Pour juger de l’efficacité d’un vaccin ou d’une thérapie, des volontaires sains peuvent être exposés à une infection. Dans quels contextes ces personnes sont-elles recrutées et quelles sont leurs motivations ? Trois spécialistes répondent dans The Conversation.

Lorsqu’en octobre 2020, les autorités britanniques ont autorisé la première étude d’infection contrôlée pour tester le vaccin anti-Covid-19 développé par l’Université d’Oxford, les réactions ont oscillé entre incrédulité et condamnation.

Ce type d’expérimentation, qui consiste à exposer des volontaires sains à une infection (on parle parfois de « challenge infectieux ») pour juger de l’efficacité d’un vaccin ou d’une thérapie, est pourtant une pratique non seulement répandue, mais également parfois irremplaçable en recherche clinique.

L’implication de personnes en bonne santé dans des recherches biomédicales n’est cependant pas sans risque, comme l’ont montré plusieurs drames récents. Dans quels contextes ces volontaires sains sont-ils recrutés, quelle motivation les anime, comment sont-ils protégés ?

Un contexte d’incertitude

En mars 2006, la société TeGenero propose d’évaluer la tolérance d’un anticorps destiné à lutter contre des maladies telles que la polyarthrite rhumatoïde, certaines leucémies ou la sclérose en plaques. Les premiers résultats chez l’animal s’étant avérés relativement sûrs, TeGenero décide de tester cette nouvelle molécule chez l’être humain, et recrute à cet effet six volontaires sains. Après la première administration, tous développent rapidement de gravissimes défaillances multiorganes. Les raisons de ces complications inattendues seront expliquées ultérieurement : l’anticorps testé aurait stimulé des lymphocytes T qui avaient été activés par le passé par d’autres infections. Ceux-ci auraient migré vers des organes sains, y causant des lésions.

Dix ans plus tard, en janvier 2016, une étude promue par la société portugaise Bial pour tester une molécule censée soulager douleur et anxiété a connu un développement encore plus dramatique, lorsque l’un des six volontaires sains recrutés est décédé au cinquième jour de l’administration d’une dose quotidienne du candidat-médicament.

Ces deux exemples soulignent que les recherches biomédicales, par nature, se déroulent dans un contexte d’incertitude sur le bénéfice que pourraient en retirer les participants. On ne peut cependant nier la valeur scientifique et l’utilité sociale considérables de la recherche clinique : elle a permis la mise au point et la validation de nombreux traitement et interventions qui ont amélioré espérance et qualité de vie d’innombrables patients.

Mais justement, lorsqu’il s’agit de patients, il existe a priori une connaissance de la finalité des recherches sur leur propre maladie. Les choses sont différentes lorsque la recherche clinique mobilise des personnes « saines », dont les motivations et les connaissances diffèrent.

Quand fait-on appel aux volontaires sains ?

En France, dans le Code de Santé publique, toute recherche pratiquée sur l’être humain est dite « recherche impliquant la personne humaine », sans distinction préalable entre le volontaire malade et le volontaire sain.

En dehors des essais de prévention et des études cliniques de phase I des produits de santé qui leur sont spécifiques, les volontaires sains participent à des recherches biomédicales qui peuvent être extrêmement différentes les unes des autres. Au niveau mondial, l’essentiel des études les impliquant portent sur l’évaluation de « bioéquivalents ». Ces études, qui sont menées pour démontrer la similarité des taux sanguins obtenus entre des médicaments innovants et leurs versions génériques, sont pour la plupart réalisées par des sociétés spécialisées (« Contract Research Organisations ») pour le compte de firmes pharmaceutiques.

Une évaluation réalisée en 2017 a identifié plus d’un millier d’études impliquant l’administration de molécules à des dizaines de milliers de volontaires sains, en particulier en Inde, en Chine et en Amérique du Nord.

