Dans le monde des applications de rencontre, Tinder assomme la concurrence. Fruitz, Happn, Bumble et Adopte ont beau faire tout leur possible pour gagner en notoriété, tous ont la lucidité de reconnaître que le roi du swipe est, pour l’instant, imprenable. Malgré tout, ce marché est trop lucratif pour ne pas attirer de nouveaux acteurs. De nouvelles applications débarquent régulièrement sur les magasins d’applications, à chaque fois avec un concept qui leur est propre.
Depuis le début de l’année 2023, il y a un nouvel acteur important en France : Hinge. Connu de certains depuis plusieurs années malgré une présence non officielle en Europe, Hinge ambitionne de prendre la place de numéro 2 sur le marché des applis de rencontre, derrière Tinder. Quels sont ses arguments pour y parvenir ? Numerama a rencontré Justin McLeod, le fondateur de l’application qui appartient aujourd’hui à Match Group (oui, le propriétaire de Tinder).
Des profils longs, pas de swipe et un suivi des rencontres
Justin McLeod est-il un grand romantique, comme la communication de Hinge le laisse entendre ? En réalité, Hinge n’a pas toujours été « le Tinder des relations longues ».
En 2011, à son lancement, Hinge s’appelait « Secret Agent Cupid ». Son but initial était très différent de celui actuellement revendiqué. Justin McLeod avait créé une application pour permettre à des amis Facebook de se déclarer leur flamme. Hinge est ensuite devenu Hinge, avec une connotation « rencontres non sérieuses ». Écrasé par Tinder et les autres applications, Justin McLeod a décidé de changer de stratégie autour de 2014 : « Nous avons tout recommencé à zéro pour nous concentrer sur les relations à long terme ».
Ainsi est née Hinge, la seule application de rencontre « conçue pour être supprimée ». Entre la fin de l’année 2015 et le début de 2016, l’application a adopté un look sobre, en noir et blanc, aux antipodes du design « coloré comme un bonbon » des autres. Toute l’expérience a été repensée autour d’un profil vertical, sans swipe, qui oblige l’utilisateur à passer du temps sur chaque prétendant potentiel. Pour s’inscrire sur Hinge, il faut au minimum fournir 6 photos et répondre à 3 questions, tout en donnant des informations sur soi. Résultat : il n’y a aucun profil seulement basé sur le physique, avec une seule photo et aucune légende, comme ailleurs.
« Nous posons beaucoup de questions pour créer des liens » explique Justin McLeod, qui voit cette particularité comme la raison du succès de Hinge aux États-Unis. « Les profils sont plus profonds, il est plus difficile de tromper le système ». Une des particularités de Hinge est qu’il est impossible de seulement aimer une personne, il faut forcément répondre à un des éléments présents sur le profil pour engager la conversation. « Il faut aimer quelque chose chez la personne, pas la personne elle-même » résume le fondateur de l’application. Pour tenter d’obtenir un match, on répond à une question posée par quelqu’un sur son profil, ou on commente une de ses photos. Hinge explique d’ailleurs « livrer chaque match », ce qui veut dire que l’on sait quand quelqu’un a commenté son profil, alors que Tinder et les autres ne communiquent que lorsque deux personnes se sont dit oui.
Si Hinge se dit ouvert aux relations courtes, son objectif est de créer de vraies relations, en s’assurant que les gens soient vraiment compatibles. « Nous sommes la seule application qui mesure les rencontres » affirme Justin McLeod, qui explique que lorsque des personnes échangent leurs coordonnées, Hinge leur demande sept jours plus tard où ils en sont. L’objectif est d’affiner l’algorithme, pour savoir ce qui a pu plaire chez une personne ou non.
