Si l’incendie qui ravage l’Amazonie en ce mois d’août 2019 a mis du temps à recevoir une attention digne de ce nom, le mouvement de mobilisation internationale s’intensifie. Cette forêt est la plus grande du monde et son rôle est essentiel. Mais elle est de plus en plus menacée : la Nasa a confirmé que l’année 2019 signe une augmentation du nombre et de l’intensité des feux. Les activités humaines, comme la déforestation, sont au moins autant en cause que le climat sec en cette période. Numerama a cherché à décrypter l’impact de cet état des lieux pour le futur de l’Amazonie et du monde.
L’événement de ce mois d’août est spectaculaire tant l’incendie est impressionnant, et il pousse à s’émouvoir : l’Amazonie abrite 10 % de toute la biodiversité de la planète, dont beaucoup d’espèces encore inconnues. L’incendie, auquel nous assistons de loin, aura des conséquences à très long terme. Un feu de cet ampleur « efface totalement la biodiversité sur place », nous explique Philippe Grandcolas, écologue au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle. Par un effacement « total », il est bel et bien question d’une impossibilité permanente à réhabiliter la biodiversité perdue.
Une biodiversité morte ne revient pas
Lorsqu’une forêt est atteinte par des feux sur une petite surface, la destruction n’est pas permanente. « Au bout de 50 à 100 ans, on peut revenir à un couvert forestier global dans lequel on aura récupéré une partie de la biodiversité », précise Philippe Grandcolas. Mais plusieurs conditions doivent être remplies. Parmi elles, il y a la nécessité que les alentours restent préservés. C’était le cas autrefois, chez les Amérindiens. Les villages temporairement sédentaires étaient entourés de parcelles de culture où des feux de petite taille étaient provoqués pour l’agriculture (culture sur brûlis). Lorsque le village se déplaçait, la culture était abandonnée, la faune et la flore se reconstituaient en quelques décennies.
Mais la situation en Amérique du Sud a bien changé. La déforestation se fait à grande échelle, entre des industriels sans limites et, en face, des agriculteurs locaux qui font leur possible pour rester compétitifs et survivre. Au rythme actuel, ce sont « 20 000 km² de forêt amazonienne » qui disparaissent chaque année. Or, la régénération n’est possible que si les zones qui brûlent sont de petite taille… et entourées par un milieu forestier riche.
« Si on brûle sur de grandes surfaces alors que les alentours sont déjà en piteux état, il n’y a pas de récupération possible. D’autant qu’en Amazonie, les sols sont peu fertiles, il n’y a aucune condition favorable pour que ces milieux brûlés redonnent de la forêt », déplore Philippe Grandcolas. Il explique également à Numerama qu’à ce rythme, l’Amazonie n’existera quasiment plus en 2050.
L’Amazonie n’existera quasiment plus en 2050
Le travail de reforestation n’est évidemment pas à négliger. Cette solution sert de pansement pour juguler la dévastation, pour « permettre au climat local de se maintenir malgré tout, et que le reste de la forêt ne disparaisse pas définitivement ». En revanche, l’écologue insiste sur le fait qu’une reforestation ne permet pas de restaurer la biodiversité. « Quand on reforeste une région où il y a un vide total de forêt autour, on ne retrouve pas la biodiversité forestière : 95 % des animaux et des plantes qui vivaient dans ces espaces seront définitivement perdus. La plupart des espèces ne sont pas capables de revenir à distance, car très sédentaires. »
Un impact sur le monde entier
Les événements environnementaux sont à comprendre à une échelle globale. Les incendies violents qui touchent l’Amazonie ont un impact local mais aussi sur toute la planète. Sur ce plan, il faut préalablement évacuer l’idée fausse du « poumon de la Terre » : cette immense forêt est certes productrice d’oxygène — 5 à 10 % — mais elle n’est pas la seule. Ce n’est donc pas l’aspect le plus inquiétant. En revanche, le vrai danger est qu’en tant que plus grand massif forestier mondial, elle est aussi le plus grand « piège à carbone ». Lorsque la forêt brûle, le carbone est abondamment libéré, « ce qui contribue à l’effet de serre et donc au réchauffement climatique ».