Vaccins contre la Covid-19 (illustration). // Source : Pexels/Alena Shekhovtcova (photo recadrée)

Vaccins contre la Covid-19 (illustration).

Source : Pexels/Alena Shekhovtcova (photo recadrée)

Des volontaires sains peuvent également faire partie de cohortes, autrement dit un ensemble d’individus acceptant d’être suivis parfois pendant plusieurs dizaines d’années pour fournir des informations utiles dans le champ de l’épidémiologie ou de l’évolution de maladies. Certaines cohortes sont à l’origine de la constitution de banques d’échantillons biologiques (« biobanques ») qui seront utilisés comme comparateurs « témoins » dans des études cliniques.

À titre d’exemple, l’Institut Pasteur héberge depuis 2008 la plate-forme ICAReB qui collectionne des échantillons biologiques d’environ 300 donneurs sains. D’autres biobanques contribuent à la mesure et à l’évaluation de paramètres comportementaux. L’Institut du Cerveau héberge par exemple la plate-forme PRISME, qui recense environ 2000 volontaires disponibles pour aider, par exemple, à mettre au point des technologies d’analyse en vie réelle de comportements dans des environnements variés (salle d’attente, milieux confinés, espaces publics…).

Dans un contexte différent, des volontaires sains participent aussi, comme « comparateurs », aux études de suivi des victimes des attentats parisiens du 13 novembre 2015.

Comment est encadrée une étude clinique sur volontaires sains ?

Selon le Code de Santé publique, tout projet de recherche sur la personne humaine est assujetti à des avis et autorisations propres à assurer la sécurité des participants et la pertinence de l’étude.

Comme pour tous participants à une recherche, les volontaires sains doivent recevoir une information transparente et compréhensible sur le déroulement de l’étude et ses risques, leur permettant de formaliser leur consentement. Une visite médicale permettra de vérifier si leur participation est conforme aux critères d’inclusion et de non-inclusion définis dans le protocole de l’étude autorisé par les instances réglementaires (Comité de protection des personnes, CPP ; Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments, Ansm). À tout moment, le volontaire peut sortir de l’étude sans avoir à se justifier.

En France, les volontaires sains participant à des études cliniques sont inscrits sur un fichier national permettant d’assurer le suivi de leur participation, le montant des indemnités financières reçues ainsi que le temps de carence entre deux études. Un fichier national, dénommé VRB (Volontaires pour la Recherche Biomédicale), recense les personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Il est à noter que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays au monde à avoir mis en place un tel fichier. Cette mesure est destinée à éviter que ne se développe le phénomène des « volontaires sains professionnels » comme cela a été décrit aux États-Unis.

Quelles sont les motivations des volontaires sains ?

Être volontaire sain dans un essai vaccinal, une étude de pharmacocinétique (qui vise à étudier le devenir des médicaments dans l’organisme) ou dans une cohorte participe à construire une identité d’appartenance à une communauté vertueuse favorisant la production de connaissances.

Ce type de démarche peut être facilité lorsque les activités des volontaires sains sont proches du domaine de recherche, par exemple des étudiants dans le champ de la santé. Les volontaires sains peuvent être aussi des personnes confrontées à la maladie d’un proche. Dans cette situation, la découverte de la recherche clinique, la prise de conscience des enjeux associés et le désir de la faire progresser favorisent la participation à des travaux de recherche. Quelles que soient les motivations déclarées, l’importance de cet engagement pour la société n’en est pas moindre.

Si certains volontaires disent s’engager dans la recherche clinique mobilisés par l’altruisme, d’autres le font pour percevoir l’indemnité financière associée. La vulnérabilité du contexte de vie peut-elle devenir la raison principale conduisant certaines personnes à être volontaire sain ? En France l’indemnité annuelle qui vient en compensation des contraintes subies est plafonnée. Elle représente néanmoins une somme non négligeable pour de nombreuses personnes, surtout celles qui se trouvent en situation de vulnérabilité financière.

