Voici probablement la partie du corps humain qui inspire le plus de fantaisies quand il s’agit de dépeindre son évolution au cours de la grande histoire de l’humanité. Un facteur limitant évident est qu’il est impossible de trouver un cerveau fossile. Ses tissus, mous, ne se conservent pas au fil du temps. C’est évidemment contrariant pour arpenter les méandres de la paléoneurologie.
Par chance, les os restent bien présents et puisque le cerveau appuie sur la surface interne du crâne tout au cours de la vie de l’individu, il y dépose des marques. Enveloppe osseuse et cerveau sont imbriqués, ils se mettent en place conjointement durant la croissance. Ainsi, la forme du crâne adulte rappelle le moment du summum du développement du cerveau. Quand nous découvrons un crâne fossile, sa surface interne est moulée, soit physiquement, soit virtuellement grâce aux méthodes d’imagerie, pour reconstituer son endocrâne. C’est le reflet de la forme d’ensemble du cerveau ainsi que de fins détails, comme les limites entre les lobes et autres petits sillons qui traduisent l’extension des zones cérébrales. L’honneur est sauf, les paléoanthropologues ont bien de quoi travailler sur les cerveaux des humains préhistoriques.
Dans l’animation ci-dessous, on voit un modèle 3D du crâne fossile d’Homo sapiens Cro-Magnon 1. Le crâne est en gris et s’efface pour montrer l’endocrâne (le moulage interne du crâne qui reflète les empreintes laissées par le cerveau).
Un cerveau de plus en plus gros
Il est d’ailleurs généralement clamé que le cerveau croît en taille sans interruption depuis les premiers humains jusqu’à nous. Globalement, c’est vrai. Mais cela n’a pas été une croissance régulière et continue. L’augmentation n’a pas été linéaire, la variation a connu plusieurs plateaux, des accélérations, mais aussi des diminutions avec plusieurs espèces extraordinaires.
Toumaï, le plus ancien bipède connu et premier humain de fait, a un endocrâne d’environ 370 cm³, ce qui représente à peine plus d’un tiers de litre. C’est aussi un peu moins que le cerveau moyen des chimpanzés actuels. Poursuivons avec les Australopithèques qui vécurent sur une longue période, entre 4,5 et 1,5 millions d’années. Leur cerveau mesurait 400 à 550 cm3. Avec l’apparition du genre Homo, il y a environ 2,5 millions d’années, la moyenne du volume cérébral atteint 650 cm3. La stature, c’est-à-dire la taille du corps, augmente un peu aussi. Mais ces chiffres sont des moyennes globales pour des groupes. Certains Australopithèques avaient un endocrâne plus gros que certains Homo anciens. Ainsi, il y a une petite hausse de la moyenne, mais ce n’est pas une révolution. Pas de « Rubicon cérébral », une image longtemps employée pour dire que le cerveau d’habilis était proche du nôtre et bien différent de celui des Australopithèques. Cela ne se vérifie finalement pas.
Une rupture s’observe à partir d’Homo erectus. Cette espèce vécut pendant presque 2 millions d’années et fut la première à visiter tout l’ancien monde. Son cerveau atteint un volume moyen autour de 1 000 cm3 avec une variation entre 600 et 1 300 cm3.
Les plus gros cerveaux furent ceux des Néandertaliens, avec une moyenne de 1 600 cm3. Les représentants préhistoriques de notre espèce, Homo sapiens, avaient un endocrâne à peine plus petit, aux alentours de 1 500 cm3. Puis, la taille de cet organe a diminué et la moyenne actuelle n’est plus que de 1 350 cm3.
Terrible révélation : notre encéphale a rétréci au cours des derniers milliers d’années. Par ailleurs, il y a des exceptions à la tendance générale à la hausse. « l’Homme de Flores » a vécu au moins entre 800 000 et 50 000 ans en Indonésie. L’individu le plus complet avait un endocrâne de 430 cm3. Tous les spécimens sur des centaines de milliers d’années avaient une stature similaire, et donc probablement une petite tête. Sur une île voisine, Luzon, des humains dénommés Homo luzonensis et datés d’il y a environ 50 000 ans avaient aussi une toute petite stature. Enfin, Homo naledi est une autre originalité, avec ses 500 à 600 cm3 de cerveau alors qu’il vivait il y a environ 300 000 ans en Afrique du Sud. Tous ces humains ont été contemporains d’autres avec des cerveaux bien plus volumineux.
