L’existence d’une galaxie avec peu de matière noire, voire aucune, défiait les modèles cosmologiques sur la formation et l’évolution des galaxies. Une découverte permise par les données d’Hubble apporte une réponse.

À 44 millions d’années-lumière de la Terre, la galaxie NGC 1052-DF4 manque cruellement de matière noire. Elle ne représente pas seulement une étrangeté, mais un défi pour l’astrophysique et les modèles cosmologiques de formation des galaxies. D’autant que ce n’est pas la seule : NGC 1052-DF2, à 65 années-lumière de chez nous, est dans le même cas. Voilà deux ans maintenant, depuis un papier publié en mars 2018 dans Nature, que les scientifiques essayent de déchiffrer le casse-tête de ces galaxies. Ils ont maintenant la réponse, au moins pour l’une des deux.

Observer les niveaux de matière noire dans les galaxies ne peut reposer sur l’observation directe, puisqu’elle reste indétectable, inobservable à l’heure actuelle. Elle est pourtant essentielle au modèle actuel, notamment pour expliquer la formation des galaxies et pourquoi celles-ci perdurent en gardant leurs étoiles dans un ensemble soudé.

Région galactique où se trouvent NGC1052-DF4 et NGC1052-DF2. // Source : ESA/Hubble, NASA, Digitized Sky Survey 2 (Davide de Martin)

Région galactique où se trouvent NGC1052-DF4 et NGC1052-DF2.

Source : ESA/Hubble, NASA, Digitized Sky Survey 2 (Davide de Martin)

Les niveaux de matière noire s’observent par déduction mathématique, via son effet sur la matière visible. Pour l’évaluer, on utilise notamment la masse gravitationnelle, qui se calcule par la luminosité de la galaxie et des étoiles. Or, une galaxie comme NGC 1052-DF2 est étonnamment… « transparente ». Elle est plus grande que la Voie lactée, mais elle a 250 fois moins d’étoiles. Les calculs montrent que sa masse correspond à la masse totale des étoiles de la galaxie : ce n’est pas normal, il devrait y avoir un excédent (pour le dire très simplement : on soustrait la luminosité des étoiles pour obtenir une évaluation de la matière noire dans une galaxie). Cela signifie qu’il y a 400 fois moins de matière noire qu’une galaxie de cette taille devrait comporter — voire pas de matière noire du tout. Une situation inexplicable, puisque la matière noire nous apparaît essentielle pour qu’une galaxie puisse se former.

Que s’est-il passé ? Était-ce lors de la formation de galaxie, ou bien après ?

« La matière noire n’est pas là, car elle a déjà été retirée »

L’interprétation de nouvelles données issues du télescope spatial Hubble offre une piste cruciale pour la galaxie NGC 1052-DF4. Publiées en décembre 2020 dans The Astrophysical Journal, ces informations montrent que les niveaux si bas de matière noire observés dans NGC 1052-DF4 s’expliquent par sa proximité avec une autre galaxie, plus massive, NGC 1035. Entre les deux galaxies, il se déroule un événement de rupture par effet de marrée.

« La matière noire n’est pas là, car elle a déjà été retirée », explique l’autrice principale de l’étude, Mireia Montes, sur le site de l’université de Sydney. « Nous avons découvert que l’attraction gravitationnelle de la galaxie massive voisine NGC-1035 lui retire ses étoiles — et sa matière noire avec. » Il s’agit donc d’un phénomène de cannibalisation : une galaxie siphonne la matière noire d’une autre par la force de la gravitation.

La galaxie cannibalisée (DF4, à droite), et la galaxie massive qui la siphonne (1035, à gauche). On voit que la galaxie cannibalisée (DF4) est plus faible en luminosité. // Source : Montes & al., The Astrophysical Journal ; précisions Numerama

La galaxie cannibalisée (DF4, à droite), et la galaxie massive qui la siphonne (1035, à gauche). On voit que la galaxie cannibalisée (DF4) est plus faible en luminosité.

Source : Montes & al., The Astrophysical Journal ; précisions Numerama

« Un événement de rupture par effet de marrée enlèverait un pourcentage important de matière avant d’affecter les étoiles. Si les étoiles commencent à être perturbées seulement maintenant, alors la majeure partie de la matière noire s’est déjà échappée », explique Mireia Montes. Le phénomène advient en plusieurs étapes : lorsque la cannibalisation commence, la matière noire est d’abord siphonnée, puis cela touche ensuite les étoiles, avant que la galaxie se déforme.

Aujourd’hui, les astronomes observent donc le phénomène en plein milieu : la matière noire a été siphonnée, mais la cannibalisation des étoiles commence à peine. « Avec le temps, la galaxie finira par être cannibalisée par le grand système qui l’entoure (NGC1035), avec quelques-unes au moins de ses étoiles flottant dans l’espace profond. »

Mauvaise nouvelle pour la galaxie NGC 1052-DF4, mais bonne nouvelle pour la science : la découverte de cette cannibalisation réconcilie les observations avec les modèles cosmologiques sur la formation et l’évolution des galaxies.

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