Enfin, on peut noter que la connaissance de l’existence de ces recherches n’est pas distribuée de manière homogène dans la population, ce qui pose la question de la capacité de généralisation des résultats observés.

Éthique et utilitarisme

Dans certains pays à l’encadrement éthique défaillant, ou même dans des pays industrialisés basés sur des systèmes politiques très libéraux, le choix du volontaire sain face à sa vulnérabilité est un questionnement plus aigu encore, il interroge la notion même de volontariat. D’autant que certaines recherches conduites hors d’un cadre réglementaire suffisant ou sur des populations vulnérables de pays industrialisés ont instauré un climat de défiance où les volontaires sains se sentent instrumentalisés.

Le volontaire peut être amené à s’engager dans une étude clinique en considérant que les risques encourus pèsent moins lourd que les bénéfices attachés à sa participation, qu’ils soient d’ordre financier ou qu’ils soient liés à un accès à des soins primaires dans certains contextes économiques. Pourtant, le contexte de vulnérabilité ne peut être considéré comme un critère d’exclusion à toute recherche, puisqu’une telle exclusion accentuerait encore la vulnérabilité en deux sens : matériel, par une privation des bénéfices attendus, et symbolique, par une privation d’exercice du choix.

Face à ce dilemme, les chercheurs sont démunis, partagés entre un sentiment de culpabilité utilitariste et le service rendu à la société.

Comment réduire les contextes de vulnérabilité ?

Bien que nos sociétés aient défini des niveaux d’arbitrage et de validation au travers des structures d’encadrement des recherches, les volontaires sains doivent pouvoir être à même d’être réellement « volontaires » pour décider de faire partie ou non du petit nombre acceptant le risque pour le bien collectif.

Pour s’assurer de mener une recherche éthique dans le respect des volontaires sains, il est donc impérieux de réduire les contextes de vulnérabilité. Cela peut se faire en aidant ces personnes à mieux comprendre les enjeux de la recherche à laquelle ils vont accepter de participer ainsi qu’en leur permettant d’évaluer au mieux les risques qu’ils prennent. Également, l’information fournie dans le cadre du recueil du consentement éclairé, dispositif pivot de l’éthique en recherche clinique, devrait être adaptée aux vulnérabilités potentielles, particulièrement économiques et éducatives, spécifiques aux volontaires sains. Enfin, la généralisation au niveau mondial de fichiers nationaux, tels qu’ils existent en France et au Royaume-Uni, permettrait de mieux encadrer les recherches impliquant des volontaires sains, et par là même de les protéger.

L’exposition des volontaires sains à des risques pas toujours maîtrisés questionne systématiquement le dilemme entre l’obtention de résultats de recherches pouvant être extrêmement utiles à un très grand nombre de personnes et le risque pris par un petit nombre pour aboutir aux dits résultats. Dans le contexte de la pandémie en cours, ce dilemme a mené la France à renoncer au recours à l’infection de volontaires sains pour tester des vaccins anti-Covid-19.

François Bompart (chair of the access committee de DNDi, une fondation suisse dont le but est de trouver des traitements contre les maladies négligées), a également participé à la rédaction de cet article.
Les auteurs remercient également les autres membres du Groupe de travail « Recherche en Santé au Sud » du Comité d’éthique Inserm (Mylène Botbol-Baum, Didier Dreyfuss, Christine Lemaitre, Pierre Lombrail, Flavie Mathieu, Corinne Sebastiani).

Ce texte fait suite aux activités développées dans le cadre du projet européen « Creating and enhancing TRUSTworthy, responsible and equitable partnerships in international research ».The Conversation

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Isabelle Remy-Jouet, Éthicienne, Université d’Angers; François Eisinger, Professeur associé en santé publique, praticien hospitalier au centre de lutte contre le cancer Institut Paoli-Calmettes, Inserm et François Hirsch, Membre du comité d’éthique de l’Inserm, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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