont traditionnellement beaucoup plus présentes sur des emplois de bureau. Le rapport invite les pouvoirs publics à en tenir compte, car les femmes pourraient être plus affectées par l’IA générative.
Au-delà des postes existants, l’IA générative pourrait aussi être source de création d’emploi — par exemple, des techniciens et des ingénieurs spécialisés dans la conception de bons prompts pour générer des résultats adéquats, aussi bien sous forme de texte que visuels. Il y aura aussi d’autres métiers dont on ne soupçonne pas encore l’existence aujourd’hui.
« Il y a 20 ans, il n’y avait pas de community managers, il y a 30 ans, il y avait peu de concepteurs de sites web et aucune modélisation de données n’aurait permis de faire des prédictions a priori concernant une vaste gamme d’autres professions qui ont émergé au cours des dernières décennies », rappelle l’étude. Tout comme on ne pensait pas qu’il existerait un jour des influenceurs web.
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