« C’est immoral de rendre les gens accros »
Désormais convaincu que les swipe à la Tinder ne permettent pas de faire de bonnes rencontres, Justin McLeod se présente comme l’avocat d’un modèle plus sain. Lorsqu’on l’interroge sur le modèle de Tinder, qui incite les gens à rester même quand ils ont rencontré quelqu’un, McLeod dit proposer « la seule application créée pour être supprimée ». Il est d’ailleurs intéressant de noter que, par défaut, Hinge limite son nombre d’interactions à 8 likes par jour, contre 100 sur Tinder.
En payant, il est possible de contourner cette limite. Les abonnements à Hinge coûtent cher, puisqu’ils sont proposés entre 20 et 40 euros par mois. À ces tarifs, Hinge permet des likes en illimité, propose une meilleure mise en avant par l’algorithme et permet d’affiner les recherches. Justin McLeod affirme que le nombre de rencontres réelles est en moyenne multiplié par 4 avec un abonnement et jure que « nous facturons seulement ce que nous ne pouvons pas donner gratuitement ». Cette extrême efficacité de l’abonnement payant explique sans doute la rentabilité phénoménale de l’application dans les marchés où elle est présente.
L’anti-Tinder, qui appartient à Tinder
Basée à New York, Hinge a aujourd’hui plus de 250 employés. Un miracle quand on prend en compte son état en 2017, lorsque l’application était au bord de la faillite. À l’époque abandonné par les investisseurs, Justin McLeod avait tenté d’embaucher quelqu’un du groupe Match pour l’aider. « Ça ne s’est finalement pas passé comme ça », puisque Match a décidé d’investir majoritairement dans l’application, avant de l’acquérir en 2018. Cette opération a sauvé Hinge, qui est aujourd’hui « l’application cool dans leur portefeuille ».
Quand on interroge Justin McLeod sur la contradiction majeure qu’il y a dans le fait d’appartenir à Match Group, tout en se présentant comme l’anti-Tinder, on sent immédiatement le patron de Hinge un peu gêné. « Nous ne serions pas là sans les gars de Match » se justifie-t-il, tout en précisant que les inconvénients ne sont pas nombreux et que Hinge peut lancer des nouveautés indépendamment. Toujours est-il que celui qui veut devenir le numéro 2 derrière Tinder ne fait que renforcer la force du propriétaire de Tinder, malgré sa proposition différente.
L’intelligence artificielle peut-elle transformer les applis de rencontre ?
En fin d’interview, Numerama a demandé à Justin McLeod à quoi ressemblera le futur de Hinge. Ses ambitions sont grandes, puisque Hinge veut devenir la deuxième application de rencontres d’Europe, un objectif déjà atteint au Royaume-Uni et dans les pays nordiques. En France, Hinge a fait un bond de 600 % depuis le début de la communication officielle. Hinge accorde beaucoup d’importance à ce marché, considéré comme celui du romantisme, notamment parce que des acteurs locaux comme Meetic sont connus de tous. Dans le monde, ses revenus devraient être de 400 millions de dollars en 2023.
Justin McLeod ne croit ni aux cryptomonnaies ni au métavers, mais dit en revanche que l’intelligence artificielle pourrait bien être la prochaine révolution industrielle : « Tant de possibilités sont débloquées avec le Machine Learning ». Si Hinge ne sera sans doute pas prêt cette année, McLeod s’interroge énormément sur le potentiel que pourrait avoir un modèle de langage comme GPT-4 dans une application de rencontre. « Nous voulons construire une application que les gens aiment ». Y aura-t-il un jour un majordome qui donne des suggestions pour le message suivant, explique pourquoi quelque chose n’a pas marché ou aide quelqu’un à se rassurer avant un date ? Justin McLeod y croit fort.
S’il est évidemment difficile d’avaler tout le discours de Hinge, qui se fait passer pour le chevalier blanc dans un secteur rongé par la rentabilité, il nous semble assez évident que Hinge va gagner beaucoup de notoriété dans les prochains mois. Peut-il vraiment devenir le numéro 2 derrière Tinder, comme le groupe Match l’espère ? L’avenir nous le dira.
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