La relation mondiale de cause à effet, par rapport à l’Amazonie, a récemment été prouvée dans une étude scientifique menée sur la colonisation. Les colons européens ont tué 56 millions d’Autochtones entre 1452 et 1600, en Amérique du Sud. L’étude ne se penche pas sur le drame humain — qui n’est plus à prouver — mais sur l’effet climatique. Face à la réduction rapide de la population amérindienne, les petites parcelles de forêt cultivées ne l’étaient soudainement plus, ce qui a provoqué une repousse forestière. De grandes quantités de carbone ont été piégées en peu de temps, ce qui a généré un léger âge glaciaire sur Terre.
« 10 % des eaux douces de la planète sont liées au fonctionnement de l’Amazonie »
En plus du climat, une particularité souvent oubliée de l’Amazonie est qu’elle joue un rôle mondial essentiel pour les ressources en eau. « Plus de 10 % des eaux douces de la planète sont liées au fonctionnement de l’Amazonie », relève Philippe Grandcolas. Ce grand ensemble forestier se caractérise par une humidité régionale, grâce à un cycle qui retient et recycle l’eau sur place. C’est ce qui contribue à alimenter l’Amazone, l’un des plus grands fleuves du monde. Or, la disparition du couvert forestier vient perturber ce cycle.
« Plus vous diminuez l’ensemble forestier, plus vous diminuez la quantité d’eau résidente, explique Philippe Grandcolas. Au bout d’un moment vous allez avoir un basculement : même s’il reste de la forêt, elle va souffrir, car le climat ne sera plus adéquat pour maintenir le climat tropical humide ». À terme, le risque est un assèchement du fleuve en plus du dépérissement de la biodiversité. Une issue d’autant plus grave alors qu’un quart de la population mondiale est menacée par le stress hydrique, c’est-à-dire une pénurie d’eau.
20 % de la biodiversité va disparaître
L’incendie spectaculaire dont tout le monde parle en août 2019 n’est que le symptôme d’un processus de fond. Comme l’indique Philippe Grandcolas, la crise est colossale en termes d’impact, car « on va perdre plus d’un million d’espèces très rapidement, 20 % de la biodiversité va disparaître en quelques décennies ». L’humanité toute entière risque d’en souffrir, « et le Brésil les premiers ».
De nombreuses personnes au Brésil se battent pour endiguer le phénomène
Le contexte politique n’est pas rassurant non plus. Jair Bolsonaro, le président brésilien, est dénoncé comme celui qui a en quelques sortes « vendu » l’Amazonie en favorisant une déforestation massive de la forêt. Il s’est d’ailleurs longtemps obstiné, ces derniers jours, à refuser l’aide internationale pour contenir le feu. Et il aura fallu une immense pression politique avant qu’il interdise la culture sur brûlis pour freiner les départs de feux. Pour autant, Philippe Grandcolas insiste sur le fait qu’au-delà des aléas politiques, de nombreuses personnes au Brésil se battent pour endiguer le phénomène.
C’est le cas à l’Institut National de Recherche Spatiale du Brésil (INPE), dont le dernier directeur a été limogé par Bolsonaro après avoir révélé les chiffres de la déforestation (une augmentation de plus de 80 % entre 2018 et 2019). L’une des initiatives phares de l’INPE est un système de surveillance en temps réel : toute déforestation de plus de 3 hectares est immédiatement signalée. « Cette surveillance satellite inspire une crainte à ceux qui voudraient déforester en excès. Depuis que c’est en place, l’initiative a bien jugulé le problème », indique l’écologue. Il y a également depuis quelques années une règle voulant que les plantations de soja ne se fassent que dans des zones déjà déboisées, ce qui a contribué à améliorer la situation.
Le décryptage proposé par Philippe Grandcolas à Numerama montre bien l’urgence de la situation face à un impact bien réel. Cela dévoile aussi que si les pertes pourraient s’avérer un jour irréversibles, ce n’est pas encore totalement le cas. À l’heure actuelle, le Brésil doit encore contenir l’incendie, alors que 1 044 nouveaux départs de feu ont été détectés mardi 27 août par l’INPE, et plus de la moitié en Amazonie. Mais il ne faudra pas se contenter de mesures à court terme pour répondre à l’emballement médiatique.
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