Depuis le 24 septembre, le parlement examine le projet de loi relatif à la bioéthique. Ce nouveau texte propose d’ajuster le cadre en vigueur pour tenir compte de la demande de nouveaux droits pour la population et des progrès scientifiques et techniques. Mais, assure le gouvernement, cet ajustement se fera d’une façon « raisonnée » et « sécurisée », avec au cœur des préoccupations le respect la personne humaine.
Médecine génomique, procréation, recherches sur l’embryon, dons d’organes (mais aussi de cellules ou de tissus), filiation, greffes… les sujets abordés par le projet de loi sur la bioéthique sont nombreux. Mais à la lecture des différentes rubriques contenues dans le texte, il apparaît que plusieurs d’entre eux ont à voir avec l’intelligence artificielle, le big data, les données de santé et leur traitement.
Ces thèmes figuraient déjà dans le rapport des États généraux de la bioéthique 2018, rendu public le 25 septembre 2018 par le Comité consultatif national d’éthique. Parmi les problématiques discutées par l’instance se trouvent les robots, l’intelligence artificielle et les données de santé. En effet, ces dernières peuvent revêtir un caractère particulièrement sensible et nécessitent un encadrement spécifique.
Base de données des donneurs
L’article 3 du projet de loi bioéthique ouvre un droit nouveau à destination des personnes qui sont nées par assistance médicale à la procréation, grâce à un donneur. Ainsi, une fois majeures, ces personnes pourront demander sans condition d’accéder « aux informations non identifiantes relatives au tiers donneur ainsi qu’à l’identité de ce dernier », précise l’exposé des motifs.
Outre l’identité du tiers donneur, sont recueillies les informations suivantes : son âge, son état général au moment du don (tel qu’il le décrit), ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et professionnelle, son pays de la naissance et les motivations de son don. Toutes ces indications figureront dans une base de données gérée au niveau national par l’Agence de la biomédecine.
Compte tenu de la sensibilité de ce traitement et des données qu’il aura à gérer (donneurs, dons et enfants nés de dons), le texte prévoit que cette conservation se fasse « dans des conditions garantissant strictement leur sécurité, leur intégrité et leur confidentialité pour une durée limitée et adéquate ». Une commission spéciale sera mise en place pour gérer les demandes d’accès, en lien avec l’Agence de la biomédecine.
Cette base de données nationale ne sera pas rétroactive. Seuls les nouveaux tiers donneurs et nouveaux dons seront concernés. Seule exception : les anciens donneurs qui se manifestent spontanément auprès de la commission spéciale pour signifier leur accord à l’accès à leur identité. Du fait de la sensibilité de ce traitement, la CNIL a été consultée et a remis une délibération en juillet 2019.
Découvertes génétiques
L’article 10 ambitionne de « rénover l’information et le consentement des personnes » pour mieux l’adapter à « l’ère de la médecine génomique ». Selon le gouvernement, il permet, si le patient donne son accord, de l’informer de découvertes de caractéristiques génétiques « sans relation » avec les motifs initiaux de l’examen, et de lui permettre « de bénéficier de mesures de prévention ».
Dans l’étude d’impact, l’Agence de la biomédecine relève en effet que les progrès constatés en génétique grâce aux nouvelles technologies « augmentent considérablement le risque de découverte incidente, c’est-à-dire de diagnostiquer des pathologies non recherchées initialement ». En effet, il existe désormais des méthodes de séquençage qui permettent d’explorer le génome dans sa globalité.
Dès lors, se pose la question de la conduite à tenir face au résultat, car celui-ci peut avoir des incidences au-delà du patient. Ce dispositif n’est pas pour la recherche volontaire de certaines mutations, organisée lors d’un examen de caractéristiques génétiques. Il est conditionné à un consentement libre et éclairé de la personne, « tout en le protégeant d’informations inutiles », « angoissantes » ou « indésirables ».
Ainsi, si la personne peut tout à fait refuser qu’on lui communique des découvertes de cette nature, « elle doit être informée au préalable des risques qu’un refus ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés dans le cas où une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave justifiant de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins était diagnostiquée de façon incidente ».
IA et Big Data
L’article 11 est consacré à l’intelligence artificielle, aux données massives (Big Data) et au traitement algorithmique. Plus exactement, le gouvernement souhaite « sécuriser la bonne information du patient » quand ces dispositifs sont mis en œuvre « à l’occasion d’un acte de soins ». Par ailleurs, il s’agit aussi à travers cet article de garantir la présence d’une intervention humaine dans la boucle.
Il s’agit notamment de rester en conformité avec le règlement général sur la protection des données, qui prévoit qu’une personne « a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé […] l’affectant de manière significative » — ce qui peut être le cas dans le cadre d’un acte médical. La CNIL veille d’ailleurs à éviter le recours exclusif à des algorithmes, comme à l’école.
Dans l’étude d’impact, il est expliqué qu’il n’est nullement question de remettre en cause « les possibilités de recourir à des dispositifs d’aide au diagnostic ou d’orientation préventive ou thérapeutique performants » ou les dispositifs médicaux faisant appel aux nouvelles technologies. Cependant, il s’agit de ne pas perdre de vue les « limites résiduelles des algorithmes » face à la diversité des situations.
Le texte entend donc préserver le rôle central du médecin, en faisant en sorte que les outils de traitement de données à grande échelle avec des algorithmes de pointe ne soient que des appuis à la décision humaine et qu’ils ne s’y substituent pas. Le texte prévoit aussi une traçabilité des données utilisées par ces traitements ou dispositifs, ainsi que des actions qui en découlent, et un accès pour les professionnels de santé concernés.
Enregistrement de l’activité cérébrale
L’article 12 vise à interdire l’emploi de l’imagerie cérébrale fonctionnelle dans le domaine de l’expertise judiciaire. Dans l’étude d’impact, il est expliqué que le recours à ce procédé « n’est aujourd’hui pas assez fiable pour être utilisée à cette fin ». La précédente loi bioéthique de 2011 autorisait ce cas de figure, aux côtés de la recherche scientifique et des nécessités médicales.
Le comité consultatif national d’éthique et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques étaient hostiles à cette possibilité. Ils alertaient sur le détournement ou la surinterprétation des usages débouchant sur des dérives ou des abus (« détecteur de mensonge » pour statuer sur la culpabilité d’une personne, neuro-marketing, sélection à l’embauche…).
Au passage, une évolution terminologique est réalisée : il n’est plus question de parler d’imagerie cérébrale ou de technique d’imagerie cérébrale, termes devenus « trop restrictifs ». Désormais, il est plus adéquat de parler de technique d’enregistrement de l’activité cérébrale. Il s’agit de couvrir les évolutions technologiques intervenues depuis la loi de 2011 est-il expliqué.
Par ailleurs, dans le souci d’éviter les discriminations fondées sur les données issues de l’enregistrement de l’activité cérébrale, l’article 12 procède à quelques réécritures de la loi. Ce faisant, le texte renforce l’interdiction des discriminations sur l’état de santé, y compris en matière d’assurance (prévention et couverture des risques), parce que ces données « ont potentiellement une valeur prédictive ».
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