Intelligence et taille du cerveau
Il n’y a donc pas de croissance infinie et dirigée du cerveau au cours de l’évolution humaine. Ceci démontré, il reste un sujet à aborder. Celui de savoir s’il existe une relation entre taille du cerveau et intelligence.
Premier élément de réponse, indiscutable. Sur 7 millions d’années, la hausse du volume cérébral s’effectue en parallèle de l’acquisition de nouvelles compétences. Cela concerne la fabrication de nombreux outils, dont la complexité croît avec le temps, l’émergence d’une forme du langage articulé, l’apparition de la culture, de comportements symboliques et des arts… Ainsi, le lien se vérifie plutôt à une large échelle mais le détail entre espèces, ou parmi des individus choisis, est plus compliqué. Homo floresiensis naviguait peut-être, les premiers fabricants d’outils en pierre étaient des Australopithèques, ou les différentes espèces qui cohabitaient il y a 50 000 avaient des cerveaux de grande taille mais de structure clairement différente. N’oublions pas que la taille du cerveau ne saurait être le seul critère qui permet toutes les avancées de l’humanité.
L’organisation interne, la forme et diverses autres paramètres biologiques sont des facteurs déterminants et font aujourd’hui l’objet de nombreux travaux. Entre autres, il a été montré que les humains fossiles partagent un cerveau asymétrique depuis des millions d’années. Ces aspects sont impliqués dans de nombreuses fonctions chez les humains d’aujourd’hui, comme le langage ou la latéralité manuelle. Des caractères communs de structure ont aussi été observés chez la plupart des fossiles du genre Homo, même chez les espèces plus récentes qui ont un cerveau plus petit. Ainsi, les variations de forme et structure du cerveau sont complexes chez les humains fossiles. Le cerveau des terriens d’aujourd’hui a ses particularités, une grande hauteur par rapport à sa longueur et des lobes pariétaux étendus par exemple, mais des cerveaux humains très différents ont permis à leurs propriétaires de disposer de capacités cognitives élaborées.
Prenons pour finir un exemple mémorable d’étude sur le lien entre taille du cerveau et intelligence. Un chercheur a exploité les bases de données de l’armée américaine pour comparer des dizaines de milliers de spécimens. Il a calculé que les individus noirs avaient un cerveau plus petit que les blancs. C’est une démonstration mathématique, la moyenne est en effet plus faible. Cette petite différence est connue, il y a bien des variations de taille entre populations. Ce chercheur a aussi mis en évidence des résultats aux tests de QI plus faibles chez les noirs que chez les blancs. Pour lui, c’était la preuve que la taille de l’encéphale est directement corrélée à l’intelligence. Il justifiait ainsi la supériorité intellectuelle des blancs sur les noirs. Ce monsieur, bien que scientifique, avait sa petite idée en tête en menant cette recherche. Ce travail est vraiment publié comme un article scientifique.
Mais si le résultat est « juste » d’un point de vue purement mathématique, les interprétations sont totalement fausses. En effet, les données étaient biaisées, et le scientifique le savait. L’échantillon d’hommes noirs comprenait exclusivement des soldats jeunes, sans formation, issus de milieux pauvres. Les blancs étaient des militaires âgés, gradés et de milieux aisés. Ainsi, la relation observée n’était pas entre taille du cerveau et QI, mais entre ce dernier et les conditions de vie et la formation suivie !
Un lien existe bien entre le cadre socio-économique, la formation et les résultats à des tests de QI. Par contre, la taille du crâne, la couleur de peau ou tout critère biologique ne déterminent pas les capacités intellectuelles. Il existe une variation de taille du cerveau, entre 1 000 et 2 000 cm3 pour une moyenne de 1 350 cm3 chez Homo sapiens. Les femmes ont un cerveau plus petit que les hommes, les populations européennes que les populations asiatiques, etc. Aucune étude n’a pu différencier hommes et femmes ou les différentes populations à travers la planète selon leurs capacités intellectuelles. Au final, la seule vraie relation observée lie taille du cerveau et climat. C’est pour cela qu’il faut garder un esprit critique en sciences, une éventuelle corrélation n’est pas la preuve d’une relation de causalité. Inutile de développer des thèses racistes ou sexistes basées sur l’origine, le genre, la couleur ou la supposée puissance civilisationnelle ! Pour ce qui est du cerveau, il est démontré que ce n’est pas la taille qui compte.
Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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